Eglises d'Asie

Supplément EDA 3/2008 : « Papouasie, terre de paix »

Publié le 23/11/2010




Remise par les Pays-Bas à l’Indonésie en 1963, la Papouasie occidentale a connu une histoire mouvementée. Intégrée à l’Indonésie de Suharto en 1969 à l’issue d’un référendum contestable, elle couvre un vaste territoire à l’extrême est de l’archipel indonésien. Peu peuplée, cette province est riche d’un fort potentiel économique ; ses mines de cuivre et d’or sont parmi les plus productives de la planète, …

ses forêts et ses hydrocarbures contribuent substantiellement aux revenus de l’Etat indonésien. Les populations papoues, en partie converties au christianisme, sont marginalisées face aux migrants originaires d’îles surpeuplées de l’archipel et la résistance autochtone se trouve laminée par la répression militaire et policière ainsi que par un processus d’acculturation. C’est dans ce contexte que, depuis l’an 2000, des responsables religieux, bouddhistes, chrétiens, hindous et musulmans, ont développé une action commune, sous le vocable « Papouasie, terre de paix ». **

 

La Papouasie occidentale, connue autrefois sous le nom d’Irian Jaya ou Papouasie, est la moitié occidentale de l’île de la Nouvelle Guinée. Elle possède une frontière terrestre avec l’Etat indépendant de Papouasie – Nouvelle Guinée (PNG) et une frontière maritime avec l’Australie. La Papouasie occidentale a été une colonie des Pays-Bas de 1828 à 1962 (1). En tant que colonie hollandaise, ce territoire était communément appelé Nouvelle Guinée hollandaise. L’Indonésie a pris la Papouasie occidentale à la Hollande le 1er mai 1963. Depuis, le territoire est sous autorité indonésienne.

On doit reconnaître que les Papous ont été victimes de nombreuses formes de violence durant la domination hollandaise. Mais nous n’aborderons pas ce sujet, non par souci d’édulcorer ce qui a été fait sous le drapeau hollandaise, mais parce qu’à cette époque, il n’existait pas encore de réponse interreligieuse. En effet, l’hindouisme et le bouddhisme n’avaient pas de présence en Papouasie occidentale et, à la différence d’aujourd’hui, les musulmans étaient moins d’un millier. La majorité de la population appartenait soit au christianisme, soit aux religions traditionnelles.

Sous autorité indonésienne, la Papouasie occidentale a également été une terre de conflits et les autochtones papous ont souffert de nombreuses violations des droits de l’homme. Les dirigeants des Eglises ont alors élevé la voix. Une collaboration œcuménique pour la justice, les droits de l’homme et la paix perdure encore aujourd’hui. Mais cette collaboration ne sera pas évoquée, parce que nous souhaitons nous limiter aux initiatives interreligieuses en faveur de la paix.

Sous l’administration indonésienne, le nombre des hindous, des bouddhistes et particulièrement des musulmans a continué d’augmenter, du fait de l’arrivée de nouveaux émigrés indonésiens en Papouasie occidentale. En réponse aux violences commises sous cette administration, les dirigeants de toutes les religions – chrétiennes, musulmane, bouddhiste et hindoue – se sont engagés dans une campagne commune pour la paix, à travers le concept de « Papouasie, terre de paix », et ce malgré toutes les difficultés rencontrées. Cet article explorera donc la collaboration interreligieuse pour la paix commencée en 2000, en essayant de clarifier le concept de paix, en décrivant les menaces qui pèsent sur celle-ci, en abordant le concept de « Papouasie, terre de paix » et en détaillant l’engagement interreligieux et les activités entreprises en faveur de la paix.

Eclaircissements sur le concept de paix

Compte-tenu de l’existence d’un mouvement de résistance papoue (connu sous l’appellation d’Organisasi Papua Merdeka – OPM, Mouvement pour la Papouasie libre), qui s’est opposé à l’oppression indonésienne, aucune initiative de paix ne pouvait être interprétée autrement que comme visant à l’indépendance de la Papouasie occidentale. Par conséquent, les autorités indonésiennes ne pouvaient, à juste titre, qu’être réticentes à toute initiative en faveur de la paix. Le mouvement de résistance a été parfois soupçonné d’utiliser des églises dans ses campagnes politiques en faveur de l’indépendance de la Papouasie occidentale (2).

Conscients de cette dérive, les responsables religieux ont fait connaître clairement leur conception de la paix. Mgr Leo Laba Ladjar, évêque catholique du diocèse de Jayapura, a une compréhension holistique de la paix (3). Selon lui, la paix englobe la totalité de l’être, liée par une relation harmonieuse avec le Créateur, avec ses semblables et avec toute la création. Ainsi, la paix recoupe tous les aspects de la vie humaine : la santé physique, les relations sociales, le fait d’avoir une vie prospère comme membre de la société et enfant de Dieu. La paix, au-delà de l’absence de conflit, va jusqu’à la confiance, le respect mutuel, la justice et l’existence d’un terrain propice au développement. La paix comprend le développement économique et social, les droits à la culture, la justice et la sécurité.

La paix est un désir universel, comme l’affirme le pasteur Herman Saud, ancien président du synode de Gereda Kristen Injili (GKI, Eglise chrétienne évangélique) (4). S’inspirant des traditions de l’hindouisme, I Gusti Made Sunartha, chef de la communauté hindoue de Papouasie occidentale, proclame que la paix est le rêve le plus cher de toute personne sur terre. La paix est même le fondement du bonheur. Le mot « paix » est si fondamental qu’il figure dans toutes les prières de la communauté hindoue ; la formule Om Santih, qui signifie « Que la paix soit présente » (5), y est systématiquement utilisée. Ainsi, la campagne pour la paix n’a-t-elle rien à voir avec le mouvement séparatiste. La campagne pour la paix et la campagne pour l’indépendance de la Papouasie occidentale, menée par l’OPM, sont deux choses différentes. En effet, le but premier de la campagne pour la paix est « d’assurer la paix en Papouasie, sans se préoccuper de la situation politique de la Papouasie, qu’elle soit un Etat indépendant ou une province indonésienne » (6).

Les menaces contre la paix en Papouasie occidentale

Les responsables religieux ont pris conscience que pour obtenir la paix, ils devaient en premier lieu identifier et comprendre toutes les menaces qui pèsent sur la Papouasie occidentale, afin de les surmonter, sans quoi il ne pourrait y avoir de paix véritable.

