Eglises d'Asie

Elections en Uttar Pradesh : les hindouistes rejouent la carte d’Ayodhya

Publié le 31/01/2012




La campagne pour les élections régionales bat son plein dans les cinq Etats de l’Union indienne (Manipur, Pendjab, Uttarakhand, Uttar Pradesh, Goa) qui choisiront d’ici mars leurs représentants aux assemblées parlementaires locales. En Uttar Pradesh, l’Etat le plus peuplé de l’Inde avec quelque 200 millions d’habitants, le Baratiya Janata Party (BJP), vitrine politique du nationalisme hindou, …

 … vient de publier un manifeste menaçant, faisant resurgir le souvenir des massacres d’Ayodhya.

Pour le scrutin de 2012, le BJP a choisi de s’aligner sur ses adversaires, l’héritier du Parti du Congrès Rahul Gandhi et la dalit Mayawati Kumari, actuelle ministre-président de l’Uttar Pradesh (1), basant sa campagne sur des critères « castéistes », une politique qui a fait ses preuves dans cet Etat à majorité hindoue qui compte le plus de dalits et de membres de basses castes de toute l’Union indienne. Ces dernières années, le BJP a beaucoup progressé auprès des dalits, des aborigènes et surtout auprès du très large électorat des OBC (2), en accusant le Congrès de vouloir les déposséder de leurs privilèges, tout en multipliant de son côté les promesses de nouveaux avantages aux basses castes. Le parti hindouiste s’est ainsi engagé à créer une « commission pour le développement des catégories socio-économiquement faibles », ainsi qu’à verser des aides financières aux catégories professionnelles les plus pauvres. Chaque famille qui serait en dessous du seuil de pauvreté se verrait en outre attribuer une vache par l’Etat et tous les « économiquement faibles » auraient gratuitement accès aux soins médicaux.

Mais, dans un manifeste virulent publié le 27 janvier dernier où il exposait son programme en faveur des basses castes, le BJP a également dénoncé le danger que représentaient les minorités religieuses, qu’il comptait exclure de la politique de discrimination positive, au prétexte de limiter l’accès aux quotas de « postes réservés » aux castes défavorisées (3).

Face à cette menace, formulée dans des termes particulièrement agressifs, les chrétiens ont exprimé leur inquiétude par l’intermédiaire de différents mouvements de défense des droits des minorités religieuses. Dans un Etat hindou à 80 %, les chrétiens ne représentent qu’une très faible minorité, particulièrement vulnérable et soumise à des discriminations et des violences récurrentes de la part de la majorité hindoue.

Les responsables du All India Christian Council (AICC), qui avaient déjà appelé début janvier à l’unité des fidèles « pour contrer le communautarisme sectaire », ont ainsi été rejoints par les membres du Catholic Secular Forum (CSF), qui a rappelé que les chrétiens avaient toujours lutté pour la défense et le respect de toutes les religions, y compris l’hindouisme.

Dans le manifeste du BJP, un autre élément a provoqué l’inquiétude de la communauté chrétienne ; il s’agit de la reprise de l’argumentation ancienne et très controversée de la restitution du site d’Ayodhya aux hindous.

Le 6 décembre 1992, des extrémistes hindous rasaient la mosquée Babri Masjid à Ayodhya, réclamant le rétablissement du culte hindou sur ce site où se serait élevé originellement un temple marquant le lieu de naissance du dieu Rama. Les affrontements entre hindous et musulmans avaient fait plus de 2 000 morts et entraîné la chute du BJP alors à la tête de l’Etat. Mais le thème de la « restitution » d’Ayodhya aux hindous était rapidement devenu le fer de lance du programme politique des hindouistes, permettant au BJP de gagner les élections de 1998. Après de nouvelles flambées de violence autour du site controversé, la Haute Cour d’Allahabad avait finalement tranché en 2010 pour le partage d’Ayodhya entre les parties, une décision qui n’avait satisfait personne (4).

A l’époque, John Dayal, secrétaire général du All India Christian Council, avait dénoncé dans cette décision en demi-teinte, les germes d’un conflit futur : « [Depuis le verdict d’Ayodhya] (…), les mouvements extrémistes hindous qui ont détruit la mosquée de Babri Masjid en 1992 chantent victoire et revendiquent au moins 3 000 autres sites où s’élèvent des édifices de culte appartenant aux autres minorités religieuses (…). En donnant une crédibilité juridique au mythe hindou du lieu de naissance de Rama (…), [la Cour] a ouvert la boîte de Pandore, ce qui pourrait avoir de graves répercussions sur les minorités religieuses de l’Inde (…). »

Vingt ans après l’attaque de la mosquée Babri, le BJP n’hésite pas à rejouer la carte d’Ayodhya, en réclamant au nom de l’hindutva (théorie selon laquelle l’Inde est hindoue par essence), la construction d’un temple au dieu Rama sur le site contesté. Lors du meeting qui a accompagné la publication du manifeste le 27 janvier, Surya Pratap Shahi, président du BJP pour l’Uttar Pradesh, a déclaré: « Ram symbolise la grandeur, la fierté et la dignité de notre pays. Malheureusement, les tenants du soi-disant laïcisme du pays et les démagogues en tout genre s’élèvent contre cela. Le BJP est décidé à mettre toutes ses forces dans la construction du temple de Ram. »