Eglises d'Asie

A Séoul, des centaines de chamanes demandent l’instauration d’une journée nationale consacrée à leur religion

Publié le 27/11/2012




Le 23 novembre dernier, le Comité pour la Journée nationale du chamane a rassemblé plus de 300 mudangs à Séoul pour une démonstration de rituels en public ; une opération d’envergure pour réinvestir le terrain religieux dont ils estiment avoir été spoliés, et demander l’instauration par l’Etat d’une Journée nationale du chamane. 

Représentant la plus ancienne forme de religion connue en Corée, les chamanes continuent d’avoir une place importante dans la société, mais souffrent que cette dernière ne soit pas reconnue officiellement. Aujourd’hui, les mudangs, praticiens du chamanisme qui sont presque toutes des femmes, estiment être davantage perçus par leurs contemporains comme des représentants du folklore local dont on monnaye la prestation pour une représentation traditionnelle.

Comme tous leurs homologues de la région nord-asiatique, les chamanes coréens ont pour fonction principale de chasser les mauvais esprits et de s’allier la bienveillance de ceux qui pourront apporter santé et prospérité à la communauté. Médiateurs entre le monde des esprits et le monde des hommes, entre lesquels ils sont les seuls à pouvoir circuler (par le « voyage chamanique »), les mudangs négocient avec les esprits pour le bien de la communauté des hommes et communiquent avec les âmes des morts.

Sous l’effet conjugué de la diffusion du bouddhisme, du taoïsme et du confucianisme, le chamanisme coréen s’est enrichi au cours des siècles de ces différentes traditions pour former le syncrétisme spécifiquement coréen qui le définit aujourd’hui. Par un processus inversé, il a également imprégné les religions qui se sont développées ultérieurement en Corée, comme le démontre notamment certaines particularités du christianisme coréen (1), – en particulier sous sa forme protestante évangélique – dans l’importance qu’il accorde par exemple à la prospérité matérielle et aux rituels de guérison.

Personnages incontournables de la société coréenne depuis des millénaires, mais souvent consultés en secret et dénigrés en public, les chamanes demandent aujourd’hui que leur pratique apparaisse au grand jour. « Le chamanisme est une religion qui remonte aux origines de la Corée et qui a apporté une aide et un soutien essentiels à toutes sortes de gens », affirme Lee Seong-jae, l’un des chamanes participant au rassemblement, cité par l’agence Ucanews ce mardi 27 novembre 2012 . « Pourtant, nous avons été jetés dehors par les religions étrangères qui nous calomnient et nous méprisent », accuse-t-il (2).

Selon les dernières statistiques officielles, environ 23 % des Sud-Coréens déclarent avoir pour religion le bouddhisme, 28 % le christianisme (avec une large majorité de protestants), le pourcentage restant regroupant différents cas de figures comme le confucianisme, le taoïsme, mais aussi l’athéisme ou le chamanisme, lequel ne fait pas partie des propositions de choix.

En réalité, plus de 40 % des Sud-Coréens – dont un grand nombre sont bouddhistes ou chrétiens – avouent consulter régulièrement un ‘voyant’ ou chamane ( les ‘cafés de voyance’ étant plébiscités par les jeunes), a révélé une société de sondages l’an dernier. Bien que cela soit fait avec discrétion, le mudang continue d’être sollicité pour effectuer des guérisons, des rituels de protection ou de chance, et reste indispensable lors des étapes-clés de la vie comme les naissances, les mariages ou les décès. Il pratique le kosa, rite d’offrande faite aux esprits afin de s’attirer leur bienveillance avant toute action importante (construction d’un bâtiment, tournage d’un film, examens, déménagement, etc.) ainsi que le kut, cérémonie rituelle au cours de laquelle il danse et entre en transe afin d’entrer en contact avec les esprits.

Malgré une apparente stigmatisation, la pratique chamanique ne s’est donc paradoxalement jamais aussi bien portée en Corée du Sud. Bénéficiant aujourd’hui d’un véritable renouveau auprès des jeunes générations à la recherche d’authenticité, le chamanisme coréen, qui était sorti exsangue de la deuxième guerre mondiale, a vu le nombre de ses praticiens croître de manière exceptionnelle (on estime le nombre des mudangs entre 50 000 et 300 000). Certaines mudangs ont même été déclarées « trésor national vivant » par l’Etat coréen et la plupart des rituels chamaniques inscrits au patrimoine immatériel de l’UNESCO.

Le Comité pour l’instauration de la Journée du chamane a cependant fait observer que l’Etat n’avait décrété jours fériés que les fêtes importantes de deux seules religions, à savoir le bouddhisme et le christianisme (avec Noël et le jour de naissance du Bouddha), alors que le chamanisme, le culte le plus ancien de la Corée, ne bénéficiait d’aucune reconnaissance officielle de son existence.

Le groupe a déclaré en conséquence qu’il instaurait pour l’année prochaine une Journée nationale du chamane, laquelle serait fixée au 9 septembre. Le choix de cette date n’est pas le fruit du hasard, le mois de septembre étant la période de l’année où les Coréens célèbrent l’une de leurs fêtes les plus importantes, le Chuseok (ou Hangawi), d’origine notoirement chamanique. Tombant le 15e jour du 8e mois lunaire, cette célébration qui rassemble toutes les familles, est consacrée à la générosité de la Terre-Mère (temps des récoltes et des moissons) et au culte des esprits des ancêtres.

« En introduisant cette fête dans le cadre d’une Journée nationale du chamane, nous pourrons retrouver les racines de notre identité religieuse et redevenir la religion originelle de la Corée, aidant à nouveau les pauvres et les opprimés », argumente encore le chamane Lee.

Des propos nuancés par certains de ses confrères qui avouent que bon nombre de personnes pratiquant le chamanisme se soucient davantage de leur rémunération que de préserver les racines d’une religion autochtone. De même, soulignent d’autres mudangs, reconnaître l’héritage chamanique et restaurer le respect qui est dû à cette religion est un but qui peut être atteint sans obtenir du gouvernement l’instauration d’une Journée du chamane et la reconnaissance officielle d’un jour férié national.

« Le Jour du chamane peut certes nous aider à nous rassembler et retrouver notre unité, tout en offrant à la population une bonne image de notre tradition (…), expose l’un d’entre eux (…), Mais la première étape pour retrouver l’estime de la société est de nous purifier auparavant nous mêmes de l’intérieur et de bannir toutes les mauvaises pratiques. »