Eglises d'Asie

Mindanao : de nouveaux affrontement ensanglantent le traité à peine signé

Publié le 28/01/2014




Ce lundi 27 janvier 2014 ont éclaté de nouveaux affrontements entre les militaires philippins et les factions séparatistes islamistes à Mindanao, alors que la dernière phase du « plan d’autonomie » du futur Bangsamoro (« Terre des Moros ») venait d’être signée ce week-end entre Manille et le Front moro de libération islamique (MILF). 

La communauté internationale s’était félicitée, samedi 25 janvier dernier, de la signature de cet « accord historique » entre les anciens acteurs de la guérilla indépendantiste moro, le MILF (1), et le gouvernement philippin, à Kuala Lumpur en Malaisie, pays médiateur. Après quarante ans de conflit (2) et de longues et difficiles tractations entre les parties, il s’agissait de ratifier la dernière étape, selon l’accord établi en 2012 (3), du Comprehensive Agreement on the Bangsamoro (CAB), devant aboutir à la création d’une zone semi-autonome à Mindanao, administrée par la minorité musulmane, très implantée dans cette partie sud de l’archipel.

Ce lundi, Catherine Ashton, Haut Représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères, avait encore salué le traité du 25 janvier comme « l’heureux dénouement de longues négociations de paix », tandis que le secrétaire d’Etat américain John Kerry avait assuré les Philippines du soutien des Etats-Unis pour cette « dernière étape (…) qui offrait une promesse de paix, de sécurité et de prospérité économique, pour l’aujourd’hui et le demain des générations futures à Mindanao ».

Mais parallèlement à ces congratulations internationales, parvenaient différents rapports de plusieurs régions de Mindanao signalant que les combats entre les forces armées philippines et les membres du BIFF dissident (4) venaient de reprendre avec un regain de violence.

En 2008, les Combattants islamiques bangsamoros pour la liberté (Bangsamoro Islamic Freedom Fighters, BIFF) faisaient sécession avec le MILF, l’accusant de trahir les revendications d’indépendance du peuple moro. Depuis, les miliciens du BIFF, qui ont fait rapidement connaître leur intention de saboter le processus de paix et de continuer la lutter pour l’indépendance totale du Bangsamoro, multiplient les attaques et les prises d’otages.

« Nous continuerons à nous battre », a déclaré le porte-parole du BIFF, Abu Misri, samedi dernier, alors que la quatrième et dernière phase de l’accord était signée à Kuala Lumpur. « Ce que nous voulons, c’est un Etat islamique, une population islamique, une Constitution islamique », a-t-il martelé. Une déclaration qui s’élevait en contradiction aux propos que venait de prononcer le vice-président du MILF, Ghadzali Jaafar, lequel se faisait « l’interprète du peuple bangsamaro » pour assurer que « le souhait [de celui-ci] était d’avoir son propre gouvernement, tout en restant au sein de la République des Philippines ».

Ce lundi 27 janvier au matin, il était fait état de « quelques escarmouches » sans conséquences entre la police et 25 miliciens du BIFF contre lesquels avaient été délivrés des mandats d’arrêt pour des crimes commis l’an passé (meurtres et prises d’otages). Quelques heures plus tard, le porte-parole de l’armée philippine à Mindanao, le colonel Dickson Hermoso ,expliquait que des combats avaient éclaté par la suite, obligeant les militaires à attaquer l’un des bastions du BIFF dans la municipalité de Sultan-sa-Barongis (province de Maguindanao), provoquant l’évacuation de civils, sans qu’il n’y ait toutefois eu de victimes.

Mais au fil des heures, les rapports des municipalités ainsi que des ONG présentes sur place faisaient parvenir aux médias des informations très différentes sur la situation à Mindanao. Selon le porte-parole du BIFF, Abu Misry Mama, les affrontements avaient éclaté après l’attaque de la muncicipalité de Sultan-sa-Barongis par l’armée avec des tirs de mortier. Des affirmations qui étaient confirmées peu après par le Centre d’action pour les droits de l’homme de Mindanao, lequel rapportait que des centaines de civils avaient fui leurs maisons pour tenter de trouver refuge à Poblacion, située dans la municipalité voisine de Datu Piang, à la suite de bombardements militaires à l’arme lourde.

Des affirmations vigoureusement démenties par le colonel Dickson Hermoso, s’exprimant dans l’édition du Philippine Star du lundi 27 janvier. « Il s’agissait seulement de protection anti-aérienne », a -t-il déclaré, assurant que cela pouvait être dû à différentes causes, parmi lesquelles des « évacuations médicales ou des tentatives d’intimidation des rebelles ».

Le journal philippin précise cependant que les affrontements en question datent de dimanche après-midi et que différentes attaques ont été rapportées dans d’autres régions de Mindanao par les autorités des municipalités concernées.

A Pikit, située dans le Cotabato-Nord tout proche, à Datu Piang, dans le Maguindanao, ou encore dans la municipalité de Kabasalan (province de Zamboanga Sibugay), des opérations militaires nocturnes avec des bombardements dans la nuit de samedi à dimanche auraient également forcé à fuir des centaines de civils.

Les responsables municipaux de Datu Piang ont rapporté que des échanges de coups de feu et des explosions avaient été entendus simultanément dans différents districts en plein milieu de la nuit, causant un vent de panique parmi les habitants. Toute la journée de dimanche, les échos des affrontements à Sultan-sa-Barongis avaient résonné dans la région, affirment-ils encore.

Au soir d’une journée entrecoupée de communiqués contradictoires, Dickson Hermoso a donné, ce lundi, une nouvelle  version des événements, aux journalistes de l’AFP. Le 26 janvier, l’armée, appuyée par les forces paramilitaires et la police, a-t-il déclaré, a lancé une « opération ciblée » contre les rebelles du BIFF, bombardant leurs positions avec des canons et des mortiers. Le porte-parole de l’armée a cependant déclaré ne pas vouloir fournir trop de détails de peur de nuire à l’avancée des troupes.

L’AFP, qui rapporte les propos du colonel Hermoso, affirme qu’au moins 17 rebelles auraient été tués lors de ces affrontements, mais que les forces gouvernementales « ne compteraient selon eux aucune victime pour le moment dans leurs rangs ».

Toujours selon le porte-parole de l’armée, ces affrontements n’auraient aucun rapport avec la signature du traité de samedi. Ces « opérations de renforcement de la loi », menées conjointement avec la police, étaient déjà entamées avant le rendez-vous de Kuala Lumpur, a affirmé le colonel Hermoso, et « avaient pour but d’arrêter ceux qui avaient  commis des crimes dans les régions de Maguindanao et de Cotabato ». Le porte-parole de l’armée explique encore que le MILF s’est allié aux militaires pour lutter contre le BIFF, ce que confirme à son tour auprès de l’AFP, le porte-parole de la faction armée du MILF, Von al-Haq, lequel explique que « les zones où vivent leurs propres communautés ont été sécurisées pour que les membres du groupe séparatiste n’y pénètrent pas ».

Au soir de ce lundi 27 janvier, il est rapporté par différents médias locaux que les combats se poursuivent toujours dans les municipalité de Basikil, Datu Piang et Shariff Saydona Mustafa.

(eda/msb)