La première menace pour la paix est l’utilisation de la violence en réponse à tout problème. Cela s’est révélé être une évidence lors des opérations militaires menées par les forces de sécurité indonésiennes dans le but d’éliminer les Papous, globalement considérés par le gouvernement comme des séparatistes. Depuis 1963, au moins douze opérations ont été menées par les troupes indonésiennes. Selon les estimations des groupes de défense nationaux et internationaux des droits de l’homme, elles ont provoqué la mort de 100 000 Papous. Les violences commises par les forces de sécurité indonésiennes ont également pris la forme d’exécutions sans jugement, de tortures à grande échelle et de mauvais traitements (7). Il y eut également des violences entre militaires indonésiens et forces de police, des guerres tribales entre différentes tribus papoues (8).

La seconde menace est l’exploitation abusive des ressources naturelles. Ce territoire possède de vastes ressources : or, cuivre, pétrole et gaz, minerais, bois, une faune et une flore variée, mais les aborigènes papous, propriétaires des terres, demeurent pourtant pauvres. Les ressources naturelles sont pillées et détruites (9). Par exemple, les exploitations forestières d’Indonésie, dans lesquelles sont impliquées directement ou indirectement l’armée et la police (10), ne prêtent que peu, sinon aucune attention à la préservation de la nature. La destruction des forêts continue et elles auront tôt fait de disparaître. Les Papous qui n’ont aucune idée de la valeur marchande du bois sont généralement exploités et trompés par des exploitants légaux ou illégaux. Les droits ancestraux sur la terre des communautés locales sont le plus souvent ignorés ou bafoués. Les sociétés d’exploitation se reposent sur la police et l’armée pour protéger leurs intérêts personnels. Les policiers et les militaires se rencontrent ainsi le plus souvent sur les sites d’exploitation. Les Papous qui essayent de faire valoir leurs droits ancestraux sur leurs terres sont accusés d’être des rebelles séparatistes et restent sous la menace des forces de sécurité.

La troisième menace contre la paix est l’impossibilité de recourir à la loi, illustrée par l’absence d’un système juridique efficace. Les tribunaux indonésiens sont rongés par la corruption, qui sévit à tous les échelons du système judiciaire, depuis la police jusqu’aux magistrats. Tout le monde est convaincu que les auteurs d’abus jouissent de l’impunité et que l’Etat ne protégera pas les victimes des plus sérieuses violations des droits (11). Les dirigeants religieux reconnaissent que la loi est « à vendre » au plus offrant… et que ceux qui détiennent le pouvoir bénéficient d’une totale impunité en ce qui concerne d’éventuelles poursuites judiciaires (12). Les Papous ont peu de raison de se croire protégés par l’Etat indonésien. En effet, le système judiciaire indonésien n’a pas réussi à faire respecter les droits de l’homme en Papouasie occidentale, ni à s’attaquer aux violations des droits qui n’ont pas trouvé de solution. Du fait de l’impossibilité de recourir à la loi, le gouvernement indonésien n’a pas été capable d’éradiquer la corruption omniprésente qui affecte tous les aspects de la vie, y compris en Papouasie. Elle affaiblit le système tout entier et empêche tout développement. L’incapacité du gouvernement à agir efficacement est à la racine même des problèmes (13). Les fonds prévus pour le développement de la Papouasie occidentale sont détournés à d’autres fins. Le résultat est que les mères papoues se retrouvent sans aucune aide médicale et que leurs enfants ne peuvent bénéficier de l’éducation dont ils ont besoin.

La quatrième menace est la marginalisation dont souffrent les Papous sur leur propre terre. Du temps du colonialisme hollandais, en 1960, ils étaient quelque 736 700, la population étant alors exclusivement composée de Papous. Depuis la mainmise par l’Indonésie en 1963, la population totale a triplé. Selon des données gouvernementales, en 2002, elle s’élevait à 2 387 427, dont 52 % était des autochtones papous et 48 % des immigrés ou des non-Papous (14). Ainsi, suite à l’afflux de migrants, la composition de la population a sensiblement changé. Certains d’entre eux ont été introduits en Papouasie occidentale par le gouvernement indonésien dans le cadre d’un programme d’immigration financé en partie par la Banque mondiale, les fameux programmes de transmigration. Entre 1964 et 1999, quelque 245 130 ménages se sont installés dans des lotissements construits par le gouvernement. Les habitants de ces lotissements accèdent facilement aux villes car le gouvernement y a construit des routes les reliant aux villages. Lentement mais sûrement, ces sites se développent en villes augmentant considérablement la densité de la population. D’autres immigrés arrivent spontanément, du fait de l’amélioration des liaisons maritimes. On les appelle les « migrants spontanés ». Ils ont notamment afflué en Papouasie occidentale pour échapper à la pauvreté, dans l’espoir d’une vie meilleure que celle qu’ils avaient dans les grandes villes de l’Indonésie occidentale. Du fait de l’afflux continu de ce second type d’immigrés indonésiens, le nombre des nouveaux arrivants n’a cessé de croître (15). Aujourd’hui, deux tiers des habitants des principales villes de Papouasie occidentale sont des immigrés (16).

Les immigrants indonésiens jouent un rôle majeur dans la société. Ils sont à la tête de presque tous les postes de l’administration ou des entreprises privées. Ils excellent dans le commerce, les services, la construction et l’obtention des marchés d’Etat. Les Papous, en revanche, ont à affronter d’immenses problèmes économiques (17) et ils sont devenus des étrangers dans les villes de leur propre pays (18). Les responsables religieux reconnaissent que les Papous sont marginalisés et négligés, particulièrement ceux qui vivent dans des villages éloignés et isolés (19). Si la vague d’immigration continue, les Papous, déjà en minorité en Indonésie, seront bientôt minoritaires dans leur propre pays.

Le processus de marginalisation s’est encore renforcé du fait de leur faible niveau d’éducation, ce qui inquiètent les responsables religieux. Nombre d’écoles dans les zones reculées, où les élèves sont exclusivement Papous, ne disposent pas du moindre matériel scolaire. La construction d’écoles est négligée. La plupart des écoles primaires manquent de locaux, de fournitures et de matériel d’enseignement. Faute d’enseignants, de plus en plus d’écoles sont privées de fonctionnement. La rémunération des enseignants est faible, tout comme leur formation et leur niveau de compétences. Les livres scolaires ne sont pas distribués correctement aux villages. La qualité de l’éducation se détériore, en particulier dans les régions montagneuses et l’arrière-pays (20).

