Eglises d'Asie – Philippines
La légalisation du divorce bientôt à l’étude au Parlement
Publié le 20/12/2012
… Dans la foulée, le président (speaker) de la Chambre des représentants, Feliciano Belmonte Jr, a annoncé qu’un projet de loi légalisant le divorce serait prochainement déposé, probablement après le mois de juin prochain lors de la session parlementaire qui suivra les élections de juin 2013.
Les promoteurs du projet de loi légalisant le divorce sont deux députées d’un petit parti, le Gabriela Women’s Party, qui demandent depuis août 2010 que le Code de la famille soit amendé afin d’y introduire le divorce. A ce jour, leur demande est restée bloquée au niveau des commissions parlementaires, mais le vote de la RH Bill leur a ouvert de « nouvelles perspectives », ont-elles déclaré. De son côté, sans faire spécifiquement référence à la légalisation du divorce, la sénatrice Pia Cayetano, qui avait pris la tête au Sénat des partisans de la RH Bill, a déclaré après le vote de la loi : « Je ne vais pas jubiler. En fait, mon travail ne fait que commencer. »
Depuis le vote par Malte l’an dernier d’une loi sur le divorce, les Philippines sont le seul Etat – avec le Vatican – où le divorce n’a pas été légalisé. Aux Philippines, la séparation de corps est autorisée pour des raisons ayant trait, entre autres, à l’infidélité ou à des violences physiques répétées, mais, sur un plan légal, les conjoints restent mariés et ne sont pas autorisés à contracter un nouveau mariage. Selon les deux députées, « de très nombreux couples, notamment dans les milieux défavorisés, n’ont pas accès aux tribunaux et viennent à se séparer en cas de difficultés sans bénéficier des garanties que leur offrirait un cadre juridique ».
Dans le contexte plus que sensible créé par le vote de la RH Bill, la perspective d’une légalisation du divorce a provoqué des réactions immédiates. Elu de la formation Force of the Filipino Masses à la Chambre des représentants, Rufus Rodriguez a lancé : « Nous nous sommes montrés déterminés dans notre opposition à la RH Bill. Nous le serons bien plus encore pour nous opposer à la loi sur le divorce. »
Au sein de l’Eglise catholique, la réaction a été également vive. Secrétaire exécutif de la Commission épiscopale pour la famille et la vie, le P. Melvin Castro a estimé que le soutien du président du Parlement à ce nouveau projet de loi « dévoilait le vrai visage » du gouvernement. Ce dernier, « contrairement à ce qu’il affirme, n’a jamais été pour le bien-être de la famille, des femmes et des enfants », a-t-il déclaré, ajoutant : « Je ne voudrais pas m’inscrire dans le registre du ‘je vous avais prévenu’, mais ce à quoi nous assistons aujourd’hui montre bien que [la RH Bill] n’est que le commencement d’une série de lois orientées contre la famille et la vie. »
Le président de la Conférence épiscopale, Mgr Jose Palma, archevêque de Cebu, a quant à lui annoncé qu’il avait demandé une réunion en urgence des évêques afin de mettre au point la réponse de l’Eglise à ce nouveau développement. Il s’est déclaré « très peiné, parce que bien des Philippins, y compris parmi les législateurs, pensent sincèrement que les textes qui sont votés au Parlement sont bons et le sont pour le bien du pays, mais à quoi devons-nous désormais nous attendre ? Au mariage homosexuel, à [la légalisation de] l’avortement ? »
Plus profondément, l’ensemble de cette actualité législative chargée pose à l’Eglise catholique des Philippines, dont se réclament 83 % des 103 millions de Philippins, un défi tant tactique que stratégique. D’un point de vue tactique, faisait valoir Mgr Teodoro Bacani, évêque émérite de Novaliches, si une leçon doit être tirée de l’échec qu’a constitué le vote de la RH Bill, c’est la nécessité de « former la population ». Le divorce n’induit pas que des conséquences sociales, « il mine également la nature même du mariage », a-t-il expliqué, ajoutant que si les législateurs adhéraient à des concepts liés à « la culture de mort », il ne devait pas en être de même de l’ensemble de la population du pays.
D’un point de vue stratégique, l’échec de l’Eglise pose la question de la place de celle-ci aujourd’hui aux Philippines. Le 19 décembre, un éditorial du Philippine Daily Inquirer rappelait qu’il était indéniable que l’Eglise avait joué un rôle central dans l’histoire de l’archipel. « Son influence a survécu à l’élan anticlérical qui a été, entre autres, à l’origine de la guerre pour l’indépendance contre l’Espagne », écrit l’éditorialiste Randy David. « Contrairement au Mexique par exemple, notre pays n’a pas connu d’évolution vers une société pleinement sécularisée. Le principe, moderne, de séparation des Eglises et de l’Etat est certes présent dans chacune des Constitutions que nous avons eues, mais sa mise en œuvre a été plutôt minimale, eu égard à une culture dominante imprégnée de catholicisme. L’Eglise n’a jamais quitté la place publique aux Philippines et sa place aux côtés des autres institutions sociales est toujours demeurée particulière.
(…) C’est l’énergie déployée par l’Eglise lors des deux Edsas – la première en 1986 contre Marcos, la seconde en 2001 contre Estrada – qui l’ont doté d’un capital politique tel qu’elle a pu accroître son emprise sur le territoire du gouvernement. D’une telle Eglise, dont le rôle a été décisif dans l’accession au pouvoir de deux présidents et dont les interventions sont toujours aussi recherchées lors des moments de crise politique, on peut difficilement réclamer qu’elle s’abstienne d’user de son influence, particulièrement dans les domaines qui touchent directement à sa mission pastorale. »
L’éditorialiste poursuit en avertissant que « s’en prendre à [l’Eglise] d’une manière agressive ne fera que mobiliser ceux qui estiment que l’Eglise est attaquée ». De même, analyse-t-il, « seule une attitude empreinte d’humilité pourra permettre à l’Eglise de dépasser ce moment de déception sans être écrasée par un sentiment de trahison qui l’engagerait dans la voie d’un affrontement prolongé ».
Soulignant qu’il est « rafraichissant » de voir un président dépasser « les affinités que sa famille entretient avec l’Eglise » ainsi que « les pressions » auxquelles il a été sûrement soumis afin de faire passer « une loi qu’il estime, à tort ou à raison, bonne pour le pays », Randy David conclut en incitant les deux parties à la modération. « Le président Aquino doit inciter les partisans de la RH Bill à s’abstenir de tout triomphalisme bruyant, mais il doit aussi rassurer les opposants qui pourraient présenter le vote de la loi comme une défaite retentissante de l’Eglise ; ce qui se joue ici, ce n’est pas une guerre opposant des institutions, c’est un ajustement délicat dans les relations qui existent entre des sphères dotées d’une autonomie qui leur est propre. »