Eglises d'Asie

Les menaces sur la liberté de la presse inquiètent les minorités ethniques et religieuses

Publié le 19/02/2013




L’agitation grandit dans le pays alors que se préparent les élections législatives d’avril-mai prochain, lesquelles auront également pour objet de doter le Népal d’une Constitution. Depuis plusieurs mois, les minorités ethniques et religieuses, soutenues par les partis d’opposition (Congrès népalais et communistes du CPN-UML), multiplient les manifestations et les grèves en protestation contre les maoïstes auxquels elles reprochent d’avoir confisqué le pouvoir et de gouverner en toute illégitimité, depuis la dissolution de l’Assemblée constituante en mai 2012.

Le gouvernement népalais a répondu jusqu’à présent en réprimant sévèrement les manifestations et en accentuant son contrôle sur les médias ainsi qu’en restreignant les libertés individuelles. Le 15 février dernier, Reporters Sans Frontières a ainsi diffusé une lettre ouverte au Premier ministre népalais, Baburam Battarai, faisant part de sa « profonde préoccupation » concernant le journaliste Gopal Budhathoki, directeur de la rédaction de l’hebdomadaire Sanghu, victime de menaces de mort répétées.

« Nous demandons que tous les moyens soient mis en œuvre afin d’identifier les auteurs de ces menaces (…). Les autorités népalaises doivent réagir dans les plus brefs délais afin de garantir la sécurité de Gopal Budhathoki », a déclaré l’ONG, appuyée dans sa démarche par plusieurs autres organisations de défense des droits de l’homme dont Amnesty International.

Depuis la publication le 4 février dernier du portrait d’Ang Kaji Sherpa, secrétaire général de la Nepal Federation of Indigenous Nationalities (NEFIN), le journaliste de Sanghu a en effet reçu plus de deux cents menaces de mort par téléphone et sur sa page Facebook, révèle la Fédération des journalistes népalais (FNJ), dont le journaliste visé est l’ancien vice-président. Gopal Budhathoki a été sommé par les auteurs de ces menaces de présenter des excuses publiques, faute de quoi il subirait « des représailles mortelles ».

Ces menaces interviennent dans un contexte de pressions grandissantes à l’égard des journalistes au Népal. Le 23 janvier, des cadres du Parti maoïste (UCPN), au pouvoir, ont publiquement menacé de mort 22 journalistes qui avaient saisi la visite du Premier ministre dans leur district de Dailekh, dans l’ouest du pays, pour protester contre la décision du gouvernement d’arrêter l’enquête sur le meurtre de leur confrère Dekendra Raj Thapa en 2004 (1). Les journalistes, qui appartenaient à différents médias, ont été « prévenus » de « se préparer à subir le même sort » que Dekendra Raj Thapa, avant de voir vandalisée la rédaction du quotidien Hamro Tesro Aankha par des maoïstes. Le lendemain 24 janvier, les membres de la presse menacés ont dû fuir le district, entrainant la cessation d’activité de deux quotidiens, d’un hebdomadaire et de deux stations de radio.

« Ces menaces et agressions à l’encontre des professionnels des médias sont aggravées par le fait qu’elles répondent aux revendications de justice pour Dekendra Raj Thapa, journaliste local enlevé et assassiné par des cadres du parti maoïste », avait aussitôt dénoncé Reporters Sans Frontières dans une déclaration publiée le 25 janvier.

La vague de censure qui sévit actuellement au Népal est très similaire à celle qui avait précédé, il y a une dizaine d’années, l’avènement des maoïstes alors en plein conflit armé avec le roi du Népal Gyanendra. Paradoxalement, Gopal Budhathoki, aujourd’hui menacé de mort par les maoïstes, avait eu à subir plusieurs arrestations et détentions extrajudiciaires (2) du fait du gouvernement autocratique de Gyanendra Shah, lequel avait suspendu les libertés individuelles et le droit à l’information au nom de « la lutte contre les terroristes ». Aujourd’hui, ce sont les anciens rebelles qui accusent le journaliste de « sédition envers l’Etat », citant son dernier article consacré à l’un des principaux agitateurs de cette houleuse période pré-électorale, la NEFIN, mouvement défendant les minorités ethniques, qui, après avoir soutenu durant des années les revendications maoïstes, se retrouve aujourd’hui dans l’opposition.

Fondé en 1991 et membre du Working Group on Indigenous Population des Nations Unies, la NEFIN réunit 48 des organisations autochtones les plus importantes du pays (comme celle des Madhesi ou des Tahru) et milite pour l’établissement d’un Etat fédéral. Depuis le mois de janvier, les ‘tribals’ de la NEFIN affrontent les forces de l’ordre et l’armée, bloquant les routes et paralysant l’économie du pays par des ‘bandhs’ massifs (grèves générales), tout en s’opposant violemment aux membres des hautes castes hindoues de la région (brahmanes et chhetris – ‘kshatriya’–), favorables à « l’indivision de la nation ».

La même agitation avait accompagné les semaines précédant la promulgation de la Constitution attendue pour le 28 mai dernier, avant que le délai ne soit encore repoussé pour la énième fois. La NEFIN avait alors lancé une vague de grèves et de manifestations générales dans les grandes villes népalaises afin d’obtenir l’institution d’un Etat fédéral et la démission du gouvernement maoïste.

De leur côté, les leaders chrétiens, suivis par de nombreux responsables de minorités religieuses au Népal, appellent à la « paix et à la solidarité dans le pays ». Mgr Anthony Sharma, vicaire apostolique du Népal, a incité « les fidèles de toutes les confessions à se montrer tolérants les uns envers les autres », soulignant les souffrances infligées aux populations par la grève générale, surtout dans les régions éloignées où ne parvient plus depuis des mois le ravitaillement en eau, nourriture et médicaments.

Cependant, depuis la parution en novembre dernier des résultats du recensement de la population népalaise minorant considérablement l’importance des minorités religieuses et ethniques, ces dernières craignent plus que jamais que ce « rapport volontairement biaisé » n’augure de la volonté de l’Etat d’ignorer leurs revendications et de les tenir éloignées du débat politique et constitutionnel qui se jouera en avril-mai.

La Constitution n’ayant toujours pas été achevée, les chrétiens et les minorités religieuses du pays ne cachent pas leur inquiétude quant à l’avenir de la démocratie et de la laïcité de l’Etat. Les maoïstes, que certains soupçonnent de vouloir mettre en place une dictature, viennent par ailleurs d’annoncer préparer un « grand mouvement de révolte urbaine » dans les principales villes du pays afin de dénoncer « les trafiquants, les mafieux, les corrompus, les traîtres et tous les acteurs sociaux ou politiques qui ont de mauvaises pratiques », n’excluant pas le retour à la lutte armée.