Le processus de marginalisation est également favorisé par la négligence du gouvernement en ce qui concerne le système de santé. Les responsables religieux sont préoccupés par le très faible niveau du personnel médical, leur manque de moyens, la faible qualité du service rendu, l’absence d’équipements médicaux, l’insuffisance des fonds dans la santé et la méconnaissance des problèmes sanitaires par la communauté, de même que par le taux élevé de mortalité infantile et des parturientes, de l’extension du sida et du faible niveau de bien-être des familles (21). Le manque de soins adaptés provoque le décès de personnes qui auraient pu être sauvées. La mort de nombreux Papous est la conséquence directe du faible niveau de soins dans les régions isolées, où la population est exclusivement indigène. Mais le gouvernement ne prête aucune attention à ces problèmes, rejette la faute sur les cultures locales et continue de négliger délibérément les problèmes sanitaires des autochtones (22).

La cinquième menace est la manipulation de la pluralité religieuse à des fins politiques. Les responsables religieux sont inquiets des suspicions existant au sein de la population. La pluralité des religions et des traditions culturelles peut être détournée à des fins politiques, pour conquérir ou pour conserver le pouvoir politique. Même s’il n’existe pas d’hostilité entre les membres des différentes communautés, certaines personnalités pourraient, à des fins politiques, manipuler les différences identitaires pour orchestrer de violents conflits ethniques ou religieux (23).

La campagne « Papouasie, terre de paix » en tant que mission religieuse

Cette description des menaces contre la paix éclaire le contexte de la campagne en faveur de la paix. Les responsables religieux se sont engagés sur la base de leur conviction religieuse et dans le cadre de leur propre mission religieuse. Comme l’a souligné Mgr Leo, travailler pour la paix fait partie de « notre mission religieuse et répond aux aspirations du plus grand nombre » (24). Pour les chrétiens, la paix est une valeur prêchée dans les Evangiles et le souhait le plus profond de chaque individu sans exception. De là découle l’engagement des chrétiens en faveur de la paix, simplement fondé sur la valeur accordée aux Ecritures, et sans fondement politique. Pour les Eglises, œuvrer en faveur de la paix relève d’un appel de Dieu. Par conséquent, malgré les soupçons de quelques-uns, les Eglises en Papouasie occidentale sont tenues de continuer à jouer le rôle prophétique que Dieu a donné à la dignité humaine, en collaboration avec tous les hommes de bonne volonté (25). La collaboration avec les autres religions est fondée sur l’idée qu’elles peuvent amener la paix si leurs fidèles transcendent leur rattachement à une institution et convergent vers une foi et une expérience de Dieu, commencement, source et but de toute humanité (26).

L’engagement de la communauté musulmane en faveur de la paix trouve son fondement dans la tradition islamique. Considérant cet engagement comme une mission religieuse, Zuber Hussein, président de la branche papoue du Majelis Ulama Indonesia (MUI, Conseil indonésien des oulémas), a dit : « L’islam soutient la paix de toutes ses forces. » Parce que l’islam veut dire paix, bonheur et prospérité. C’est ce qu’il exprime dans ses salutations habituelles, comme « Assalamu alaikum warahmatullahi wabarakatuh », qui signifie « Que la paix soit avec vous et que la bénédiction d’Allah vous apporte la grâce ». Cette salutation est une prière dite pour que la personne rencontrée reçoive la bénédiction de Dieu. Ainsi, la personne qui salue est en train de prier pour la paix. L’islam reconnaît le rahmatan lilalamin, qui veut dire que l’islam apportera toujours ses bénédictions à tous les peuples du monde, sans distinction. De plus, l’islam cherche à ce que les différents groupes de la société se connaissent et se comprennent (27).

Pour la communauté hindoue en Papouasie occidentale, travailler en faveur de la paix signifie exprimer sa foi. Comme l’a fait remarquer un de ses dirigeants, I Gusti Made Sunartha, la paix constitue le but d’une vie. Elle est le fondement du bonheur individuel. L’hindouisme apprend à ressentir la paix dans sa vie, selon trois notions : 1.) Tat Twam Asi, la réalisation de l’amour pour toutes les choses qui existent dans l’univers ; 2.) Tri Karya Parisuda, la conduite trois fois sainte, à savoir la pensée pure, le discours pur et la conduite pure ; 3.) Tri Hita Karana, les trois causes de paix et de bonheur, à savoir Dieu, le genre humain et l’univers. Sur la base de ces enseignements religieux, la communauté hindoue participe à la promotion de « Papouasie, terre de paix »‘ (28).

Soutenus par leurs traditions religieuses, les responsables religieux sont convaincus que les religions peuvent apporter la paix. Leur mission leur demande de travailler ensemble pour la paix. Comme l’explique Mgr Leo, les responsables religieux « souhaitent travailler et œuvrer ensemble parce que leur mission est de construire la paix et la communion entre tous les peuples » (29). La paix est vue en même temps comme la raison et l’objectif à atteindre grâce à la collaboration interreligieuse, cette collaboration étant un acte de foi en Dieu (30).

« Papouasie, terre de paix », une vision partagée

Même si l’engagement interreligieux est primordial, il n’est pas suffisant car il nécessite des réalisations communes pour se manifester. Les initiatives en faveur de la paix doivent être canalisées et dirigées vers une vision claire et partagée par les dirigeants de toutes les religions de la Papouasie occidentale. Cette vision est correctement transcrite dans la déclaration « Papouasie, terre de Paix », Publiée conjointement par les dirigeants de toutes les religions, le 5 février 2003, elle est naturellement devenue le slogan de la campagne en faveur de la paix.

La déclaration interreligieuse a été le fruit d’une réflexion sur les activités précédemment engagées par les autochtones papous. Des jeunes et des étudiants papous ont avancé l’idée d’une zone de paix lors d’une réunion à Serui, chef-lieu du district de Yapen Waropen, en juin 1999. Les étudiants voulaient que leur réunion soit pacifique pour éviter que les forces de sécurité ne la taxent de subversion et ne la dispersent pour cette raison. Plus tard, Marthen Tanawne, le chef tribal papou à Serui, décréta Yapen Waropen « zone de paix ». Une déclaration fut faite à cet effet en présence de Papous et de non-Papous, le 17 septembre 2003 (31).

