Eglises d'Asie – Inde
Mizoram : la campagne des Eglises chrétiennes en faveur de la natalité déclenche une polémique
Publié le 19/03/2013
Lors de la 45ème conférence générale de la branche féminine de l’Eglise presbytérienne qui s’est tenue le 9 mars dernier à Aizawl, la capitale de l’Etat, les délégués ont voté le lancement d’une grande campagne au sein de l’ethnie majoritaire mizo (1) afin d’inciter les couples à avoir davantage d’enfants. Il a également été décidé que les familles ayant déjà plusieurs enfants et peu de moyens pourraient bénéficier d’une aide financière.
Tout au long de la semaine dernière, les médias indiens se sont fait l’écho de cette campagne de l’Eglise presbytérienne, la principale dénomination protestante du Mizoram (2), lui-même l’un des rares Etats à majorité chrétienne de l’Inde (87 % de la population). Se sont jointes à elles les principales ONG qui oeuvrent au Mizoram ainsi que l’Eglise baptiste, seconde plus importante communauté chrétienne de l’Etat.
Le fait n’est cependant pas nouveau. Depuis des années, les Eglises du Mizoram s’opposent au modèle du planning familial indien de la famille de deux enfants. Il y a quelques mois seulement, lors du Synode général de l’Eglise presbytérienne au Mizoram, les représentants des différents mouvements avaient fdéjà ait part de « leur grande préoccupation » concernant la baisse de la natalité dans l’Etat et s’étaient prononcés pour une « campagne de sensibilisation » auprès des fidèles sur la nécessité d’une plus grande fécondité dans le couple, « selon les enseignements des Saintes Ecritures ».
Les grands principes de cette campagne avaient été lancés l’été dernier par le groupe étudiant presbytérien mizo lors de son rassemblement annuel du 12 juillet. Le Mizo Zirlai Pawl (MZP) avait voté une résolution visant à « faire prendre conscience » que la dénatalité de la communauté mizo, bien que peu visible pour le moment, se profilait à court terme et que leur ethnie pourrait se retrouver rapidement noyée dans la masse des « immigrés des plaines » à la croissance très dynamique.
« C’est notre devoir d’enseigner cela à nos fidèles, mais la décision appartient à chaque individu », avait expliqué quelques mois plus tard le Rév. Lalhmingthanga, directeur du Centre de conseil familial de l’Eglise presbytérienne. « Même si Delhi a une politique de contrôle des naissances, chaque Etat devrait décider de ce qui lui correspond le mieux », avaient surenchéri les leaders du MZP, s’attitrant immédiatement les foudres des médias et des tenants du planning familial.
Parmi eux, le News Bharati, quotidien nationaliste hindou, avait dénoncé avec virulence l’incompréhension de ce qu’était une « politique nationale » par des « tribals » qui avaient toujours pensé qu’ils « étaient indiens par accident » et avaient donc droit à bénéficier de mesures spécifiques. Condamnant une « atteinte à l’intégrité nationale », le quotidien avait mis les déclarations des « jeunes extrémistes » de l’Eglise presbytérienne sur le compte « du poids des traditions patriarcales des Mizos » et s’étonnait du « silence assourdissant » des femmes sur cette affaire qui les « concernait pourtant directement ».
Après l’approbation de la campagne par les dirigeants de l’Eglise presbytérienne, mais surtout par la Commission presbytérienne des femmes le 9 mars dernier, les principaux quotidiens indiens sont revenus à la charge, mais avec d’autres arguments. Le 14 mars, le Times of India soulignait le paradoxe que représentait le Mizoram, qui avait été l’un des Etats indiens où la politique de contrôle des naissances avait été la plus appliquée, recevant même plusieurs prix nationaux dont le National Family Welfare Award. Dans le cadre du programme lancé dès les années 1950 en vue de limiter les naissances, le Mizoram détenait également le record du taux le plus important de couples ayant eu recours à la stérilisation plutôt qu’à la contraception (45 %).
