Eglises d'Asie

Décès de Nguyên Chi Thiên, le poète des prisons et des camps de rééducation

Publié le 04/10/2012




Le très célèbre poète dissident Nguyên Chi Thiên, couramment appelé « le poète de l’enfer », est décédé à l’âge de 73 ans, dans la matinée du 2 octobre 2012, à Santa Anna, en Californie. Peu avant sa mort, il a tenu à confirmer sa conversion au christianisme en recevant le sacrement du baptême.

Il était né le 27 février 1939 à Hanoi où il vécut ses plus jeunes années, avec ses parents et sa sœur, ainsi que dans la région de Hai Phong. Très jeune, ses poèmes critiques à l’égard du régime le firent repérer par la censure. En 1961, à l’âge de 22 ans, il fut arrêté une première fois et emprisonné pour propagande antigouvernementale. Il fut libéré en novembre 1964. Mais en 1966, il entamait une nouvelle période d’internement qui durera onze ans.

Au cours de ce séjour en camp et en prison, il composera sans papier ni crayon, en les mémorisant, les poèmes de son corpus intitulé « Hoa dia Nguc » (« Les Fleurs de l’enfer »), un titre qui lui avait été directement inspiré par le recueil de Baudelaire, « Les Fleurs du mal ».

En septembre 1979, il parvint à se glisser à l’intérieur de l’ambassade britannique à Hanoi et à y déposer son manuscrit. Mais il fut arrêté immédiatement, à la porte d’entrée de la représentation britannique, et de nouveau interné. Sa détention se prolongera douze années, avec un régime beaucoup plus sévère que celui qui lui était appliqué précédemment.

Par chance le manuscrit « Les Fleurs de l’enfer », grâce aux diplomates britanniques, fut porté à la connaissance du professeur Honey, grand connaisseur de la langue et de la culture vietnamienne à Londres. Ensuite, très rapidement, les poèmes de Nguyên Chi Thiên, par l’intermédiaire de revues et de publications en langue vietnamienne, trouvèrent de très nombreux lecteurs et admirateurs auprès de la diaspora vietnamienne répandue sur les cinq continents. Le recueil a été intégralement traduit en anglais et il existe une traduction française pour quelques-uns de ses poèmes (1).

Le succès rencontré par l’œuvre attira l’attention internationale sur l’auteur dont on ne savait à l’époque s’il était encore vivant. Dès 1981, des associations comme Amnesty International, Human Rights Watch ou la Ligue internationale des droits de l’homme, lancèrent une campagne destinée à sensibiliser l’opinion sur le sort du poète de l’enfer. Celui-ci, durant toute cette période, fut transféré de la prison de Hanoi à un camp de rééducation en forêt où, mal nourri et souffrant de dysenterie, il échappa de peu à la mort. Il passa sa dernière année de détention dans le centre d’internement de Ba Sao, où il eut pour compagnon le P. Nguyên Van Ly. Sa libération eut lieu au mois d’octobre 1991, après vingt-sept années de prison, entrecoupées de courtes périodes de liberté.

En 1995, le poète s’exila aux Etats-Unis où il fit paraître le deuxième tome de son recueil de poèmes « Les Fleurs de l’enfer ». En 1998, bénéficiaire d’une bourse, il s’installa en France où il séjourna trois ans. A l’issue de son séjour, Nguyên Chi Thiên fit paraître un recueil de nouvelles sur son séjour en prison. Il retourna ensuite aux États-Unis.

La poésie de Nguyên Chi Thiên s’inspire uniquement de son expérience de prisonnier et de pensionnaire des camps de rééducation. Celle-ci est présente en chacun de ses poèmes ; on y entend le « grincement de la porte au fond de la prison » ou encore le « claquement de dents de la misère ». La souffrance de l’enfermement imprègne la totalité de son œuvre. Cependant, Nguyên Chi Thiên était convaincu que la poésie permettait de transfigurer cette misère carcérale.

Le poète, disait-il, « jette des ponts de mots (…) », poursuivant : « Jour après jour vivent les mots. Secrètement, ils poussent la Pensée vers l’autre rive, à travers le réseau de chaînes et de fers » Et viendra le jour, affirmait-il encore, où elle éclatera en prodiges ! »

Cette première espérance a été relayée ensuite, selon le témoignage de ses amis, par la foi et l’espérance chrétiennes, sous l’influence des prêtres catholiques rencontrés dans les camps.