Eglises d'Asie

La résistance des militants se durcit sur l’île de Jeju où se poursuit la construction d’une base militaire

Publié le 11/01/2013




Ayant passé outre la décision de l’Assemblée nationale de suspendre les travaux pendant 70 jours à partir du 1er janvier 2013, les constructeurs de la future base navale de Jeju ont remis au travail les ouvriers qui « s’activent jour et nuit » … 

afin de rattraper le retard engendré par le typhon de l’été dernier et le blocage des opposants. Ces derniers poursuivent néanmoins leurs manifestations malgré le renforcement du dispositif policier et la multiplication des arrestations.

Mardi 8 janvier, un groupe de handicapés en fauteuil roulant a bloqué toute la nuit l’accès au chantier, avant d’être évacué avec violence par les forces de l’ordre. La veille, ils étaient plusieurs militants pacifistes et catholiques en prière devant l’entrée du site, dénonçant la violation des dix semaines d’arrêt du chantier prescrits par le Parlement afin de procéder à des vérifications de sécurité. Sur le site internet des activistes, Save Jeju Now, un compte à rebours symbolique a commencé, dénombrant le nombre de jours violés par les entreprises de construction de la base militaire.

Depuis que le projet de base navale militaire sur l’île a été dévoilé en 2007, la population de Jeju (Cheju), n’a cessé de montrer son opposition à ce quelle estime être un désastre écologique et une menace pour la paix. La base militaire qui devrait s’étendre sur 40 hectares à partir du village de pêcheurs de Gangjeong, est censée accueillir plus de 20 bâtiments de guerre sud-coréens ainsi que d’éventuels navires américains.

Décrite comme un paradis naturel, Jeju surnommée « l’île de la paix » (1), est la première destination romantique des couples sud-coréens. L’île compte trois sites inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO et abrite un écosystème marin riche et diversifié dont des espèces protégées de dauphins et de coraux. Dénonçant le fait que la faune et la flore exceptionnelles de Jeju allaient être irrémédiablement détruites par la base, les opposants au projet soulignent également la nécessité de préserver la vocation de « l’île de la paix » sur laquelle sont aujourd’hui implantés plusieurs lieux de culte et centres de retraites religieux, dont des temples bouddhistes et des églises catholiques. De plus, pour tous les militants, il ne fait aucun doute que l’installation d’une base militaire sur cette île, qui occupe un emplacement stratégique en mer de Chine orientale, loin de pacifier la région, sera ressentie comme une provocation par ses voisins nord-coréens et chinois.

Rapidement rejoints et soutenus dans leur démarche par des organisations pacifistes, des écologistes mais aussi l’Eglise catholique, des congrégations missionnaires ainsi que des groupes issus de différentes religions, les habitants de Jeju se sont mobilisés pour lutter contre la construction de la base militaire, manifestant, organisant des marches et des pétitions afin de faire entendre leur désaccord. Depuis 2011, l’intensification de la répression des manifestations, ainsi que la multiplication des arrestations et emprisonnements d’activistes ont marqué le durcissement de Séoul et la détermination du pouvoir politique à achever coûte que coûte la base navale avant 2014. L’élection en décembre dernier de Juliana Park Geun-hye (Saenuri Party), fille du dictateur Park Chong-hee, a encore accentué la tendance et des consignes ont été données pour accélérer la construction et forcer les barrages de manifestants qui ralentissent les travaux depuis des mois. Déjà plus de 690 militants ont été arrêtés depuis 2011 par les 130 000 policiers qui ont été envoyés sur l’île, et les manifestations sont réprimées de plus en plus violemment.

