Eglises d'Asie

Les chrétiens surreprésentés en politique ?

Publié le 17/12/2012




Le 19 décembre prochain, les électeurs sud-coréens désigneront celui qui sera leur président pour un mandat de cinq ans. Si l’on ne peut dire aujourd’hui qui sortira vainqueur des urnes, une certitude est que celui – ou celle – qui deviendra le 19ème locataire de la Maison Bleue, siège de la présidence, sera un chrétien, et pour être plus précis un catholique.

Dans un pays profondément marqué par le confucianisme et le bouddhisme et où le fond chamanique affleure souvent, les Eglises chrétiennes sont très présentes : les protestants, à travers de très nombreuses dénominations, réunissent quelque 18,3 % de la population et les catholiques un peu moins de 11 % des 48,5 millions de Sud-Coréens.

Cette année, quelle que soit l’issue de la présente campagne pour les présidentielles, on peut être certain que le prochain président du pays aura été baptisé dans la foi catholique. En effet, que ce soit Juliana Park Geun-hye, du Parti de la nouvelle frontière (Saenuri Party), membre de la majorité conservatrice sortante, ou Timothy Moon Jae-in, du Parti démocratique uni (centre gauche), tous deux ont reçu le baptême dans l’Eglise catholique. Si Park Chong-hee, qui dirigea le pays d’une main de fer de 1962 à 1979, n’était pas chrétien, il est bien connu que sa fille Juliana Park Geun-hye a été baptisée lors de ses études à l’Université Sogang, un établissement jésuite. Aujourd’hui, son entourage la décrit comme athée et, au cours de la campagne électorale qui s’achève, Mme Park a pris soin de s’afficher auprès des principaux responsables religieux des plus importantes religions présentes en Corée du Sud.

Quant à Timothy Moon Jae-in, son appartenance à la religion chrétienne est un trait qu’il partage avec un grand nombre de militants des droits de l’homme et de la démocratie en Corée du Sud. Au cours de la campagne, Moon n’a d’ailleurs pas cherché à cacher le fait qu’il était un catholique pratiquant mais il a tenu à clarifier les choses en ne mettant pas en avant son appartenance religieuse dans son engagement politique.

Dans un pays où les catholiques constituent une minorité – en croissance certes mais une minorité tout de même (10,9 % des Sud-Coréens se réclament du catholicisme) –, le fait que deux des principaux candidats à l’élection présidentielle de ce 19 décembre soient de religion catholique pourrait surprendre. Mais il suffit de se rappeler que les quatre derniers présidents étaient tous chrétiens, catholiques ou protestants. En 1992, le presbytérien Kim Young-sam l’emporte sur son adversaire, le catholique Thomas More Kim Dae-jung. Cinq ans plus tard, en 1997, Kim Dae-jung est élu à la présidence, face à un autre catholique, Olaf Lee Hoi-chang. En 2002, celui-ci perd à nouveau, les électeurs portant à la présidence Justo Roh Moo-hyun, un catholique lui aussi (mais bien qu’il ait choisi de se faire baptiser à l’âge adulte, ce dernier a toujours voulu rester discret sur cet aspect de sa vie). Aux élections de 2007 enfin, face au catholique David Chung Dong-young et à trois autres candidats, tous catholiques, c’est le presbytérien Lee Myung-bak qui est élu.

Une telle succession d’élus chrétiens pourrait amener à se demander si la magistrature suprême en Corée du Sud n’est pas de facto réservée à un chrétien. La réponse est bien entendu négative et la Constitution du pays interdit toute discrimination fondée sur l’appartenance religieuse. De plus, les études électorales le montrent ; la très grande majorité des électeurs ne se déterminent pas dans l’isoloir en fonction de critères religieux, tout du moins en fonction de l’appartenance religieuse de tel ou tel candidat.

Demeure cependant la question de la surreprésentation des chrétiens parmi les candidats à la présidence et les présidents eux-mêmes. Selon les analystes, cette surreprésentation ne fait que refléter la surreprésentation des chrétiens en politique. Ainsi, sur les 299 députés que comptait l’Assemblée nationale (monocamérale) élue en avril 2008, on dénombrait 191 chrétiens (110 protestants et 81 catholiques), soit près de 64 % des élus (1). Selon Joseph Pak, journaliste basé à Séoul, « la seule réponse possible à cette question est à chercher du côté de la contribution que les catholiques ont apportée au long combat en faveur de la démocratie ». De fait, depuis la fin des années 1960, l’Eglise catholique de Corée a activement pris part aux luttes pour la démocratie, tout d’abord la démocratie politique, puis la démocratie sociale. Quant au succès du protestantisme, en particulier des Eglises presbytériennes, des études ont montré que leur popularité s’enracinait dans la résistance contre l’occupant japonais du temps de la colonisation de la péninsule par le Japon (1910-1945).

Héritage de cette histoire et du maillage actuel de la société par un réseau d’institutions sociales et éducatives, l’empreinte des valeurs chrétiennes sur le pays est réelle, analyse encore Joseph Pak. « Les valeurs d’équité, de justice, de courage, de générosité, de compassion et de sacrifice de soi ne sont pas en elles-mêmes des valeurs chrétiennes mais en Corée, les Eglises chrétiennes les ont incarnées à un moment où les autres ne le faisaient pas. Or, ce sont des vertus qui sont attendues de la part d’un dirigeant politique. Et je constate que, ces dernières années, les Coréens ont choisi leurs élus en fonction des qualités de leadership dont ceux-ci pouvaient faire montre. Leurs choix n’ont pas été dictés par des considérations liées à l’appartenance religieuse mais, de toute évidence, l’appartenance au christianisme ne constitue pas un obstacle, y compris donc chez les électeurs non chrétiens – qui sont la majorité », conclut le journaliste.