Eglises d'Asie

Tamil Nadu : l’Eglise catholique et les ONG s’inquiètent de la dégradation des conditions de vie des réfugiés sri-lankais

Publié le 20/11/2012




Estimés à plus de 100 000, les Sri-Lankais tamouls réfugiés en Inde, essentiellement au Tamil Nadu, sont aujourd’hui une population oubliée, dont les conditions de vies se font de plus en plus difficiles, en particulier pour les femmes. 

Dans son rapport d’octobre dernier, le Jesuit Refugee Service (JRS) tire la sonnette d’alarme, rejoignant ainsi les rares organisations autorisées à travailler avec les réfugiés dans les camps. L’Inde n’ayant pas signé la Convention internationale pour les réfugiés, le HCR ainsi que les autres organisations internationales ne peuvent ni accéder aux camps ni leur faire parvenir d’aide. L’agence de l’ONU chargée des réfugiés se contente donc d’encadrer le rapatriement volontaire des réfugiés dans leur pays.

Ce sont des ONG et organisations chrétiennes travaillant depuis plusieurs décennies dans les camps de Tamouls sri-lankais qui font aujourd’hui connaître la dégradation considérable des conditions de vie des réfugiés ces derniers mois.

Le JRS notamment publie des chiffres alarmants sur l’état des 112 camps de cet Etat de l’extrême sud de l’Inde où le chômage, la surpopulation, le stress post-traumatique et l’alcoolisme font des milliers de victimes chaque jour. « Nous concentrons nos efforts sur la situation des femmes parce qu’elles sont les premières touchées par la violence qui ne cesse d’augmenter dans les camps », explique Lilly Pushpam, responsable de programme au sein du JRS Tamil Nadu.

Victimes de mariages précoces et souvent forcés, les filles tamoules sont très tôt piégées dans l’engrenage des violences domestiques et des abus sexuels, accentué par la promiscuité et les conditions de vie difficiles des camps. Selon la responsable du JRS, l’alcoolisme est l’un des fléaux majeurs des centres de réfugiés du Tamil Nadu. Pour survivre, la plupart des réfugiés travaillent comme ouvriers sur des chantiers de construction ou s’emploient comme journaliers dans des exploitations agricoles. Touchant leur salaire à la fin de la journée, ceux qui ont tendance à l’alcoolisme dépensent immédiatement leur paye, aggravant la pauvreté de leur famille et les violences au sein du foyer.

Les équipes de l’organisation catholique qui travaillent auprès des réfugiés tamouls cherchent avant tout à repérer les personnes « ayant des problèmes avec l’alcool » et leur proposent un accompagnement thérapeutique, voire une cure de désintoxication, dans l’un des centres spécialisés des camps. Mais selon l’organisation, seules 30 % des personnes alcooliques accepteraient de suivre un traitement.

Les jeunes sont une population ciblée prioritairement par les membres du JRS, qui ont créé dans chaque camp un centre Arrupe, lequel fait office de lieu de vie, d’écoute et de formation. Après l’école (les réfugés sri-lankais sont autorisés à s’inscrire dans les établissements indiens), les enfants et les jeunes peuvent y faire leurs devoirs, discuter avec des membres de l’équipe JRS, ou encore participer à des activités culturelles comme des représentations théâtrales dans le cadre de la prévention et de la lutte contre l’alcoolisme.

Dans leur travail contre la discrimination qui touche les femmes mais surtout les violences ou abus sexuels qu’elles subissent, les membres du JRS doivent également faire face à la peur de la stigmatisation qui, la plupart du temps, empêche les victimes de parler.

