Eglises d'Asie

Aide humanitaire à l’étranger : quand un appareil photo jetable contribue à changer les regards

Publié le 31/12/2012




Sensible au poids de l’image dans les sociétés développées, le P. John Cha Poong, prêtre catholique du diocèse d’Uijeongbu (Uijongbu), en Corée du Sud, cherchait le meilleur moyen de sensibiliser ses concitoyens à la nécessité d’aider les populations des pays moins développés économiquement. En 2009, en collaboration avec un photographe ami Kim Young-joong, …

… il eut l’idée de distribuer des appareils photographiques jetables à des enfants de Zambie, à charge pour eux de photographier leur quotidien. Le résultat n’a pas été celui auquel il s’attendait.

Ici, en Corée, explique le prêtre, « de manière habituelle, nous avons à l’idée que les Africains meurent de faim et, d’une certaine manière, c’est la réalité : il y a là-bas des situations tragiques et révoltantes et nous avons souvent le sentiment qu’il n’existe pas d’issue pour ces populations ». Face à cette image de l’Afrique, le réflexe « que nous avons est de leur donner de l’argent pour les aider », poursuit-il en ajoutant que, de fait, les ONG sud-coréennes engagées dans un travail d’aide humanitaire sur ce continent ont recours, pour leurs campagnes de communication en Corée, à des photos montrant « la misère telle qu’on peut la percevoir de l’extérieur ».

En 2009, le photographe Kim et le P. Cha ont lancé le projet « Un appareil photo pour rêver » avec cette idée en tête : qui d’autres que les enfants d’Afrique pourraient le mieux rendre compte du quotidien qui est le leur ? Pour cela, des centaines d’appareils photo jetables ont été distribués à des enfants zambiens ; en 2011, le prêtre catholique était au Burundi puis en Mongolie et au Laos pour faire de même ; cette année, c’était au tour du Sri Lanka ; l’an prochain, ce sera le Cambodge et le Tchad.

A partir des milliers de photos ainsi recueillies, une exposition a été montée et accrochée en dix-sept lieux différents de la Corée. Pour le P. Cha, le résultat s’est révélé bien différent de ce à quoi il s’attendait initialement. Si bon nombre des photos prises par les enfants ne cache rien de ce que peut être la vie dans des pays figurant parmi les plus pauvres de la planète, ces images ne cadrent en rien ou presque avec les « visuels » habituellement utilisés par les organisations caritatives et les ONG d’aide humanitaire pour susciter la générosité de leurs bienfaiteurs.

Sur les photos, « les enfants rient, ils rient tous aux éclats », explique le prêtre. « Les photos prises par les enfants montrent leurs compagnons de jeux ou leurs parents tout sourire, même si leur environnement de vie est marqué par la pauvreté. Il y a là une grande différence entre ce que nous voyons avec notre regard et ce qu’eux-mêmes voient à travers leurs rêves et leurs espoirs », poursuit-il.

L’impact de ces images sur le public sud-coréen est frappant, analyse-t-il encore. Un jour, à l’une des expositions, une femme, mère de famille, s’est mise à pleurer en regardant les photos. « Je lui ai demandé pourquoi et elle m’a répondu : ‘Mes enfants ne rient pas et ne sourient pas comme ces enfants-là. Ils n’ont pas de rêve.’ », raconte le P. Cha, qui poursuit : « Les enfants (en Corée) ont beaucoup plus de biens matériels à leur disposition que ces enfants dans les pays pauvres et, à la vérité, s’ils demandent quelque chose, ils l’obtiennent ou l’auront sans délai. Mais, au fond, ils n’ont plus de rêve. »

Face au succès de l’exposition photo, le P. Cha se trouve désormais embarqué dans un projet d’aide humanitaire dont l’ampleur le dépasse un peu mais qu’il tient à maintenir dans des proportions modestes. Si au départ il n’avait pas pour ambition d’apporter de l’aide aux enfants auxquels il distribuait des appareils photo, au fil de ses visites sur le terrain, trois ou quatre fois par an, il a entendu leurs demandes pour une aide concrète. « Au départ, c’était pour l’eau potable. Nous avons financé le forage de puits. Puis ils avaient besoin de livres, de cahiers et des crayons ainsi que d’éclairage pour étudier », explique-t-il en précisant que les droits tirés de l’exploitation commerciale des photographies des enfants-photographes ainsi que des dons financent ces actions humanitaires. « Nous ne pouvons réunir suffisamment d’argent pour tout ce dont ils ont besoin. Nous faisons seulement ce que nous pouvons », témoigne-t-il.

En six mois de visite dans les paroisses d’Uijongbu, diocèse de la banlieue nord de Séoul, le prêtre a rassemblé de quoi remplir un container entier de libres en anglais et en français pour la Zambie. Les dons comprennent aussi des lampes solaires et des lunettes de vue. Une de ses plus grandes satisfactions est d’avoir contribué à changer le regard de ses concitoyens sur « les pauvres » et l’aide à leur apporter. « Nous pensons qu’ils sont pauvres et qu’ils ont besoin d’aide. Nous n’essayons pas de les connaître. Or, pour aider quelqu’un, il faut connaître sa situation, son contexte de vie, sa culture. Il y a une grande différence entre aider quelqu’un sans le connaître et apprendre à le connaître pour l’aider », conclut-il.

Mettant en avant sa propre expérience, qui est celle d’être passé de pays bénéficiaire à pays donateur, la Corée du Sud, que ce soit à travers l’aide publique au développement ou l’action des ONG issues de la société civile, est devenue depuis un peu plus d’une dizaine d’années un acteur important de l’aide internationale. En 2011, le « Quatrième forum sur l’efficacité de l’aide », une conférence de haut niveau dans le domaine de l’aide publique, s’est tenu à Busan (Pusan). En rédigeant le « Busan Partnership for Effective Development Cooperation », le forum de Busan a élargi le champ de discussion de « l’efficacité de l’aide » à « l’efficacité du développement ». A l’avenir, écrit le ministère sud-coréen des Affaires étrangères, la Corée ambitionne de jouer « un rôle de passerelle pour renforcer le partenariat entre les différents acteurs en la matière que sont les pays donateurs anciens, les donateurs émergents, les pays bénéficiaires et les donateurs privés ».