Eglises d'Asie

Décès d’un ardent défenseur de la liberté chrétienne, le P. Etienne Chân Tin, rédemptoriste

Publié le 05/12/2012




Dans l’après-midi du 1er décembre 2012, le P. Etienne Chân Tin, religieux rédemptoriste, s’est éteint à l’âge de 92 ans, dans sa cellule du couvent des rédemptoristes de la rue Ky Dong, à Saigon, où il avait été ramené après un séjour de plusieurs semaines à l’hôpital. Le P. Chân Tin a sans doute été le représentant le plus emblématique et le plus passionné de la résistance chrétienne…

… aux empiétements du pouvoir politique sur l’autonomie de la société civile et sur la liberté de l’Eglise et des chrétiens, une résistance menée avant même l’arrivée au pouvoir du nouveau régime, en 1975, au Sud-Vietnam.

Tout au long de sa vie, le P. Chân Tin se fit un devoir de prendre la parole pour dénoncer l’oppression et l’injustice partout où elles se trouvaient. Ces interventions prirent des formes variées, orale (entretiens, interrogatoires, homélies), écrite (articles, lettres ouvertes) et utilisèrent largement le support informatique. L’essayiste Do Manh Tri, en 1993, a écrit un long article sur le P. Chân Tin :« Chân Tin ou le devoir de parole ». Le religieux rédemptoriste aimait à citer la phrase de saint Paul : « Pour lui, je souffre jusqu’à porter des chaînes comme un malfaiteur. Mais la parole de Dieu n’est pas enchaînée. » (2Tm 3,9).

Il était né le 15 novembre 1920 dans un petit village de la province de Thua Tien – Huê. En 1944, il prononce ses premiers vœux religieux dans la congrégation des rédemptoristes. En 1949, il est ordonné prêtre. Au cours des années qui vont suivre, la situation de son pays ne cessera de changer. La première guerre du Vietnam s’achève en 1954 avec la partition du pays en deux Etats. Une autre guerre s’engage quelques années après. A son issue, fin avril 1975, le Sud-Vietnam est absorbé par le Nord. Le Parti communiste essaye de s’imposer à la société civile. Les temps ont changé, les régimes se succèdent, le P. Chân Tin continue imperturbablement ses interventions, ses prises de parole, ses lettres ouvertes et, régulièrement, comparait devant les instances dirigeantes. Lors d’un entretien avec un secrétaire d’Etat à l’Intérieur, le 8 novembre 1989, il fera remarquer qu’avant 1975, les autorités dites « fantoches » lui faisaient les mêmes reproches, les mêmes accusations que celles qu’on lui infligeait aujourd’hui (EDA 87, Dossiers et documents, n° 6 E/90)

Après des études à Rome et l’obtention d’un doctorat, il est chargé, en 1953, de l’enseignement de la théologie au scolasticat rédemptoriste de Da Lat. On lui confie ensuite la direction de la très populaire revue Notre-Dame du perpétuel secours. C’est l’époque du concile Vatican II et, grâce à lui, la revue contribue grandement à la diffusion des idées et de la théologie conciliaires. Avec quelques prêtres et son ami Nguyên Ngoc Lan, il fonde ensuite la revue Dôi Diên (‘Faire face’) qui s’appellera aussi Dung Day (‘Levons-nous’) pour aider les chrétiens à faire face aux questions des temps modernes. Ses prises de position et surtout la campagne qu’il mène pour la libération des prisonniers politiques détenus par le gouvernement de l’époque lui attirent de nombreux ennuis de la part des autorités.

