Eglises d'Asie

Conflit autour de l’exploitation minière : un leader indigène tué par l’armée

Publié le 31/01/2013




Le 29 janvier dernier, un leader indigène engagé dans la lutte contre l’exploitation des ressources minières se trouvant sur la « terre de ses ancêtres » a été tué par l’armée philippine. Sa mort souligne l’acuité des conflits liés à l’exploitation minière, à un moment où le président Aquino doit préciser le cadre législatif et fiscal dans lequel opèrent les compagnies étrangères, très présentes aux Philippines depuis qu’une loi de 1995 les a autorisées à investir dans le pays.

Kitari Capion était membre d’une lignée de chefs coutumiers appartenant au peuple B’lann, un des peuples indigènes (lumad) de Mindanao dans le sud philippin. Lui et ses frères s’opposaient depuis plusieurs années au projet d’exploitation minière pilotée par le géant suisse Xstrata, visant à extraire du cuivre et de l’or du site de Tampakan, l’un des plus considérables projets miniers d’Asie du Sud-Est.

Selon son frère Daguil, Kitari Capion, qui avait gagné le maquis il y a plusieurs années, était récemment entré en négociations avec un parent travaillant pour SMI (Sagittarius Mines Inc.), la société filiale de Xstrata chargée du projet minier de Tampakan, ainsi qu’un capitaine de l’armée philippine. L’objet des pourparlers était son renoncement à la lutte armée, sa sortie de la clandestinité et la continuation de son combat contre SMI par des voies pacifiques. Le 29 janvier, Kitari Capion attendait à Kiblawan, dans la province de Davao del Sur, un messager porteur de la réponse des autorités philippines à sa proposition, mais c’est en fait un détachement de l’unité de l’armée chargée de la protection des installations de SMI qui a surgi et investi la hutte où se trouvait le leader indigène. Pris par surprise et submergés par les militaires, les proches de Kitari Capion ont pris la fuite ; deux d’entre eux ont été abattus par les soldats, tandis que Kitari Capion était grièvement blessé. Toujours selon son frère, Kitari Capion est mort des suites de ses blessures à son arrivée à l’hôpital. Daguil Capion accuse l’armée d’avoir fait traîner en longueur le transfert à l’hôpital de son frère de manière à ce qu’il succombe à ses blessures.

La nouvelle de la mort de Kitari Capion intervient un peu plus de trois mois après un autre incident sanglant : le 18 octobre dernier, lors d’une des nombreuses opérations militaires menées par l’armée pour capturer les frères Capion, des militaires avaient abattu la femme de Daguil, Juvy Capion, enceinte de sept mois, et deux de ses fils, Pop, 13 ans, et John, 8 ans.

Pour les Capion, qui descendent d’une longue lignée de chefs coutumiers, les opérations minières de la SMI ne feront que causer la fin du peuple B’laan en perturbant profondément leur mode de vie liée à la forêt. Pour les autorités philippines, les Capion et leurs partisans ne sont que des bandits armés qui n’hésitent pas à tuer et à piller.

Situé à Tampakan, dans la province de Cotabato-Sud, le site minier promet d’être la plus importante mine d’or et de cuivre d’Asie du Sud-Est. Depuis 2006, Xstrata, qui possède 62,5 % des parts, et l’australien Indophil, tentent d’accélérer la mise en route de la mine, dont l’exploitation se fera à ciel ouvert et s’étendra sur une superficie allant de 10 000 à 24 000 hectares sur le territoire revendiqué par les B’laan. Le démarrage de l’exploitation a été repoussé à plusieurs reprises et ne devrait pas intervenir avant 2016 ou 2018. Xstrata affirme que l’exploitation de la mine ajoutera un point de pourcentage au PIB philippin et évoque un investissement de 5,9 milliards de dollars, le plus important investissement étranger jamais réalisé dans le pays.

Toutefois, avant de commencer à extraire le minerai, le géant minier suisse doit composer avec un ensemble complexe de facteurs, dont les différentes parties sont les populations indigènes, les pouvoirs politiques locaux et nationaux, les ONG, les Eglises, le diocèse catholique de Marbel, sur le territoire duquel se trouve la mine, étant très engagé dans la défense des peuples indigènes et des populations locales.

Localement, si le peuple B’laan soutient les Capion dans leur combat, des divisions sont toutefois apparues. La SMI a en effet largement investi dans la construction de routes, d’écoles et de dispensaires, et a promis des emplois bien payés dans la future mine. Elle a de plus recruté des habitants de la région pour la protection de ses installations ; ces personnes reçoivent une formation quasi paramilitaire et sont dotées d’armes. Face à cet afflux d’argent et aux perspectives d’emploi, des B’laan et d’autres habitants proches de la mine ont cessé de s’opposer résolument au projet.

La mobilisation des adversaires de la mine n’en demeure pas moins très résolue. Au plan provincial, les pouvoirs locaux ont fait voter l’interdiction de toute exploitation minière à ciel ouvert (ce qui n’a cependant pas empêcher SMI de mener à bien les travaux d’infrastructure nécessaire à l’évacuation future du minerai vers les ports). Les Eglises chrétiennes surtout continuent de s’opposer au projet. Le diocèse catholique de Marbel, s’il condamne tout recours à la violence, a mobilisé de longue date ses réseaux pour obtenir l’interdiction de la mine. Selon le P. Romeo Buenaobra, responsable de l’action sociale pour le diocèse, « [des] études indiquent que, notamment sur le plan environnemental, les inconvénients (dus à la mine) l’emportent sur les bienfaits éventuels qu’elle peut représenter ». Il ajoute que « tout ne se résume pas à une question d’argent : il s’agit d’une population qui n’a pas eu la chance de pouvoir développer une cohérence sociale et culturelle lui permettant d’affronter le monde et la société moderne – un monde qui jusqu’ici ne lui a rien donné, ne s’est pas soucié d’elle et au sein duquel elle ne dispose pas des repères pour s’y intégrer et y jouer sa part ».

Au plan national, le président Aquino a déclaré qu’une de ses priorités pour ce début d’année 2013 était d’obtenir du Congrès le vote d’une loi sur l’extraction minière. Il estime que les sociétés étrangères opérant dans ce domaine aux Philippines ne contribuent pas assez au budget national et il projette de relever de manière conséquente la fiscalité à laquelle elles sont soumises. De leur côté, les lobbyistes de l’industrie minière tentent bien sûr de contenir cette hausse de la fiscalité, mais ils essaient surtout d’obtenir que l’interdiction des mines à ciel ouvert prononcée par des pouvoirs locaux philippins soit déclarée illégale et contraire au Philippine Mining Act de 1995, la loi qui a autorisé les investissements étrangers dans le secteur minier aux Philippines.