Une adolescente, qui fait partie aujourd’hui d’un groupe de soutien où elle peut se reconstruire psychologiquement, témoigne sous le sceau de l’anonymat, par crainte des représailles : âgée d’une douzaine d’année, elle a été violée à plusieurs reprises par un voisin du camp alors qu’elle était seule à s’occuper de ses frères et soeurs. Les équipes du JRS, alertées, ont insisté pour que la jeune fille subisse un examen médical afin de pouvoir porter plainte auprès de la police. Mais sa mère a refusé, de peur que sa famille ne soit rejetée par le reste de la communauté dont elle est très dépendante comme toutes les femmes du camp élevant seules leurs enfants, leur mari étant mort ou encore au Sri Lanka. « Maintenant, je ne reste plus jamais seule. Après l’école, je reste avec mon professeur jusqu’à ce que je puisse aller au Centre Arrupe où j’attend que ma mère rentre du travail », confie l’adolescente dont le voisin n’a jamais été inquiété et vit toujours à côté de sa hutte.

Fragilisées par ces expériences traumatiques, les filles tamoules des camps de réfugiés ont d’autant plus de difficultés à poursuivre des études. Le JRS leur offre donc aussi une aide à la rescolarisation et à l’insertion ainsi que des formations professionnelles dans deux centres destinés uniquement aux filles. Encadrées par les Soeurs Missionnaires Seva (1), elles y apprennent aussi bien la couture que l’informatique, ou encore l’anglais ou la prise de parole en public.

C’est le même constat d’une communauté gangrenée par l’alcoolisme et la violence domestique qui est fait par les autres organisations chrétiennes ou congrégations religieuses intervenant auprès des réfugiés tamouls. Les frères capucins proposent ainsi dans le camp de Vazhavanthan Kottai où ils travaillent depuis plus de vingt ans, des programmes d’éducation, des soins de santé de base, mais aussi des cours de couture et d’informatique pour les filles en rupture de scolarité ou victimes de discrimination. L’organisation Christian Aid soutient de son côté des projets assez semblables à ceux du JRS, tendant  tout à la fois à protéger les femmes des violences et à mettre un frein aux ravages de l’alcoolisme. Quant à l’European Commission Humanitarian Aid and Civil Protection (ECHO), elle a mis en place des programmes de soutien psycho-social pour les familles des réfugiés et ouvert des centres de désintoxication.

Plus de la moitié des réfugiés étant arrivés dans les années 1980 lors de la première vague (2), la majorité des Tamouls d’origine sri-lankaise sont nés en Inde et ne connaissent que la vie des camps. Plus de 68 000 d’entre eux (soit les deux tiers des réfugiés au Tamil Nadu) vivent actuellement dans les camps du gouvernement installés en zone rurale, ceux des régions les plus éloignées étant les moins bien équipés (rapport de l’IRIN du 18 novembre 2012).

Une autre catégorie de réfugiés, plus difficile à quantifier, ne bénéficie d’aucune aide du gouvernement : évalués entre 30 000 et 50 000, ils s’agglutinent autour des grandes villes dans des abris de fortune, sans installations sanitaires, accès aux soins ou à l’eau potable.

Mais malgré ces conditions de vie de plus en plus difficiles pour les réfugiés tamouls – qu’ils vivent dans les camps ou s’entassent dans des slums insalubres -, le HCR signale que le flux des rapatriements au Sri Lanka est en train de se tarir. 

Peu après la fin de la guerre civile en 2009, quelque 5 000 Sri Lankais avaient demandé leur retour dans l’île et tenté de s’y résintaller, avant que la communauté tamoule en exil n’apprenne que les violations des droits de l’homme se poursuivaient dans les territoires du Nord, toujours sous occupation de l’armée cinghalaise

Aujourd’hui, le retour au pays semble de plus en plus improbable aux yeux des réfugiés sri lankais dont un grand nombre envisage de finir ses jours sur le sol indien. Reconnaissant implicitement  la pérennisation d’une situation qui par nature aurait dû être provisoire, J. Jayalalithaa, ministre-président de l’Etat du Tamil Nadu, a déclaré il y a quelques jours que l’accès à la citoyenneté indienne serait facilité pour les réfugiés sri lankais et que 2 500 maisons seraient construites dans une vingtaine de camps lesquels verraient également l’installation d’infrastructures sanitaires et d’établissements scolaires.