Eglises d'Asie

Les sans-droits ont commencé leur « grande marche » pour la justice

Publié le 07/10/2012




Des dizaines de milliers d’Indiens parmi les plus pauvres du pays ont entamé mercredi 3 octobre une marche de 350 km vers New Delhi afin de dénoncer leur mise à l’écart du développement économique et faire valoir leurs droits au partage des terres et des ressources du pays.  

Partis de Gwalior au Madhya Pradesh, les marcheurs vers lesquels convergent d’autres participants venus de tous les Etats de l’Inde, devraient arriver à New Delhi d’ici la fin du mois.

« Quelque 35 000 personnes étaient au départ à Gwalior et, lorsque la marche atteindra New Delhi, nous espérons que le nombre [des marcheurs] aura atteint 100 000 », a déclaré à l’AFP Aneesh Thillenkery, porte-parole de l’organisation à l’origine de l’initiative, Ekta Parishad, qui milite pour l’accès de tous à la terre et aux ressources naturelles.

Deux mille organisations indiennes se sont jointes à cette action, calquée sur le modèle de la « marche du sel » menée par le Mahatma Gandhi en 1930 et qui avait abouti à l’indépendance de l’Inde (1). Les marcheurs traverseront cinq Etats (le Madya Pradesh, le Rajasthan, l’Uttar Pradesh, l’Haryana et Delhi). Vendredi 6 octobre, leur nombre était estimé entre 40 000 et 80 000 selon les sources, plusieurs groupes étant venus rejoindre la colonne de départ.

Formée de l’immense cohorte de tous les sans-terres et sans droits que compte l’Inde (adivasi ou tribals, dalits ou « intouchables », journaliers, pêcheurs, chômeurs, …), la foule des marcheurs, hommes, femmes et enfants, dont un grand nombre vont pieds nus, défile de jour comme de nuit, drapeaux vert et blancs à la main, au rythme des tambours et des chants, ne faisant que de courtes haltes, afin de faire « reconnaître leur dignité, leur identité et leurs droits » et que « cessent les discriminations dont ils sont victimes ».

« Nous voulons une véritable politique de réforme agraire, or elle n’existe toujours pas à l’heure actuelle », explique encore Aneesh Thillenkery, qui dénonce : « Lorsque les pauvres veulent des terres, le gouvernement central dit que c’est un problème qui relève du gouvernement local. Or, c’est bien [le gouvernement central] qui acquiert des terres pour un usage industriel, pour mettre en place des zones économiques spéciale ou encore pour établir des ‘parcs de protection de la nature’ . »

Alors que l’Inde s’est hissée au rang de la troisième puissance économique d’Asie et tend, pour maintenir sa croissance, à utiliser de plus en plus les terres cultivables pour son industrialisation, 73% de la population indienne vit toujours de la terre. Les espoirs qui avaient été mis dans la « Révolution verte » sont depuis longtemps évanouis et dans de nombreux Etats, les suicides de paysans se multiplient. Ces derniers ont vu leur situation s’aggraver et les écarts se creuser davantage entre une classe moyenne émergente bénéficiant des retombées économiques de l’industrialisation de l’Inde et les millions de laissés pour compte de la croissance indienne, parmi lesquels il faut compter au moins 400 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (soit 42 % de la population).

« Il a fallu un grand courage à tous ces hommes et ces femmes pour prendre part à cette manifestation », reconnait Anand Kumar, responsable pour l’Inde de l’ONG protestante Christian Aid (2), partenaire de la manifestation aux côtés d’Ekta Parishad. « Ils marchent parce l’accès à la terre, c’est la seule chose qui peut leur permettre de vivre et de ne pas mourir de faim. »

Pendant un an, Ekta Parishad (EP), assistée de Christian Aid et de nombreuses organisations locales, a parcouru toute l’Inde afin de convaincre les communautés marginalisées les plus discriminées et les plus pauvres – surtout les dalits et les adivasis – de participer à la grande marche. Le fondateur et leader d’Ekta Parishad, P. V. Rajagopal, explique que mettre en œuvre une réforme des lois concernant le contrôle des terres et leur acquisition n’a jamais été aussi urgent : « Le gouvernement force la population à quitter ses terres et se défaire de ses biens au nom de l’industrie minière, de la protection de la nature, du développement des infrastructures et d’autres projets encore (…). Si nous n’y mettons pas tout de suite un coup d’arrêt, il ne restera plus rien. »

Une première « marche pour la justice » avait été organisée en 2007, toujours par EP, et avait été suivie par 25 000 personnes, la plupart d’entre elles étant des paysans criblés de dettes réclamant un accès à la terre. Le périple était le même, de Gwalior à Delhi, et avait duré 27 jours. Onze personnes avaient trouvé la mort durant cette marche appelée “Janadesh – le jugement du peuple”. Son but était déjà de dénoncer les profondes injustices des lois liées au contrôle des terres et de souligner l’urgence de réformes sur ce sujet en Inde.

Cinq ans plus tard, ceux qui avaient participé à cette première manifestation non violente dénoncent le fait que rien n’a changé : certes, sur le papier, ils ont obtenu la création d’un Comité national de réforme agraire, mais sans que cela se traduise par une mise en application réelle. « En réalité, explique le leader d’EP, un nombre toujours croissant de personnes sont déplacées, après avoir reçu une faible compensation et la promesse de recevoir des avantages qui n’arrivent jamais. »

Cette grande marche de 2012, nommée “Jan Satyagraha – Marche pour la justice”, se veut « la plus grande action non violente jamais organisée en faveur du droit à la terre, à l’eau et aux ressources forestières » (3). S’appuyant sur leur expérience de 2007, les organisateurs ont pris soin de commencer les négociations avec le gouvernement pendant que se déroule la marche. Les revendications des marcheurs sont plus précises et portent non seulement sur la nécessité de réformes agraires et du partage des ressources, mais aussi sur la mise en place d’institutions pour les mettre en application. Il est demandé entre autres que soient appliqués les engagements du gouvernement pris en 2007 pour le droit à la terre, ainsi que le Forest Rights Act de 2006. Rajagopal est actuellement en discussion avec les différents ministres de l’Union Indienne, dont le Premier ministre Manmohan Singh, mais aussi avec les principales entreprises à l’origine des confiscations de terres.

En signe de solidarité, plusieurs marches ont été organisées dans des pays d’Europe, notamment en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Par ailleurs, de nombreux militants du monde entier, dont des écologistes et des défenseurs des droits de l’homme, sont venus en Inde, prêter main forte aux marcheurs du Jan Satyagraha.