Eglises d'Asie – Philippines
Mindanao : alors que le conflit se durcit, le cardinal de Manille appelle au dialogue
Publié le 23/09/2013
Cet affrontement vient s’ajouter à la série des attaques qui se sont succédées depuis le 9 septembre dernier sur l’île, mettant en péril le fragile processus de paix engagé depuis plusieurs années entre Manille et les groupes rebelles armés de cette partie de l’archipel où la minorité musulmane est importante.
Lundi 23 septembre, vers 2 heures du matin, des hommes du Bangsamoro Islamic Freedom Fighters (BIFF) (1) ont attaqué quatre villages à Midsayap, avant de battre en retraite face aux troupes armées philippines, a indiqué l’AFP. Lors des échanges de tirs, un soldat a été tué et un autre a été blessé, tandis que quatre combattants du BIFF étaient touchés mortellement. Pour couvrir leur fuite, les rebelles ont emmené avec eux une quinzaine d’otages ; des instituteurs et onze agriculteurs, dont certains ont ensuite été relâchés, a rapporté cet après-midi le porte-parole de l’armée, le lieutenant-colonel Dickson Hermoso. Un responsable religieux musulman serait en train de négocier la libération des otages encore aux mains des rebelles. Ces derniers continueraient d’échanger des coups de feux avec l’armée dans une chasse-poursuite qui à l’heure actuelle ne serait toujours pas achevée.
Selon Abu Misry Mama, porte-parole du BIFF, cette attaque « n’aurait rien à voir avec ce qui se passe en ce moment à Zamboanga », où les affrontement se poursuivent toujours ce lundi 23 septembre. Depuis exactement quatorze jours en effet, la ville portuaire de Zamboanga, située dans la province du même nom, à l’extrême sud-ouest de l’archipel, est le théâtre de violents combats entre les forces de l’ordre et un commando du Front moro de libération nationale (MNLF)).
Lundi 9 septembre dernier, environ 200 combattants du MNLF (2) venus par la mer déferlaient sur la ville de Zamboanga afin de protester contre le traité passé entre le gouvernement et son rival le MILF (3). Refoulés par les forces de l’ordre, les rebelles se retranchaient alors dans trois quartiers de la banlieue de Zamboanga, après avoir pris en otages près de 200 civils avec l’intention de s’en servir comme « boucliers humains ».
Encerclés par les forces spéciales et 4 500 soldats qui ont été déployés dans la ville, quelques dizaines de combattants islamiques continuent toujours ce lundi 23 septembre de résister, repliés dans un chapelet de maisons avec leurs derniers otages.
Selon le porte-parole de la police de la région, Ariel Huesca, les rebelles seraient moins d’une cinquantaine à présent, la moitié d’entre eux ayant été tués et d’autres ayant été capturés ou s’étant rendus. Les otages seraient quant à eux une vingtaine, plus de 170 d’entre eux ayant été libérés ou ayant réussi à s’échapper (4).« Nous sommes maintenant engagés dans un combat de rue presque au corps à corps ; nous allons de maison en maison, de pièce en pièce », explique ce lundi le porte-parole de l’armée, le lieutenant -colonel Ramon Zagala à l’AFP.
Dès le week-end dernier, le gouvernement philippin avait annoncé l’imminence de la victoire sur les rebelles désormais encerclés. Pourtant jeudi 12 septembre, un autre groupe armé de près de 200 personnes, se réclamant du BIFF, du MNLF et du groupuscule terroriste Abu Sayyaf, avait tenté une opération de diversion en attaquant la ville de Lamitan, enclave catholique située sur Basilan, île proche de Zamboanga. Le lendemain, vendredi 13 septembre, à Zamboanga, le MNLF avait libéré un otage, un prêtre catholique, le chargeant de transmettre une demande de cessez-le-feu et la promesse de Manille de laisser repartir les combattants rebelles librement.
« Nur Miisuari [le leader du MNLF] devra rendre des comptes », a déclaré en réponse le président Aquino dimanche 22 septembre, ajoutant que « le ministère de la Justice le poursuivrait pour actes criminels ». Arrivé à Zamboanga le 13 septembre pour diriger les opérations, Benigno Aquino avait aussitôt donné l’ordre de lancer l’assaut contre les insurgés, décidé à ne pas voir se reproduire les événements de 2001 (5). Dès lundi 16 septembre, des tirs de roquettes visaient l’île de Basilan, dispersant les alliés du MNLF, tandis que l’armée entreprenait la reconquête des quartiers où s’étaient retranchés les indépendantistes.
Samedi 21 septembre, alors que la tension était à son comble, le cardinal Luis Antonio Tagle, archevêque de Manille, a tenu à rappeler la position de l’Eglise catholique dans la « crise de Zamboanga », demandant au gouvernement et à tous les acteurs du conflit que « soit privilégiée à tout prix la voie du dialogue ». S’exprimant depuis Rome où il était en déplacement, l’archevêque a voulu marquer son soutien à la grande manifestation suivie d’une veillée pour la paix qui se déroulaient au même moment dans la capitale des Philippines. « Nous espérons un effort de dialogue et une solution négociée à [cette] crise ; en tant qu’Eglise, nous unissons nos voix à celles des évêques de Mindanao, demandant de construire la paix dans le sud des Philippines », a déclaré Mgr Tagle.
Reprenant l’analyse faite par les évêques des Philippines dans leur déclaration du 16 septembre dernier, selon laquelle « l’action des rebelles du MNLF trouvait sa source dans les négociations que Manille avait menées avec leur rival du MILF », le cardinal soulignait que si « la situation de Mindanao était complexe et délicate », il ne pouvait être question pour l’Eglise d’accepter « la destruction des biens et propriétés, l’évacuation et la souffrance des civils et toute forme de violence », et que « la voie pour résoudre toute controverse restait le dialogue. »
Le bilan provisoire des combats depuis le 9 septembre est estimé ce lundi 23 septembre au soir à plus de 120 morts (dont au moins 102 guérilleros et une quinzaine de soldats et de policiers), 117 rebelles capturés et plus de 120 blessés dans les deux camps. Du côté des civils, le bilan est également très lourd ; 12 personnes tuées, 49 blessés, des milliers de maisons brûlées, et quelque 111 000 réfugiés de Zamboanga s’entassant dans des conditions sanitaires désastreuses dans les stades, écoles, églises et mosquées environnants.