Le 24 octobre dernier, le P. Lee Young-chan, l’un des jésuites les plus impliqués dans le mouvement de résistance, a été arrêté pour avoir tenté de défendre une militante molestée par la police lors d’une manifestation. Peu avant Noël, des appels à la libération du prêtre catholique et des autres activistes incarcérés avaient de nouveau été lancés par la Commission ‘Justice et Paix’ de la Conférence des évêques de Corée du Sud (CBCK) ainsi que par la Province de la Compagnie de Jésus qui publiait ce communiqué : « Alors que nous sommes dans l’attente de Noël et de l’espérance que représente la naissance de Jésus, nous avons à nous rappeler qu’en Corée, un jésuite passera la fête de la Nativité en prison pour s’être levé pour la justice. »

Le P. Lee a finalement été relâché sous caution le 26 décembre dernier, suivi de près par Kim Bok-Chul, arrêté le 14 juin et libéré le 3 janvier, à l’issue de 206 jours de détention, le record de la plus longue incarcération parmi les opposants à la base de Jeju. Park Seung-Ho, un militant arrêté lors d’une manifestation en septembre, est quant à lui toujours en prison.

L’arrestation du P. Lee Young-chan a été l’occasion pour la CBCK de réaffirmer publiquement son soutien à la cause des manifestants de Jeju, à laquelle l’Eglise s’est associée dès le début (2). Quant aux jésuites sud-coréens, dont le P. Lee est le deuxième prêtre a être emprisonné pour avoir soutenu les protestataires, ils ont déclaré que « [la communauté internationale] ne comprenant pas que la situation à Jeju la concernait elle aussi », ils avaient décidé de « sensibiliser à la question l’ensemble des provinces jésuites, en particulier celles de l’Amérique du Nord et de l’Asie-Pacifique ».

Le P. Joseph Kim Chong-uk , également jésuite, a été en effet arrêté puis incarcéré avec deux pasteurs protestants lors des manifestations de mars 2012 (3). Le prêtre catholique, qui a été libéré depuis, continue toujours de dénoncer la répression des opposants à la construction de la base de Jeju. Près de 60 contestataires (prêtres, militants, laïcs et religieux) avaient été arrêtés avec lui lors des grandes manifestations qui avaient suivi le 9 mars le dynamitage par l’entreprise de construction du site militaire, d’une barrière de roches volcaniques considérée comme l’une des richesses naturelles de l’île.

L’Eglise avait immédiatement réagi en fustigeant l’attitude du gouvernement : « Sommes-nous encore en démocratie ? (…) Le gouvernement agit comme s’il n’entendait rien et il poursuit ce qu’il appelle un ‘projet national’, alors que le fait que ce projet n’émane que de l’Etat relève de ce que l’on attendrait plutôt d’un régime totalitaire », avait déclaré le 9 mars Mgr Peter Kang U-il, évêque de Jeju et président de la CBCK.

La vague d’indignation provoquée par ce « coup de force de Séoul » avait alors gagné la communauté internationale par l’intermédiaire des ONG et organisations des droits de l’homme ; de nombreuses pétitions avaient afflué du monde entier et des militants pacifistes de plusieurs pays occidentaux étaient venus prêter main forte aux insurgés de Gangjeong.

Parmi les religieux qui ont particulièrement contribué à attirer l’attention des médias sur l’île de Jeju, figurent les Pères de Saint-Colomban (Société missionnaire de Saint Colomban), et en particulier le P. Pat Cunningham, qui a fondé Save Jeju Now Coalition avec des responsables religieux de différentes confessions, ainsi que des pacifisteset des écologistes.

A travers les réseaux sociaux, savejejunow communique à ses sympathisants les derniers événements d’heure en heure, mais aussi sollicite des célébrités comme Robert Redford ou diffuse des parodies musicales et des vidéos sur l’évolution de la situation à Jeju. Lors de l’une des manifestations les plus spectaculaires de l’organisation, en décembre dernier, des militants dont le P. Mun Jong Hyun, le maire de Gangjeong et plusieurs prêtres jésuites ont entamé une grève de la faim et se sont rasés la tête devant l’Assemblée nationale à Séoul et à Gangjeong, afin de dénoncer le vote d’un budget colossal accordé à la Défense et au projet de militarisation de Jeju.