Eglises d'Asie

Le président indonésien critiqué pour sa demande d’un protocole international contre le blasphème

Publié le 27/09/2012




La proposition du président Susilo Bambang Yudhoyono en faveur d’un protocole international contre le blasphème a été fraîchement accueillie par les cercles de défenseurs des droits de l’homme en Indonésie, qui estiment que leur pays n’est pas en mesure de donner des leçons en la matière.

Mardi 25 septembre, devant l’assemblée générale des Nations Unies à New York, le président indonésien a proposé la mise en place d’un protocole international visant à sanctionner le blasphème, défini comme une atteinte au sacré. « Etabli sur la base d’un consensus international, il représenterait un point de référence sur lequel la communauté internationale pourrait s’appuyer », a déclaré le président indonésien, son porte-parole précisant par ailleurs que le thème de cette 67ème assemblée annuelle des Nations Unies étant la résolution pacifique des conflits, l’Indonésie souhaitait ainsi apporter sa contribution à la paix dans le monde. Concrètement, l’objectif du président indonésien était d’amender la Déclaration universelle des droits de l’homme dans ses articles condamnant l’insulte ou l’offense faite à une personne afin de l’étendre au respect dû à la religion dans son ensemble (1).

En Indonésie, les défenseurs des droits de l’homme ont été prompts à critiquer la proposition de leur président. Ils ont notamment fait valoir que l’Indonésie devait d’abord mettre fin aux discriminations dont étaient victimes les minorités religieuses dans leurs pays, discriminations notamment fondées sur une loi anti-blasphème datant de 1965, avant de se poser en autorité morale sur ce sujet devant la scène internationale.

« Comment pouvons-nous penser que la communauté internationale puisse accepter pareille proposition alors même qu’une loi contre le blasphème est utilisée [en Indonésie] pour exercer pressions et violences contre des groupes musulmans minoritaires tels les chiites ou les ahmadis ? Il nous appartient avant tout de démontrer au monde que nous pouvons protéger ces minorités avant de demander à la communauté internationale de faire de même ! », a réagi Ifdhal Kasim, président de la Commission nationale des droits de l’homme (Komnas HAM selon son acronyme indonésien).

Pour Choirul Anam, du Groupe de travail sur les droits de l’homme, le gouvernement se montre rétrograde sur ce sujet. « Le gouvernement fait un bond en arrière de vingt ans, lorsque des personnes pouvaient être emprisonnées simplement pour s’être exprimées sur un sujet sensible. Il serait plus sensé pour le gouvernement de réfléchir à la notion d’incitation à la haine plutôt qu’à celle de blasphème, qui relève d’un concept peu précis », a-t-il expliqué au Jakarta Post.

En Indonésie, la loi anti-blasphème (Law on the Prevention of Blasphemy and Abuse of Religion) est constituée d’un décret promulgué en 1965 par Sukarno et mis en application par Suharto ; elle permet de dissoudre toute association enseignant ou pratiquant des « interprétations déviantes ». Le décret a ensuite été complété par l’article 156 du Code pénal indonésien qui punit de cinq ans de prison ceux qui « manifestent des sentiments d’hostilité ou de haine, volontairement et en public, vis-à-vis de la religion, (…), dénigrent la religion (…) ou la déshonorent (…) ainsi que ceux qui enseignent des ‘interprétations déviantes’ ». Progressivement, la loi a été étendue à toutes les religions reconnues officiellement par l’Indonésie : islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme et, plus récemment, confucianisme. Elle a aussi été invoquée dans des procès intentés à des personnes revendiquant leur athéisme. En juillet dernier, un leader chiite de Sampang, sur l’île de Madura, a été condamné à deux ans de prison ferme au titre de la loi de 1965.

En mai dernier, lorsque le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a étudié le cas de l’Indonésie, le pays s’est vu suggérer d’amender ou de révoquer l’arsenal législatif limitant la liberté religieuse. Outre les décrets de 1969 et 2006 sur la construction des lieux de culte et celui de 2008 sur les ahmadis, la loi de 1965 en faisait partie.

Selon certains observateurs internationaux, la démarche du président Yudhoyono à la tribune de l’ONU s’inscrit dans une stratégie bien précise. Epinglée en mai dernier, l’Indonésie a besoin de se distinguer sur la scène internationale, en faisant valoir que, premier pays musulman du monde par l’importance de sa population se réclamant de l’islam, elle peut être un pont entre l’Occident, l’Asie et l’islam. Affaibli politiquement sur la scène intérieure, proche de la fin de son mandat de président, Susilo Bambang Yudhoyono cherche à regagner de la crédibilité en se posant comme un interlocuteur crédible aussi bien auprès de l’Occident que du monde musulman. Le chef de l’Etat indonésien passe toutefois sous silence le fait que, notamment durant sa présidence, les factions islamiques les plus radicales ont en partie réussi à imposer leurs principes dans la sphère publique.