Eglises d'Asie

Forum mondial pour la paix : le discours du président indonésien sur l’harmonie interreligieuse contraste avec les violences extrémistes perdurant dans le pays

Publié le 27/11/2012




Intervenant le 26 novembre dernier devant les quelque 200 délégués du Quatrième Forum mondial pour la paix réunis à Bogor, à Java-Ouest, le président indonésien Susilo Bambang Yudhoyono a réaffirmé sa conviction dans « la compatibilité entre islam et démocratie ». Soulignant que l’Indonésie était « un pays démocratique doté de la plus importante population musulmane de la planète », il a expliqué qu’« en démocratie, tous les partis devaient accepter les différences »…

… tout en opposant le fait que « les droits et les libertés ne pouvaient être utilisés pour nuire aux valeurs ou aux symboles religieux ».

Pour un certain nombre d’Indonésiens défenseurs des droits de l’homme dans leur pays, les propos du président « pour honorables qu’ils puissent être, ne reflètent pas la réalité ». Choirul Anam, de la branche indonésienne du Human Rights Working Group des Nations Unies, explique ainsi que « la procédure judiciaire utilisée dans les affaires traitant les cas de violences à caractère religieux ne fonctionne pas ». Ajoutant qu’elle « aboutissait à criminaliser les victimes mêmes de ces violences », il cite l’exemple récent d’une communauté chiite (très minoritaire en Indonésie où prédomine l’islam sunnite) de Java-Est dont deux membres ont été tués et dix autres blessés en août dernier lors d’une attaque par des groupuscules islamistes fondamentalistes. Plusieurs dizaines d’habitations de cette communauté chiite ont été incendiées, forçant leurs habitants à fuir et à trouver refuge dans un camp où depuis, ils rencontrent l’hostilité passive des autorités locales qui ne leur apportent aucun secours. Ces chiites « sont victimes de l’échec des institutions publiques à respecter les différences », affirme Choirul Anam.

Quelques jours plus tôt, à l’issue d’une visite de deux jours dans le pays, le Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU, la Sud-Africaine Navanethem Pillay, avait publiquement déploré le fait que les minorités religieuses étaient devenues en Indonésie des cibles privilégiées de la violence des groupes extrémistes. « Je suis attristé d’entendre des comptes-rendus de violences, de déplacements forcés, de refus de carte d’identité et d’autres formes de discrimination et de harcèlement exercées à l’encontre des minorités », avait-elle déclaré en conférence de presse à Djakarta le 13 novembre dernier. Elle avait poursuivi en « encourageant le gouvernement » à abandonner les lois sur le blasphème toujours en vigueur en Indonésie, à réviser les lois discriminatoires qui stigmatisent les Ahmadis, branche issue de l’islam, et à permettre aux différents groupes religieux de construire les lieux de culte dont ils ont besoin.

L’envoyée de l’ONU avait en particulier souligné le cas d’une communauté protestante de Bogor (Java-Ouest) qui ne peut toujours pas construire son lieu de culte en dépit d’un jugement rendu en sa faveur par la Cour suprême du pays. Pour le porte-parole de cette communauté, l’Eglise Taman Yasmin, c’est la liberté religieuse en Indonésie tout entière qui est menacée par l’action violente des groupuscules fondamentalistes et par l’incapacité des autorités publiques à faire respecter les décisions de justice. « L’Etat doit être en mesure de faire appliquer la loi et doit avoir le courage d’agir à l’encontre des groupes intolérants », a affirmé Bona Sigalingging, porte-parole de l’Eglise Taman Yasmin.

Outre l’hostilité latente à laquelle se heurtent les ahmadis en Indonésie, l’impossibilité pour les athées de s’afficher comme tels sur la scène publique, les difficultés récurrentes que rencontrent les communautés chrétiennes à élever ou restaurer leurs églises, voire la fermeture forcée de lieux de culte comme cela a été le cas récemment dans la province d’Aceh, les défenseurs de la liberté religieuse en Indonésie font valoir qu’ils ne rencontrent qu’un faible soutien de la part du pouvoir central.

Selon eux, si Susilo Bambang Yudhoyono, sous la pression notamment des Etats-Unis et de l’Australie, a fait montre d’une détermination sans faille pour combattre le terrorisme d’inspiration islamiste, pourchassant sans relâche les membres de ces organisations et multipliant les arrestations dans ces milieux, il a en revanche montré une curieuse incapacité à museler des organisations qui font peser sur la société un climat d’hostilité envers tout ce qui n’est pas perçu comme appartenant à l’orthodoxie islamique, comme le Front des défenseurs de l’islam. Ils soulignent notamment qu’il y a un paradoxe à voir le président plaider en faveur de l’harmonie interreligieuse à Bogor, la ville où précisément l’Eglise Taman Yasmin se voit refuser la possibilité d’édifier un temple pour le service de ses fidèles.

Le Quatrième Forum mondial pour la paix était organisé, du 24 au 26 novembre derniers à Bogor, par la Muhammadiyah, l’une des deux plus importantes organisations musulmanes de masse d’Indonésie. Elle avait bénéficié pour l’événement du soutien du Centre pour le dialogue et la coopération entre les civilisations, une organisation ayant son siège à Djakarta ainsi que de la Fondation pour l’éducation multiculturelle Cheng Ho, une organisation malaisienne.