Eglises d'Asie

Chrétiens et ONG réclament au gouvernement une enquête sur les « personnes portées disparues »

Publié le 14/01/2013




« Il s’agit d’un phénomène grave et préoccupant qui, au fil des ans, a concerné différents responsables chrétiens au Laos dont parfois les familles entières ont disparu sans laisser de traces », rapporte l’agence Fides dans une dépêche datée du 12 janvier. Ce fut le cas notamment de la famille du leader protestant Boontheong, de la province de Luang Namtha, et du chrétien Khamsone Baccam, de la province d’Udomsay.

Dans une lettre ouverte envoyée au président du Laos le 11 janvier dernier, Christian Solidarity Worldwide (CSW), ONG chrétienne luttant pour la liberté religieuse, a appelé le gouvernement à lancer des investigations urgentes sur ces « disparitions de chrétiens ».

Boontheong, un chrétien d’ethnie khmu, a disparu le 3 juillet 2004 avec son épouse et son fils de 7 ans. Peu auparavant, il avait été menacé à cause de sa foi chrétienne et emprisonné par la police locale. Depuis bientôt huit ans, personne n’a de nouvelles de lui ni de sa famille.

Khamsone Baccam, un autre Laotien converti au christianisme, a disparu en janvier 2007. La dernière fois qu’il a été vu vivant, c’est lorsque son épouse l’a vu monter dans un véhicule de police. Cela fait des années que CSW et différentes ONG comme Human Rights Watch for Lao Religious Freedom (HRWLRF) ou encore Amnesty International demandent au gouvernement d’enquêter sur ces chrétiens « portés disparus ».

Dans sa lettre de janvier 2013, tout en soulignant « les récentes améliorations en matière de liberté religieuse », le CSW a rappelé que la communauté chrétienne continuait cependant de souffrir de fortes discriminations, de détentions arbitraires et d’accusations permanentes de « collusion avec les puissances étrangères ». En octobre dernier, le président de l’ONG, Mervyn Thomas, avait déclaré s’inquiéter grandement de « la persistance et même de l’augmentation de la répression religieuse persistant dans plusieurs parties du pays ».

Selon la Lao Evangelical Church (LEC), seul organisme protestant reconnu officiellement par l’Etat, il y aurait environ 45 000 catholiques et plus de 100 000 chrétiens protestants de différentes dénominations au Laos, sans compter les nombreuses « Eglises domestiques » (principalement évangéliques), lesquelles ne sont pas comptabilisées dans les statistiques mais souffrent le plus des discriminations antichrétiennes.

CSW conclut sa lettre ouverte en demandant au gouvernement de faire respecter la liberté de religion inscrite dans la Constitution du pays, ainsi que la Convention des droits civils et politiques (ICCPR), ratifiée par le Laos en 2009.

Le phénomène des « disparitions inexpliquées » ne touche pas que la communauté chrétienne : depuis longtemps, les ONG dénoncent des disparitions de manifestants, intellectuels, activistes et différentes personnes considérées comme « indésirables » pour leur rôle politique ou social.

Le mois dernier était ainsi subitement porté disparu Sombath Somphone, célèbre militant pour les droits de l’homme. Agé de 60 ans, Sombath, un bouddhiste connu pour son engagement en faveur du développement rural et de l’amélioration de la condition paysanne, s’était opposé récemment à différents projets du gouvernement, dont le barrage hydroélectrique de Xayaburi (1). Directeur du Participatory Development Training Center, il avait notamment reçu en 2005 le Ramon Magsaysay Award, équivalent asiatique du prix Nobel, pour l’ensemble de son travail dans le domaine du développement.

Sombath a été vu pour la dernière fois à un check-point de Ventiane, la nuit du 15 décembre 2012, où des images de vidéo-surveillance ont révélé qu’il avait été emmené par deux policiers en civil. Depuis nul ne sait ce qu’il est devenu et le gouvernement continue d’affirmer n’avoir « aucune idée de ce qui lui est arrivé », après avoir évoqué dans un premier temps la possibilité d’un « un différend privé ».

De nombreuses ONG ont sommé le gouvernement laotien de lancer une enquête et ont appelé l’ASEAN (Association des nations du Sud-Est asiatique) à intervenir au nom de la Déclaration universelle des droits de l’homme. Lors d’une réunion à Bangkok la semaine dernière, Jon Ungpakorn, membre de la Commission thaïlandaise des droits de l’homme, a déclaré que le règlement de cette affaire était vital pour la crédibilité de l’ASEAN. « Malheureusement, a-t-il ajouté, la plupart des pays de l’ASEAN sont pour le principe de non-ingérence. Mais ici le gouvernement de la République démocratique populaire lao qui se doit d’apporter des réponses [concernant cette disparition] refuse d’assumer ses responsabilités. »

La disparition du militant semble d’autant plus inquiétante qu’elle est intervenue quelques jours seulement après la décision prise par la Commission du Mékong (2), au grand désappointement des autorités laotiennes, de suspendre le 8 décembre dernier la construction du barrage de Xayaburi – travaux que dénonçait justement Sombath –, afin de mieux en étudier l’impact écologique.

Une importante mobilisation internationale s’est rapidement mise en place, exigeant des autorités laotiennes qu’elles donnent des explications sur la disparition du militant : après la publication le 20 décembre d’une lettre ouverte signée de 132 intellectuels de différents pays d’Asie, les déclarations des pays membres de l’ASEAN, des ONG telles Human Rights Watch, Amnesty International, HRWLRF ou encore CSW, le Haut Commissaire aux droits de l’homme de l’ONU a exprimé « sa grande préoccupation » tandis que le département d’Etat américain s’est déclaré « très inquiet pour la sécurité » de l’activiste.