L’idée d’une zone de paix a ensuite été discutée en détail par le Dewan Adat Papua (DAP, Conseil coutumier de Papouasie), qui avait trouvé qu’elle représentait bien un engagement en faveur de la paix en Papouasie occidentale. Lors de leur congrès annuel, les responsables de tribus apportèrent leur soutien aux autochtones papous pour que la Papouasie occidentale devienne un territoire exempt de violence, d’oppression et de tracas (32). La proclamation de la Papouasie en tant que zone de paix a reçu une large adhésion parmi la population, parce qu’elle exprimait un désir profond de vivre dignement dans son propre pays et une volonté de ne plus vouloir être considérée comme des séparatistes.

Le Lembaga Studi dan Advokasi Hak-hak Asasi Manusia (ELSHAM, Conseil pour l’étude et la promotion des droits de l’homme), ONG de Jayapura pour la défense des droits de l’homme, fut rejointe dans son soutien en faveur de la paix par le gouvernement provincial, le Conseil législatif provincial ainsi que la police lors d’un forum de discussion sur le concept de Papouasie comme zone de paix. Ainsi que l’a définie le forum, « la Papouasie en tant que zone de paix » dénote une situation dans laquelle elle se sent libérée, avec son peuple, de tout conflit physique ou psychologique. Tout développement politique en faveur de la paix devrait prendre en compte les conditions culturelles et sociales en Papouasie occidentale. Le concept de « Papouasie, terre de paix » devait prendre une forme légale, c’est-à-dire être transformé en loi. Le 1er décembre 2002, Tom Beanal, président élu du Présidium de Papouasie (PDP) et chef de la tribu Amungme, proclamait la Papouasie occidentale « zone de paix » (33).

Les responsables religieux soutiennent pleinement cette proclamation, car les autochtones papous aussi bien que les immigrés indonésiens désirent la paix et veulent avant tout que la Papouasie occidentale redevienne un territoire pacifique. Tout le monde aspire à ce que la Papouasie occidentale soit libérée de la violence, des émeutes et des effusions de sang. Ayant délibéré plus avant, les responsables religieux ont interprété le slogan « Papouasie, zone de paix » comme dépassant le concept de territoire sans violence pour aller jusqu’à celui d’une région où la fraternité règnerait et où tout conflit serait banni (34).

Mais une réflexion plus approfondie faisait apparaître que le terme « zone de paix » pouvait être mal compris. Ainsi, des régions de Papouasie occidentale pouvaient être proclamées zones de paix, alors que d’autres seraient considérées comme des zones de guerre. Les responsables religieux optèrent donc pour « Papouasie, terre de paix ». Avec cette proclamation, il apparaissait clairement que les responsables religieux considéraient tout le territoire de la Papouasie occidentale comme une zone de paix et non plus seulement quelques parties de ce territoire. Comme l’a souligné Andreas Ayomi, président de la Communion des Eglises de Papouasie occidentale, travailler pour « Papouasie, terre de paix » est de la responsabilité de chacun (35).

Le concept de « Papouasie, terre de paix » tel qu’il a été envisagé par les responsables religieux a une dimension beaucoup plus large que la seule absence de violence. Comme l’explique le pasteur Herman Saud, son but « n’est pas de mettre fin aux violences commises par la police et l’armée, mais plutôt de créer une atmosphère où chacun pourra établir des relations harmonieuses avec Dieu, avec lui-même, avec les autres et toute la Création » (36). Cela signifie que le concept de « Papouasie, terre de paix » est une condition sociale qui doit permettre à tous de se développer et de se réaliser dans la plénitude de l’être humain (37). En s’orientant vers la création de « Papouasie, terre de paix », les responsables religieux ont contribué à mettre en place une union spirituelle et à aller de concert avec les peuples de toute religion. Ils se sont engagés à des efforts communs pour mettre fin aux conflits violents et pour désamorcer les violences potentielles, restant persuadés que « ce n’est qu’en situation de paix que chaque être humain peut espérer grandir et se développer dignement » (38).

Souligner les valeurs de « Papouasie, terre de paix »

En reprenant le concept « Papouasie, terre de paix » comme thème de la campagne pour la paix, les responsables religieux ont compris qu’il était nécessaire d’en identifier les valeurs de base, sans lesquelles la paix ne pourrait s’établir en Papouasie occidentale. Ils ont ainsi souligné que leur paix devait être fondée sur huit valeurs fondamentales, qui devraient servir de guide :

La première valeur est la prise de conscience et le respect de la pluralité. La pluralité religieuse est une des caractéristiques de la société de Papouasie occidentale. Ses membres appartiennent aux différentes religions, chrétienne, musulmane, hindoue, bouddhiste et animiste. Comme la majorité de la population est chrétienne, la Papouasie occidentale passe pour un territoire chrétien dans un des plus grands pays musulmans au monde, l’Indonésie. Seuls quelques Papous relèvent des religions traditionnelles (2 %) et de l’islam (2 %). La majorité des immigrés indonésiens sont musulmans. La société papoue est ainsi une société plurielle dans sa composition ethnique. Bien que tous les autochtones papous soient de la même ethnie – mélanésienne –, ils appartiennent à 252 tribus différentes. Les immigrés indonésiens, qui appartiennent au groupe malais, relèvent de différents groupes ethniques. Même s’ils communiquent en Bahasa Indonesia (la langue nationale d’Indonésie), chaque groupe ethnique, qu’il soit papou ou non papou, a sa propre langue, qui n’a rien à voir avec celle des autres groupes.

Les responsables religieux ne considèrent pas la diversité comme une entrave ou un obstacle à la paix, mais plutôt comme une source de richesse dont il faut se réjouir et qu’il faut entretenir. La diversité culturelle et religieuse est vue comme un don divin (rahmat) qui doit être entretenu avec sagesse pour le bien de la paix et de la croissance (39). Pour promouvoir la paix dans une société plurielle, les responsables religieux insistent sur la nécessité d’une conscience compréhensive et d’un respect total d’une diversité légitime, également sur la reconnaissance mutuelle des individus et des groupes (40). Zuber Hussein, leader de la communauté islamique de Papouasie occidentale, souligne cette nécessité en affirmant : « Nous devons comprendre que nous avons besoin de reconnaître les peuples de religions différentes, parce que nous ne formons qu’une seule famille. » (41)

Une attitude de reconnaissance mutuelle permet aux gens de s’ouvrir l’un à l’autre et d’apprendre beaucoup sur leurs propres traditions, en même temps que sur leur richesse et leur particularité. Apprenant à connaître les autres, ils arrivent à une meilleure compréhension mutuelle et ils découvrent la présence de valeurs de vie dans les autres traditions. Tout ceci permet de développer une attitude d’acceptation mutuelle. Une fois que les gens ont commencé à s’accepter, ils arrivent au respect mutuel. Ils peuvent alors apprécier la richesse, non seulement de leurs propres traditions culturelles et religieuses, mais aussi de celles des autres. Ils peuvent s’aider mutuellement à transformer les éléments porteurs de mort, qui existent dans toute religion et dans toute communauté ethnique.

