Eglises d'Asie

Les évêques demandent au président Aquino de prendre au sérieux la doctrine sociale de l’Eglise

Publié le 29/01/2013




Mardi 29 janvier, à l’issue d’une assemblée plénière de trois jours, les évêques de l’Eglise catholique des Philippines ont publié une « Déclaration pastorale au sujet de certains problèmes sociaux actuels ». Dans ce texte de cinq pages, ils interpellent le président Aquino et l’ensemble des responsables politiques du pays. S’appuyant sur l’Evangile et la doctrine sociale de l’Eglise, …

… ils appellent à la mise en place de véritables réformes afin de lutter contre des maux connus de longue date mais auxquels les différentes administrations qui se sont succédé à la tête du pays n’apportent pas de réponse satisfaisante. « Nous prenons la parole à la place de ceux qui souffrent », expliquent les évêques.

Le document, signé de Mgr Jose Palma, archevêque de Cebu et président de la Conférence épiscopale philippine (CBCP), commence par évoquer les typhons Sendong et Pablo qui ont dernièrement causé de très lourds dommages dans le pays. Si ces catastrophes sont naturelles, l’ampleur des dégâts qu’elles provoquent ne l’est pas, écrivent les évêques : « La destruction de nos ressources naturelles, de nos forêts et de nos fleuves », résultat « d’une activité forestière et minière sans limite », nous amène à « examiner et à interroger la sincérité, la qualité et l’efficacité de la politique pratiquée par nos dirigeants ».

« La longue litanie des tempêtes, pas nécessairement naturelles », que doit essuyer le pays est, de fait, importante. Sorti vaincu de la bataille qu’il vient de livrer contre l’administration Aquino au sujet du vote d’une loi « sur la santé reproductive » (RH Bill), l’épiscopat place en tête de ses préoccupations « la promotion d’une culture de mort » dans la société, en raison de « la soumission de nos dirigeants politiques et économiques aux pratiques issues des pays occidentaux ». Il poursuit par une dénonciation de « la corruption et des abus de pouvoir » constatés au sein de l’administration et voit comme un facteur aggravant le fait que l’actuel gouvernement freine le vote au Congrès d’une loi sur le droit à l’information (Freedom of Information Bill), calquée sur la FOIA américaine qui oblige les agences fédérales de ce pays à transmettre leurs documents à quiconque en fait la demande. « Pourquoi auraient-ils (les gouvernants) peur de confier aux citoyens la vérité concernant leur gouvernance ? », interrogent les évêques.

Sur le même ton sans concession, l’épiscopat met en cause un des traits caractéristiques de la vie politique aux Philippines, à savoir la permanence à travers le temps de grandes familles – « les dynasties politiques » – qui trustent les offices électifs et gouvernementaux et dominent la sphère économique. Ces dernières décennies, quels que soient les régimes en place, le Congrès philippin (Sénat et Chambre des représentants confondus) a compté entre 60 et 75 % de membres issus de ces grandes familles (les Magsaysays, Cayetanos, Villars, Angaras, Revillas, Belmontes, Pacquiaos, Jalosjoses ou bien encore les Aquinos, famille de l’actuel président Benigno). A l’approche des élections de mai prochain (les mid-term elections qui verront le renouvellement de milliers d’élus, du niveau le plus local jusqu’au Congrès), l’épiscopat n’hésite pas à dénoncer un système « qui nourrit la corruption et l’inefficacité » en bridant l’arrivée de sang neuf au sein du personnel politique. Il dénonce notamment le fait que les législateurs bloquent avec constance le vote d’une loi qui pourrait empêcher l’accaparement du système politique par une poignée de grandes familles (1).

Sont évoqués ensuite différents points, dont la méfiance de l’opinion concernant l’automatisation du dépouillement électoral mise en place par la COMELEC, la commission électorale (« L’intégrité d’un pilier de notre démocratie – le système électoral – est en jeu », écrivent les évêques). Vient ensuite le problème de l’incapacité, voire de l’obstruction que manifestent ceux qui sont au pouvoir à instaurer plus de justice sociale (« De nouveaux ‘droits’ sont mis en avant alors que les droits les plus basiques sont ignorés ! », soulignent les évêques faisant allusion au récent vote de la RH Bill), puis la question de la culture de l’impunité (les évêques dénoncent les crimes impunis, dont les auteurs ne sont jamais poursuivis en justice s’ils sont « puissants »), et enfin « les souffrances jamais apaisées des pauvres » (la forte croissance économique n’a pas été suivie de plus d’équité, et « le fossé considérable qui sépare les riches et les pauvres demeure », dénoncent les évêques).

Lors de la conférence de presse qui a accompagné cette déclaration, Mgr Palma a précisé que l’épiscopat philippin n’entretenait aucune vindicte personnelle à l’encontre du président Aquino du fait de son soutien à la RH Bill. Reconnaissant que les évêques philippins avaient leurs propres « imperfections » et ne souhaitaient pas jouer les « donneurs de leçon », il a précisé qu’« en tant que bergers, [ils] estimaient qu’exprimer les sentiments des gens faisait partie de [leur] devoir ». Il a également ajouté que son Eglise ne cherchait pas « à condamner » mais à « faire prendre conscience à chacun de ces réalités et, si possible, contribuer à y apporter des solutions ».

Devant les journalistes, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille et président du Secrétariat national pour l’Action sociale – ’Justice et Paix’ de la CBCP, a déclaré que les évêques ne « prenaient la parole que pour défendre ceux qui souffraient ». Quant à l’attitude de l’Eglise face au gouvernement, Mgr Gabriel Reyes, évêque d’Antipolo, a ajouté qu’en tant que citoyens, les évêques avaient le droit de s’exprimer, surtout lorsque les problèmes affectant le pays concernaient « [leurs] fidèles ».

« Si le gouvernement agit bien, nous collaborerons toujours avec lui, mais si le gouvernement agit mal, nous le critiquerons et nous opposerons à lui », a-t-il conclu.