Eglises d'Asie – Inde
Maharashtra : aborigènes hindouistes contre aborigènes chrétiens
Publié le 16/01/2013
… Depuis l’attaque de leur communauté le 30 décembre dernier, ils sont menacés régulièrement de mort par les hindous aborigènes de leur propre village et se trouvent privés d’accès à l’eau et au bois pour le feu.
« Environ 300 personnes viennent chaque dimanche dans notre village pour l’office dominical, témoigne Bharat Patil, 22 ans, auprès d’un journaliste de kractivist.wordpress.com, un blog militant pour les droits de l’homme en Inde. Nous venions juste de nous rassembler lorsque plusieurs centaines d’hommes sont arrivés et ont commencé à tout casser : l’harmonium a été brisé, la bible lacérée et les fidèles ont été violemment frappés, y compris les femmes et les enfants ; près d’une trentaine d’entre eux sont gravement blessés. Nous avons reconnus la plupart d’entre eux ; certains étaient de notre village et d’autres étaient venus des environs. »
Alors que les victimes affirment que la police a laissé les assaillants perpétrer leur attaque sans bouger et a refusé de prendre leurs dépositions, les responsables des forces de l’ordre du teluka (sous-district) de Palghar, dont dépend le village, répondent aujourd’hui à la presse qu’il ne s’agissait que « d’un léger différend privé, sans conséquences, et qui a été résolu le jour même ».
Cette attaque ainsi que d’autres agressions, menaces et graves discriminations que subissent depuis des mois les adivasi chrétiens de la région n’ont été médiatisées que récemment, par l’intervention du Catholic Secular Forum (CSF) que plusieurs groupes de chrétiens aborigènes, n’obtenant aucun secours, sont allés trouver à Bombay (Mumbai). Joseph Dias, secrétaire général du CSF, ONG qui lutte contre les persécutions antichrétiennes, a immédiatement publié des communiqués de presse, contacté les autorités des districts concernés, et envoyé des mémorandums accompagnés de pétitions aux autorités de l’Etat du Maharashtra.
« L’attitude des forces de police est inexcusable, a déclaré le responsable du CSF le 10 janvier dernier. Dans le sous-district de Palghar, la police ignore systématiquement les plaintes des chrétiens et dans certains cas va jusqu’à demander 2 000 roupies [27 euros, l’équivalent d’un mois de salaire pour ces populations très pauvres] en échange de la protection d’un seul policier pour une réunion. »
Un comportement stigmatisé également par Abraham Mathai, ancien vice-président de la Commission pour les minorités de l’Etat, qui s’est déclaré « particulièrement choqué » par la complicité tacite de la police. « Les chrétiens ‘tribals’ [adivasi] des sous-districts de Mokkada, Wada, Vikramgarg et maintenant Palghar, subissent une recrudescence des attaques perpétrées par les extrémistes, et les autorités ont manqué à leur devoir de protection qu’exige notre Constitution », a déclaré le 11 janvier celui qui préside toujours l’Indian Christian Voice, à l’issue de sa rencontre avec le ministre de l’Intérieur du Maharashtra, R. R. Patil, qu’il a pressé d’intervenir.
Les adivasi du village de Tamsai, menacés de mort par les autres habitants du village, n’ont pas pu tenir une seule assemblée de prière depuis l’attaque du 30 décembre dernier. Ce n’est que par l’insistance du CSF, présent sur les lieux, qu’une protection policière a pu être mise en place et permettre l’office dominical du 13 janvier. « Les gens avaient très peur car les hindouistes avaient menacé de mort tous ceux qui assisteraient à une célébration », rapporte Ravindra Jadhav, l’un des prédicateurs du village, à l’agence Ucanews le 14 janvier dernier.
L’attaque du lieu de culte – une maison privée qui accueillait les chrétiens du village ainsi que ceux des environs pour les réunions de prière – s’est produite peu après que le gram panchayat (1) eut interdit le culte du « dieu chrétien » dans le village et menacé tous ceux qui persisteraient, d’être exclus de la communauté. « Le panchayat a décidé de refuser l’eau et le bois pour le feu à tous les chrétiens, rapporte un chrétien. Nous avons bien essayé de leur faire comprendre que nous n’avions pas été convertis de force et que des réunions de prière se tenaient ici depuis plusieurs années mais cela n’a servi à rien. »
En effet, affirment les Eglises locales, ce sont les accusations de conversions forcées d’hindous au christianisme qui sont bien à l’origine des incidents qui se multiplient dans l’Etat, où la croissance des Eglises chrétiennes a été particulièrement forte ces dernières années. De vastes campagnes d’affichage mettent notamment en garde depuis des mois les hindous contre les chrétiens « qui tentent de convertir toute la région ».
Début décembre, c’était la ville de Malvan, dans le district de Sindhudurg, qui était le théâtre de violences antichrétiennes, également lors d’une célébration dominicale. La petite ville balnéaire située au nord de Goa avait déjà essuyé une semblable attaque en octobre dernier. A Panvel, dans le district de Raigad, de jeunes chrétiens qui distribuaient des tracts ont été attaqués fin novembre par un groupe hindouiste et grièvement blessés. « Depuis plus de deux ans, le droit des chrétiens adivasi à la liberté de religion inscrit dans la Constitution est constamment violé dans tout le district de Thane », dénonce encore le CSF qui ajoute que « dans ces taluka, les chrétiens sont contraints de recourir à la crémation et sont constamment menacés pour leur foi au point que la plupart la pratiquent en secret ».
Le 11 janvier, le quotidien The Hindu publiait un reportage sur le village de Tamsai où « les ‘tribals’ non chrétiens s’étaient retournés contre leurs frères et sœurs de la même communauté » et les avaient condamnés au « boycott social et économique » tant qu’ils persisteraient à suivre la foi du « dieu chrétien ». Selon le journaliste, il y aurait eu deux attaques distinctes contre les chrétiens le 30 décembre 2012 dans le village, toutes deux motivées par des allégations de conversions forcées. « Nous ne leur avons jamais demandé de se convertir, explique au quotidien, le Rév. Govari, qui était le leader du Shiv Sena local (3) avant de devenir pasteur. D’ailleurs, tous ceux qui viennent aux rassemblements de prière ne sont pas forcément chrétiens (…). Quant à ceux qui le sont, ils ont bien sûr demandé le baptême volontairement. »
Les habitants qui sont considérés comme chrétiens, rapporte encore le journaliste, se voient refuser l’accès aux puits communautaires et l’achat du bois nécessaire au chauffage et à la cuisine sans lesquels il n’y a pas de survie possible dans ces communautés. Le panchayat a également menacé d’étendre ces interdictions à quiconque dans le village aurait des relations avec les exclus ou tenterait de les aider. « Personne ne m’a adressé la parole depuis l’attaque, témoigne ainsi Jadhav, un chrétien de Tamsai. Et cela continuera jusqu’à ce que nous arrêtions de prier Jésus. »
Interrogé par le quotidien, le sarpanch du panchayat du village, Vijay Shelar, lui a fait la même réponse que les responsables de la police locale : « Il ne s’agissait en réalité que d’une petite querelle interne au village et absolument pas d’un conflit communautariste (…) », a-t-il déclaré, ajoutant qu’il n’y avait « jamais eu de boycott, le rôle du panchayat étant de prendre soin de chacun, quelle que soit sa religion ».