La seconde valeur est la justice. Les responsables religieux sont convaincus que la paix est le fruit de la justice, ce qui laisse penser qu’il n’y aura pas de paix durable sans justice. Il faut faire régner la justice si l’on veut réussir à donner à la vision de « Papouasie, terre de paix » toute son ampleur. Compte tenu du contexte historique de la Papouasie occidentale, une grande importance a toujours été donnée à la justice sociale. En effet, la justice régit les relations sociales entre les individus et les groupes d’individus, en tant que critère de moralité dans la sphère sociale. Les relations sociales régies par la justice seront libres de toute domination, manipulation ou exploitation.

Néanmoins, la justice n’est pas qu’une simple convention humaine, simplement parce que ce qui est « juste » n’est pas déterminé en premier ressort par la loi, mais bien plutôt par la profonde identité de l’être humain. La justice traduite en actes doit être assise sur la volonté de reconnaître l’autre en tant que personne. Ce qui signifie reconnaître les droits et les devoirs qui découlent de la dignité humaine. Faire justice signifie respecter le droit des autres et se libérer de ses propres obligations. Cela nécessite la reconnaissance de droits mutuels et l’accomplissement des devoirs qui s’y rattachent. C’est de cette façon que, dans les relations sociales, est donnée la reconnaissance des droits et des devoirs réciproques. En revanche, la paix ne peut régner là où les droits de l’homme ne sont pas respectés, défendus et promus, et où l’on fait violence aux libertés inaliénables de l’homme, où sa personnalité est ignorée ou amoindrie et où règnent la discrimination et l’intolérance.

Mais la justice n’est pas suffisante en soi, elle peut même se trahir. La trahison de la justice se produit quand un voisin est blessé, tué, privé de liberté ou dépouillé de ses droits au nom de la justice. Ainsi donc la justice doit être ouverte à un pouvoir plus fort, celui de l’amour. La justice doit découler d’un amour miséricordieux. Faire justice signifie prouver son amour à son prochain. Les responsables religieux ont donc encouragé les peuples de Papouasie à s’aimer les uns les autres comme une réelle expression de leur foi (42).

La troisième valeur est l’unité. Les responsables religieux considèrent l’unité comme étant une des valeurs fondamentales de leur travail en faveur de « Papouasie, terre de paix ». Travailler pour l’unité est devenue une tâche ardue à cause de l’oppression continue du gouvernement indonésien, qui a semé le doute et introduit des divisions parmi les différentes communautés de la société. Etant donné que le peuple de Papouasie occidentale est déjà divisé selon des critères ethniques et religieux, il ne peut jouir de la paix que si les relations sociales ne sont pas affectées par des suspicions mutuelles. Construire l’unité pour arriver à la paix est donc devenu une priorité pour les responsables religieux. Ils ont compris que l’unité ou la communion entre les peuples ne peut et ne doit être obtenue par la force des armes, par la terreur ou l’abus de pouvoir. En tant qu’êtres sociaux, les individus ont tendance à s’unir à leurs semblables. Ce n’est pas simplement à cause des différentes formes d’organisations, de communautés, de politiques ou de plans économiques, mais parce que chaque personne est un membre faisant partie de l’immense famille humaine. Tous les membres de la famille humaine sont égaux entre eux en vertu de leur dignité humaine. L’unité qu’ils présentent est destinée à s’accomplir dans la diversité. D’où le fait qu’aucune religion ou aucune culture particulière ne puisse être considérée comme le fondement de leur unité ou le critère du jugement porté sur cette unité. La dignité humaine, le respect mutuel et l’amitié, l’interdépendance dans la collaboration et le bien commun peuvent et doivent fournir la base de l’unité entre les peuples. Comme le disait Mgr Leo, « les responsables religieux papous ont commencé à construire ces fondations en établissant une communion pacifique entre tous les groupes culturels, ethniques et religieux, aussi bien qu’entre les différents courants politiques » (43).

La quatrième valeur est l’harmonie avec Dieu, ses voisins et la Création toute entière (44). Les responsables religieux étant convaincus qu’il ne pourrait y avoir de paix si les gens ne vivaient pas en harmonie, ils ont donc invité et encouragé chacun à maintenir des relations harmonieuses et une profonde communion avec Dieu, tous les membres de la communauté et tous les hommes (45). Ils ont d’abord insisté sur l’importance de vivre dans une relation harmonieuse avec Dieu, pivot des relations avec les autres créatures. Cette relation verticale implique la reconnaissance de Dieu en tant que Créateur et celle de l’être humain en tant que créature. Une relation harmonieuse avec Dieu doit se manifester dans une relation harmonieuse avec les autres et avec la nature, car la foi en Dieu ne peut être séparée du respect des êtres humains et l’amour de Dieu n’existerait pas sans amour pour le prochain. Si les hommes manipulent Dieu pour leur propre intérêt, ils détruisent la relation harmonieuse avec les autres et avec la Création. Les responsables religieux ont donc dénoncé toute tentative d’utiliser le nom de Dieu ou la religion à des fins d’obtention, de maintien ou de légitimation du pouvoir politique. Une telle démarche transformerait les fidèles d’une religion en pourvoyeur non de paix, mais de conflits ou d’agitations qui conduiraient à la violence.

Les responsables religieux ont donc insisté sur l’importance d’une relation harmonieuse entre les peuples. Cette relation doit toujours être fondée sur le respect de la dignité de la personne humaine. De là, leur appel à traiter chacun comme un être humain et un enfant de Dieu. Respecter la dignité de la personne humaine est la seule façon d’établir des relations paisibles entre les individus et les groupes de la société. Car c’est seulement en respectant les autres comme des créatures et des enfants de Dieu, qui sont aimés par ce même Dieu, que l’on peut construire une société pacifique.