Selon le dernier recensement de 2011, la population du Mizoram vient de dépasser le million d’habitants. Un chiffre dérisoire au regard des 1,21 milliard d’Indiens, comme de la densité de la population de l’Inde qui est de 342 habitants au km2 en moyenne, pour seulement 52 au Mizoram. Parallèlement, les statistiques de l’Etat affichent une diminution notable de la croissance de sa population qui est passée de 2,5 % en 2001 à seulement 2 % en 2011.
Il s’agit d’une erreur d’interprétation des chiffres, conteste le Bharati News. Si les taux de natalité et de fécondité des Mizos sont effectivement peu élevés, les principales raisons en sont la forte mortalité infantile et maternelle, nettement supérieures à la moyenne nationale, ainsi que le manque d’infrastructures de santé, qui conduit à un important taux de décès des enfants de moins de 5 ans. « Une récente étude sur les Etats du Nord-Est, développe le quotidien dans son édition du 14 mars, établit que 21 % de la population du Mizoram – malgré d’autres bons indicateurs comme le taux d’alphabétisation de l’Etat qui atteint 88,5 % – vit en dessous du seuil de pauvreté (…) et n’a que peu accès au système de santé, par ailleurs particulièrement déficient. » Mais, outre le fait que, selon les statistiques officielles (3), les habitants du Mizoram ne sont que 19 % à se situer en dessous du seuil de pauvreté, l’éditorialiste omet de préciser que le pourcentage atteint 26 % pour l’ensemble de l’Inde.
L’Eglise presbytérienne souligne quant à elle qu’au sein de sa communauté, le taux de natalité est en chute libre : en 2011, il était de 18,7 ‰ (la moyenne indienne étant de 20,6 ‰ ) pour un taux de mortalité de 4,9 ‰ (7,43 ‰ pour l’ensemble de l’Inde). Soutenant la position des chrétiens, les principales ONG qui travaillent dans l’Etat estiment également que le contrôle des naissances ne correspond pas aux Mizos dont l’ethnie autrefois prédominante décroît au profit de populations immigrées et appellent elles aussi à relancer la natalité afin d’éviter une «catastrophe démographique ».
Le Bharati News dénonce alors la volonté « bien connue des chrétiens de vouloir convertir le plus grand nombre possible de ‘tribals’ en Inde » ainsi que les récentes « campagnes d’évangélisation » qui ont déjà obtenu la conversion de « plusieurs communautés aborigènes et groupes ethniques de l’Inde ». Et aujourd’hui, poursuit le quotidien hindouiste, « les leaders chrétiens encouragent la multiplication des naissances (…) afin de ne pas perdre leur supériorité numérique au Mizoram ».
Cette crainte ne touche pas que les Mizos, explique le Shillong Times du 14 mars, rappelant qu’il y avait seulement quelques années, le chef du Khasi Hills Autonomous District Council (KHADC) (4) ,afin de compenser la dénatalité des aborigènes khasis, avait « offert des primes aux femmes ayant donné naissance à 12 enfants ou plus », une décision qui avait été fortement critiquée.
Plus récemment, à l’autre bout du pays, l’Eglise catholique au Kerala, qui remet en cause régulièrement le planning familial du gouvernement central, a mené également une campagne de sensibilisation de ses fidèles en faveur de la natalité et du respect de la vie. Comme les presbytériens du Mizoram, les catholiques ont mis en place un système d’aide pour encourager les familles nombreuses et subvenir aux besoins des plus défavorisées (5). « On assiste à une prise de conscience des conséquences négatives des campagnes de contrôle des naissances des gouvernements successifs, comme par exemple la disparition progressive des populations aborigènes ou des minorités ethniques », déclarait il y a quelques mois, le P. Jose Kottayil, secrétaire de la Commission pour la famille de l’Eglise catholique au Kerala.