Après 1975, la revue sera autorisée pendant un temps à paraître, mais il ne gardera pas longtemps ce moyen d’expression qui sera bientôt interdit de parution. Cela ne l’empêchera toutefois pas de faire entendre sa voix, notamment face à la multiplication des violations des droits de l’homme, les centaines de milliers de prisonniers politiques parmi lesquels beaucoup de prêtres catholiques. En 1982, il est encore membre du Front patriotique, une organisation annexe du Parti communiste. Il envoie au Comité central du Front patriotique une lettre ouverte dénonçant vigoureusement le non-respect des droits de l’homme (« Droits de l’homme et liberté crique au Vietnam », Dossier Echange France-Asie, novembre 1982.)

Vient ensuite, en 1987-1988, la période où le pouvoir vietnamien essaie, par tous les moyens, d’empêcher la canonisation des martyrs du Vietnam. Avec plusieurs autres prêtres et laïcs, dont son ami Nguyên Ngoc Lan, le P. Chân Tin intervient publiquement pour soutenir et justifier cette canonisation (Dossier Echange France-Asie, n° 6/88, « Controverse autour des martyrs du Vietnam »). En 1989, les trois lettres ouvertes qu’il signe ou il inspire sont à l’origine d’un grand débat dans l’Eglise du Vietnam. La première, qui date du mois de juillet 1989, a été remise par lui au cardinal Etchegaray, qui effectue alors une visite officielle au Vietnam (EDA 73, Document annexe). Les deux autres, signées par des prêtres et des laïcs, sont adressées, l’une à la Conférence épiscopale du Vietnam, l’autre à l’archevêque de Hô Chi Minh-Ville (Lettre de chrétiens vietnamiens aux évêques du Vietnam EDA 79, Dossiers et documents, 16 janvier 1990). Toutes ces lettres appelaient l’Eglise à engager des relations directes avec l’Etat, dans l’indépendance et la dignité. Elles mettaient surtout en cause, avec virulence, le rôle joué par le « Comité d’union des catholiques patriotes » dans le dialogue entre l’Eglise et le pouvoir.

Pour la censure vietnamienne, le religieux rédemptoriste passe les bornes lorsque, dans sa troisième conférence de Carême, le 11 avril 1990, à Saigon, après avoir souligné les marques de repentir qui se sont manifestées dans les pays communistes en l’Europe de l’Est et en Union soviétique, il exhorte le pouvoir vietnamien à un examen de conscience approfondie et à un repentir sincère (E.DA 87, dossiers et documents, n° 6 F/90). Un peu plus d’un mois plus tard, le 16 mai 1990, une mesure administrative du Comité populaire de Hô Chi Minh-Ville condamne le religieux rédemptoriste à l’exil dans une petite paroisse du district de Duyên Hai et son collaborateur Nguyên Ngoc Lan à la résidence surveillée à son domicile. Cette mesure, était-il précisé, était destinée à réprimer des activités « portant atteinte à la sécurité nationale » et « à renforcer la politique de liberté de croyance ».

A sa libération, le 13 mai 1993, loin de se retirer du combat pour la liberté, il continuera inlassablement ses interventions publiques, ces lettres ouvertes au sujet de l’actualité religieuse, sociale et politique. Il apportera son soutien aux dissidents, aux accusés des procès politiques. Il sera un collaborateur de la revue du groupe d’opposition, le bloc 8406. La dimension de cet article ne permet pas d’énumérer toutes ses interventions. Elles ont été, pour la plupart, rapportées dans différents articles d’Eglises Asie.

A Saigon, dans la foule (plus de cent prêtres et un millier de fidèles) qui priaient autour du cercueil du P. Etienne Chân Tin, le 4 décembre dernier, en l’église de Notre-Dame du perpétuel secours, on comptait beaucoup d’amis et de compagnons de lutte du défunt mais aussi un certain nombre d’autres qui, durant ces temps troublés, s’étaient affrontés à lui. Dans son homélie, le provincial des rédemptoristes vietnamiens, le P. Vincent Pham Trung Thanh, a rappelé que le pardon est non seulement le grand commandement chrétien, mais aussi un élément de la culture traditionnelle vietnamienne qui exige que l’on pardonne et se réconcilie autour des défunts.