Les responsables religieux ont également mis en avant une relation harmonieuse avec la nature, parce que l’expérience a démontré que la nature peut être facilement détruite du fait d’intérêts égoïstes. A l’inverse, toute détérioration des relations avec la nature détruit l’habitat matériel et spirituel de la population, l’écosystème des forêts et des ressources comme l’eau, la nourriture et met en danger la vie humaine. Les responsables religieux ont donc souligné la nécessité de protéger la nature et d’utiliser correctement les ressources naturelles pour préserver la vie humaine (46).

La cinquième valeur est la solidarité. Etre solidaire signifie souffrir avec ceux qui souffrent. La solidarité met en évidence d’une façon très particulière la nature sociale intrinsèque des êtres humains. Ce n’est pas une vague pitié pour ceux qui sont dans le besoin ou un sentiment superficiel de détresse pour le malheur des autres. C’est avant tout une authentique vertu morale. Elle implique une détermination ferme et un engagement persévérant au bien-être commun, parce que nous partageons tous la responsabilité de nos frères. La solidarité est également une vertu sociale fondamentale dans la mesure où elle reflète une volonté de se donner pour le bien de son prochain, sans aucune considération pour son propre intérêt. Elle implique une privation pour les autres. Une attention particulière est à donner aux victimes des catastrophes naturelles, mais aussi aux victimes des catastrophes provoquées par les hommes. La solidarité se manifeste par un acte d’amour dirigé de préférence vers ceux qui sont rejetés, exclus, marginalisés, privés de leurs droits et de leur dignité humaine, ou oppressés par l’autorité et par la société. Etre solidaire signifie traiter les victimes de l’injustice et des catastrophes naturelles exactement comme les membres d’une famille humaine dans la paternité de Dieu. Elle vise donc à rendre aux victimes leur statut d’enfants de Dieu, à rétablir des relations justes et aimantes entre les peuples et les groupes de la société, à aider ces groupes à jouir d’une vie intègre et digne et à leur faire atteindre la plénitude de la vie qui vient de la communion entre les individus, entre les communautés et avec Dieu (47).

La sixième valeur est celle du rassemblement (48). Mettre cette valeur en exergue signifie presser chacun de reconnaître la présence d’autres personnes, groupes sociaux et religions dans leur légitime différence. Il n’existe aucune justification pour aucune forme de discrimination. Les responsables religieux ont compris que « Papouasie, terre de paix » ne pouvait s’élaborer en adoptant une attitude fanatique. Ils se sont donc engagés à promouvoir la valeur du rassemblement dans toute la société. Ils ont encouragé les personnes à être ouverts et à commencer à créer des relations avec d’autres groupes pour empêcher tout conflit dans la société. En effet, « la clef est de croire en l’autre, de l’honorer et de comprendre sa foi » (49).

La septième valeur qui sous-tend le concept de « Papouasie, terre de paix » est la fraternité sincère. La fraternité sincère n’est pas fondée sur une même couleur de peau, une même tradition culturelle, une même religion, une même race, un même sexe, parce qu’une fraternité fondée sur ces éléments ne produira jamais la paix, mais seulement le doute, la division, la discrimination et la violence entre les peuples et les personnes. La fraternité sincère promue par les responsables religieux est enracinée dans la dignité de la personne humaine. L’ultime fondation de la fraternité sincère entre tous les peuples est l’unicité de la dignité humaine et l’égalité pour tous en raison de leur dignité naturelle. Les hommes ont été crée par Dieu qui leur a donné une âme raisonnable. Comme l’explique Zuber Hussein, « l’islam insiste sur le fait que tous les peuples ont la même dignité, le même prestige et le même statut, qu’aucun groupe dans une société n’est meilleur que l’autre, quel que soit sa nation, sa religion, sa classe sociale ou son appartenance politique. » (50)

La huitième valeur est le bien-être (51). Cette valeur n’est pas restreinte aux besoins de base, tels la nourriture, l’eau potable et le toit pour s’abriter. Elle comprend la santé, l’éducation et l’environnement qui sont les besoins élémentaires de chaque individu. Le bien-être concerne également la répartition des fruits du développement. Il ne peut pas y avoir de paix sans une distribution équitable de la richesse parmi la population. Pour les responsables religieux, les biens de la terre ont été créés par Dieu pour être largement utilisés par tous et non par quelques-uns. Ils doivent être partagés équitablement selon les principes de justice et de charité. Les activités de développement doivent servir le plus grand nombre et le bien commun. Tous les membres de la communauté, et particulièrement ceux de la communauté indigène, doivent avoir la possibilité de se développer et d’avoir libre accès aux formes collectives de richesse. Le problème du bien-être est donc étroitement lié au gouvernement et à la politique qu’il mène. Pour cette raison, les responsables religieux en appellent au gouvernement pour qu’il « donne aux Papous la possibilité de prendre leur juste place d’acteurs primaires dans le processus de développement et qu’il utilise les ressources naturelles pour le bien-être et la prospérité du peuple papou » (52).

L’engagement interconfessionnel en faveur de la paix

Compte tenu des valeurs qui sous-tendent le concept de « Papouasie, terre de paix » et viennent d’être énumérées, les responsables religieux se sont engagés à parler ensemble (53), premièrement, de l’injustice et de l’oppression. Il est particulièrement important que la justice soit respectée en Papouasie occidentale, où les menaces sur les valeurs individuelles, la dignité humaine et les droits de l’homme sont systématiques. Un accent particulier doit être donné aux problèmes des autochtones papous, qui sont les grandes victimes des violations intervenues sous le gouvernement indonésien, depuis 1963. Ces violations vont des exécutions sommaires à la torture, à l’intimidation, à la détention arbitraire et aux abus sexuels. Les Papous ont également été les victimes d’autres formes d’oppression, comme l’imposition de la politique du gouvernement, la présomption d’incompétence, l’aliénation culturelle, le refus d’une identité culturelle, l’impossibilité de s’exprimer et enfin la domination sociale. Les responsables religieux ont donc reconnu que les droits des autochtones papous avaient été bafoués. Or, il ne peut y avoir de paix si les droits de tout un peuple ne sont pas respectés. Un respect inconditionnel des droits inaliénables est essentiel pour que règne la paix en Papouasie occidentale. Les responsables religieux se sont donc engagés à promouvoir « Papouasie, terre de paix » en s’élevant contre l’injustice et toutes les formes d’oppression dont sont victimes en particulier les Papous.

