Eglises d'Asie – Philippines
Alors que de nombreux rapports dénoncent le trafic d’êtres humains dans le pays, les évêques appellent à la mobilisation des chrétiens
Publié le 21/09/2012
« Nous devons arrêter les trafics d’êtres humains. Un trop grand nombre de jeunes, d’enfants, de femmes subissent des violences sexuelles, la prostitution forcée ainsi que beaucoup d’autres abus dus à l’exploitation de l’être humain », ont déclaré les évêques philippins dans un communiqué envoyé aux diocèses, paroisses, communautés religieuses et organisations d’Eglise, le 18 septembre 2012.
Signé par la Commission épiscopale pour l’action sociale, la justice et la paix (NASSA) de la CBCP et son président, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille, le texte incite les catholiques à « prendre conscience de l’urgence à agir concrètement pour aider les victimes de cet esclavage moderne ». Le communiqué de la NASSA poursuit : « La vie humaine n’est pas une marchandise que l’on transporte et que l’on vend (…) ; elle doit être accordée à la dignité humaine. Il faut la promouvoir, la respecter, la protéger et la développer pour qu’elle atteigne sa plénitude. » Pour conclure, Mgr Pabillo exhorte le gouvernement à prendre « toutes les mesures nécessaires pour arrêter les trafiquants et les condamner », tout en soulignant que le gouvernement « n’est pas le seul responsable » et que la lutte contre la traite humaine est l’affaire de tous.
Cet appel des évêques au gouvernement s’inscrit dans l’effervescence qui agite l’archipel suite à une série de rapports et d’événements stigmatisant l’importance grandissante des Philippines dans le trafic des êtres humains en tant que pays d’origine, de destination et de transit.
Le 11 septembre, s’était déjà réunie à Manille la première consultation nationale sur la traite des êtres humains « dans la perspective des droits de l’homme », dans le cadre de la préparation à la réunion de l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique) qui se tiendra dans l’archipel en mai 2013 sur cette question. Participaient à l’élaboration du rapport des Philippines, des représentants des organismes d’Etat chargés de la lutte contre le trafic d’êtres humains, des départements spécialisés de la police nationale, des organisations de la société civile, mais aussi des délégués de l’Union européenne, de l’ambassade canadienne et d’organismes internationaux.
Mais c’est la parution du rapport du département d’Etat américain sur le trafic d’êtres humains qui a été l’élément déclencheur de l’intervention de la CBCP. Cité abondamment par la NASSA, le rapport épingle en effet les Philippines, en classant le pays en niveau 2, c’est-à-dire ne respectant pas les standards minimums fixés par le Victims Protection Act. Il dénonce surtout, avec des exemples précis, la corruption du système par les réseaux mafieux, empêchant la sanction des coupables.
Sont également soulignés les éléments favorisant l’augmentation du phénomène, comme l’existence de guerres civiles locales (avec l’enrôlement des enfants dans les groupes armés), ou encore la persistance de la pauvreté, du chômage et d’une économie parallèle de travailleurs clandestins, échappant à toute statistique, contrôle et protection. Cette situation, explique le rapporte, facilite le recrutement des victimes par de fausses promesses de travail ou d’éducation, lesquelles seront ensuite envoyées à l’étranger (essentiellement en Asie et au Moyen-Orient), un trafic qui drainerait quelque dix millions de ressortissants philippins.
Comme pour illustrer la dénonciation faite par l’agence américaine de la corruption et de la puissance des mafias locales, l’une des ONG les plus en vues des Philippines, luttant contre la traite des êtres humains, a été accusée presque simultanément à la parution du rapport, de détournement des fonds de l’aide internationale.
Le 14 septembre, les Etats-Unis ont demandé à la justice philippine d’entamer des poursuites à l’encontre de la présidente et fondatrice de la Visayan Forum Foundation Inc (VFF), Cecilia Flores-Oebanda, pour détournement de fonds, faux et usage de faux. La demande s’appuie sur une plainte déposée le 6 septembre dernier par l’US Agency for International Development (USAID), principal donateur de l’ONG, ainsi que sur des dénonciations et une trentaine de cartons remplis de documents falsifiés, saisis au quartier général de l’association à Quezon City.
Le scandale qui touche la VFF a d’autant plus ébranlé l’archipel que l’ONG était l’organisme phare de la lutte contre le trafic d’êtres humains aux Philippines. Ayant pour but de réhabiliter, éduquer et soutenir psychologiquement et matériellement les victimes de la traite humaine, la VFF gère de nombreux centres d’accueil, bénéficient d’importants financements des organismes internationaux et a reçu de multiples récompenses pour son action. Les preuves de la fraude sont cependant indéniables, affirme le National Bureau of Investigation philippin, qui accuse l’ONG d’avoir détourné au moins 210 millions de pesos sur les 300 millions de subventions accordés par l’USAID. « Nous avons pu établir que l’ordre de falsification des comptes, des factures et des reçus venait de la présidente elle-même », assure encore l’agence américaine. Une ancienne comptable de l’association et un expert qui avait réalisé un audit de l’ONG récemment ont confirmé le maquillage des comptes, les irrégularités dans les justificatifs et la volatilisation d’au moins 210 millions de pesos (3,9 millions d’euros) donnés par l’USAID.
Répondant à l’inquiétude de Manille concernant la poursuite de l’aide des Etats-Unis aux Philippines, l’ambassade américaine a publié le 14 septembre une déclaration assurant que, malgré les poursuites engagées contre la VVF, « les Etats-Unis restaient engagés aux côtés des Philippines dans leurs efforts pour lutter contre le trafic des êtres humains, protéger les victimes de cette forme moderne d’esclavage et poursuivre les coupables de ces abominations ».
Après le monde associatif, le monde politique a réagi à son tour : le 14 septembre, deux députés philippins ont déposé une requête devant la Chambre des Représentants, demandant un rapport complet sur la traite des êtres humains et ses ramifications aux Philippines et à l’étranger. « Il est urgent de trouver les moyens et les mesures nécessaires pour éradiquer le trafic d’êtres humains dans le pays et s’assurer que plus personne n’en sera victime », a déclaré au Sun Star le 14 septembre l’un des députés, Maximo Rodriguez.