Deuxièmement, les responsables religieux se sont engagés à collaborer avec d’autres. Ils ont compris que transformer la Papouasie en terre de paix ne relevait pas de leur seule responsabilité. Cela nécessitait au contraire la participation de tout le monde. Ils ont donc appelé les autochtones papous, mais aussi les immigrés vivant en Papouasie occidentale à œuvrer pour la paix. Ils se sont aperçus que d’autres groupes et institutions travaillaient également activement pour la paix. Par conséquent, ils se sont engagés à collaborer efficacement avec eux et les chefs coutumiers, les responsables de jeunes, les femmes, les organisations gouvernementales et non gouvernementales et, enfin, avec tous les personnes de bonne volonté.

Troisièmement, les responsables religieux se sont engagés à prévenir ensemble tout conflit violent. En défendant « Papouasie, terre de paix », ils ont compris qu’il n’y avait aucun avantage à attendre que la violence éclate pour arriver avec une réponse interreligieuse. Ils sont donc bien conscients qu’en travaillant ensemble, les religions peuvent jouer un rôle en évitant d’abord tout conflit violent. Plutôt que de réparer les dommages causés par un conflit, ils se sont accordés pour empêcher toute forme ou toute manifestation de conflit et se sont engagés à être proactifs plutôt que réactifs. Cela implique d’identifier les causes potentielles d’un conflit violent et d’y faire face de manière pacifique. Leur engagement à prévenir tout conflit violent est fondé sur les valeurs qui sous-tendent le concept de « Papouasie, terre de paix », telles la conscience et le respect de la pluralité, de la justice, de l’unité, de l’harmonie, de la solidarité, du rassemblement, de la fraternité sincère et du bien-être. Les responsables acceptent les politiques et les programmes de tout pays ou toute institution qui pouvaient aider à faire de la Papouasie, une terre de paix.

Quatrièmement, les responsables religieux ont décidé d’explorer les ressources qui pourraient exister dans les différentes cultures locales. Cette décision a été prise dans l’idée que les cultures locales de la Papouasie occidentale avaient un conception et une compréhension culturelle de la vie humaine, de l’obtention de la paix, des pratiques de résolution des conflits, des méthodes de médiation, des rites, des gestes et des paroles pour recréer des relations harmonieuses dans les communautés en conflit. Ces ressources culturelles peuvent être employées dans le processus de réconciliation qui mènerait à la paix.

Les initiatives interreligieuses en faveur de la paix

L’engagement conjoint des responsables religieux de Papouasie occidentale que l’on vient de décrire s’est matérialisé dans de nombreuses activités interreligieuses, qui ont été menées sous la devise « Papouasie, terre de paix ». En voilà sept exemples :

Premièrement, pour promouvoir la paix et refléter son importance dans la vie de tous les jours, les responsables religieux ont décidé, en 2003, de déclarer le 5 février, « Journée de la paix pour les Papous ». Le choix du 5 février n’est pas le fruit du hasard. Il correspond en effet au jour où les missionnaires allemands J.S. Geissler et C.W. Ottow sont arrivés, en 1855, sur l’île de Masinam, en Papouasie occidentale, apportant l’Evangile avec eux. L’arrivée de l’Evangile est considérée comme l’arrivée de la paix pour le peuple papou. Le jour de son arrivée est en effet célébré tous les ans par les fidèles de toutes les religions, comme la « Journée de la paix ». C’est l’occasion pour les responsables religieux d’organiser dans chaque ville de Papouasie occidentale des activités en faveur de la paix, fondées soit sur des religions particulières, soit sur des manifestations collectives.

Deuxièmement, les responsables religieux apprécient la célébration, le 21 septembre, de la Journée internationale pour la paix, décidée par les Nations Unies. En Papouasie occidentale, cette célébration est dirigée conjointement par les responsables religieux avec d’autres groupes ou d’autres institutions. Cette journée est pour eux une occasion de se réunir et de réfléchir en séminaires ou en ateliers au sens profond de la paix et à la mission des porteurs de paix. Ils abordent notamment les menaces qui pèsent sur la paix et renouvellent le besoin de renforcer leurs engagements pacifiques, de trouver des moyens de promouvoir la paix au quotidien et d’inviter les peuples de toutes les religions et le gouvernement à travailler ensemble en ce sens.

En 2002, la Journée internationale pour la paix a été marquée par des veillées et une marche de prières conduite à travers Jayapura, capitale de la Papouasie occidentale, par les responsables de toutes les religions qui marchaient en tête du cortège, se tenant la main en signe d’amitié et d’unité. Le cortège s’est arrêté dans cinq points de la ville, où des prières et des appels ont été faits : devant le Parlement par le chef de la communauté bouddhiste, à la mosquée principale par le président de la branche de Papouasie occidentale du Conseil indonésien des oulémas (MUI), à l’église protestante de Pengharapan (‘l’espoir’) par les responsables des Eglises protestantes, et à l’église de Saint-François d’Assise par l’évêque catholique de Jayapura. A chaque arrêt, un groupe religieux a dirigé la prière selon son inspiration, alors que les autres groupes se recueillaient pour méditer (54). Près de 1 500 personnes de différentes religions ont participé à cette marche de prière. Leur message principal écrit sur des bannières était : « damaiku, damaimu, damai kita, damai itu indah », à savoir : « ma paix, votre paix, notre paix, la paix est belle ».

Réfléchissant sur la marche de prière, organisée lors de la Journée internationale pour la paix, Mgr Leo expliquait que la prière est la manifestation d’un engagement commun de garder la Papouasie pacifique au milieu des tensions existantes. Les divisions religieuses disparaissent dans cette atmosphère, et les prières offertes par chacun des groupes religieux offrent une expérience différente de Dieu. La communauté bouddhiste offrait l’expérience d’un « Dieu de la sagesse », les musulmans, d’un « Dieu très haut », les chrétiens, de « Dieu, notre Père aimant » et la communauté hindoue, du « Dieu très spirituel ». Ce fut une expérience de foi très riche, mêlée à un sentiment de cordiale amitié. La Journée internationale pour la paix a été célébrée dans la prière, car « nous nous sommes mis devant le Créateur et la Providence, le Commencement et la Fin de toute la Création » (55).

Troisièmement, les responsables religieux ont compris que le développement de la Papouasie occidentale ne devait pas être séparé de la campagne « Papouasie, terre de paix ». Ce sont deux problèmes différents, mais très proches qui ne doivent pas s’opposer. Les responsables religieux sont convaincus que les activités de développement sont essentielles pour que la paix règne en Papouasie occidentale. Il n’y aura pas de paix si les secteurs de l’éducation et de la santé sont ignorés et négligés, si la pandémie de sida n’est pas prise en compte, si les gens des villages lointains et isolés continuent de souffrir de malnutrition, si la corruption n’est pas éradiquée et si le peuple continue d’avoir peur. Tous ces problèmes doivent pouvoir être abordés par l’intermédiaire d’une politique de développement. Ainsi donc, les responsables religieux ont insisté sur le besoin de développement et ils ont apporté leur plein soutien aux activités qui pouvaient traiter les problèmes réels. Ces activités devraient pouvoir être menées pour permettre de transformer la Papouasie en terre de paix. Les responsables religieux ont donc conjointement promu « Papouasie, terre de paix » comme la plateforme de développement de la Papouasie occidentale (56).

Quatrièmement, les responsables religieux n’ont pas cessé de recommander à toutes les parties de ne pas utiliser la violence comme solution aux problèmes de Papouasie occidentale (57). Ils sont en effet convaincus que la violence n’amène jamais la paix, mais qu’en revanche, elle engendre de nouvelles violences. Ce qui, à son tour, entraîne la perte de toute sérénité (58). Dans l’intérêt de la paix, les responsables religieux ont constamment pressé le gouvernement d’assurer l’ouverture d’esprit des autorités pour qu’elles aient une compréhension large et correcte des problèmes de Papouasie occidentale (59) et qu’elles entament le dialogue, la voie la plus digne pour résoudre les problèmes. Ils ont aussi appelé la population à se considérer comme enfants de Dieu, à vivre dans un esprit de rassemblement et à dialoguer afin de trouver des solutions pacifiques (60).

Cinquièmement, les responsables religieux ont, devant les violations des droits de l’homme, lancé un appel commun pour une enquête indépendante sur les abus des droits de l’homme, afin que la vérité soit faite sur les auteurs des violences et leurs motivations. Ce serait dans l’intérêt de la justice et cela contribuerait à faire disparaître les soupçons au sein de la population civile (61). Les responsables religieux ont donc pris l’initiative de faire appel à la Commission nationale des droits de l’homme pour mettre en place cette enquête et procéder aux investigations sur les graves violations perpétrées par les forces de sécurité indonésiennes. Leur demande d’une investigation indépendante sur les abus de droits n’est pas une sorte de revanche sur les auteurs de ces actes, ni la recherche d’un quelconque intérêt politique. Elle est uniquement fondée sur l’obligation qu’ils ressentent de garantir la dignité humaine et le maintien de droits égaux pour tous (62).

Sixièmement, les responsables religieux ont défendu, à de nombreuses reprises, le droit à la vie. Ils croient au caractère sacré de la vie humaine, au fait que l’humanité ne comprend qu’une seule et même famille et que chaque vie humaine a une valeur équivalente à la somme de toutes les vies. Ils sont convaincus que la sainteté de la vie est leur vocation et leur mission. Le meurtre, quelles qu’en soient les motivations, doit être considéré comme l’annihilation du droit à la vie. Les violences commises contre une personne ou un groupe de personnes, sous quelles que formes que ce soient, détruisent le droit à la vie. Les responsables religieux ont donc pressé toutes les parties en présence, y compris les forces de sécurité indonésiennes, de respecter le droit à la vie de toute personne vivant en Papouasie occidentale, car ce droit à la vie est un don du Créateur à tous les êtres humains. Ils ont donc appelé conjointement toutes les parties à cesser la violence et à respecter le droit à la vie, en réglant les problèmes par le dialogue (63).

Septièmement, le gouvernement indonésien a, pendant les quatre dernières décennies, pratiqué une approche centralisée des problèmes, en prenant la plupart des décisions politiques en matière de développement de la Papouasie occidentale sans consulter les communautés coutumières, les communautés de foi et les femmes (64). Le gouvernement a toujours ignoré la valeur de la dignité humaine, la réalité de la société dans ses différentes composantes, les appels à la justice, à la participation au développement, aux droits de l’homme et au respect de l’intégrité de la création (65). Les responsables religieux ont donc plaidé pour une participation publique active dans les processus de décision. Ils ont insisté sur le fait que les autochtones papous puissent bénéficier de larges possibilités d’exercer leur droit de participation, ont demandé une plus grande transparence et de plus grandes possibilités pour qu’ils puissent exposer leurs doléances et les solutions envisagées. Ils pourraient de la sorte devenir des acteurs de la transformation sociale et de leur propre développement. Les responsables religieux ont donc pressé le gouvernement de donner aux Papous l’occasion de prendre la place de droit qui leur revenait en tant qu’acteurs dans le processus de développement et en tant qu’utilisateurs des ressources naturelles (66).

Conclusion

L’apparition d’une collaboration entre les responsables de toutes les religions en Papouasie occidentale est un événement remarquable. Cette collaboration est apparue comme une lumière qui communique l’espoir aux fidèles vivant dans ce pays sujet aux conflits. La variété des activités interreligieuses s’est révélée être une expérience très enrichissante pour tous. Toutes les personnes qui vivent en Papouasie occidentale devraient y participer pour faire de « Papouasie, terre de paix » une aspiration et une mission commune. Ce concept doit être présent dans le cœur des fidèles de toutes les religions et de toutes les communautés ethniques, entretenu par toutes les activités menées par chaque religion séparément et par toutes les religions ensemble. Il faut, de plus, que soit développée une vision théologique fondamentale du concept « Papouasie, terre de paix ». Chaque religion est appelée à développer son concept de paix dans des termes simples, expliquant comment il peut être mené à bien. Il est également nécessaire de développer un concept culturel de la paix pour que cette campagne de paix puisse trouver un écho parmi les autochtones papous.

Compte tenu de la résistance pacifique des autochtones papous à l’oppression indonésienne, il est indispensable de promouvoir une résistance non violente et en conséquence d’explorer les aspects théologiques, philosophiques, politiques et culturels de cette résistance pacifique. Une éducation tournée vers la paix doit être introduite dans chaque école de Papouasie occidentale et le concept « Papouasie, terre de paix » doit être inclus dans le cursus de chaque institution éducative, depuis les classes élémentaires jusqu’aux cours universitaires, avec les symboles culturels, les métaphores, les images, les rituels et les histoires correspondantes.