Eglises d'Asie

Les évêques catholiques de Mindanao appellent à la fin des violences à Sabah

Publié le 11/03/2013




Samedi 9 mars, les évêques des quinze diocèses catholiques de Mindanao, dans le sud philippin, ont lancé un appel à l’adresse du gouvernement philippin pour que celui-ci trouve une issue pacifique à la crise qui se déroule actuellement dans la partie orientale de l’Etat malaisien de Sabah. L’assaut que les forces de sécurité malaisiennes mènent à Sabah depuis une dizaine de jours …

… contre les soldats de fortune de Jamalul Kiram III, « sultan de Sulu » (1), se révèle meurtrier et provoque un début d’exode des populations philippines installées à Sabah.

Selon les évêques de Mindanao (2), Manille ne peut se contenter d’inciter les soldats du sultan de Sulu à quitter Sabah. « Parce que des vies sont en jeu et que la paix est menacée », le gouvernement philippin doit « faire plus », et notamment « soutenir l’appel que les Nations Unies ont lancé pour une cessation immédiate des violences à Sabah ». Les évêques craignent notamment que cette crise ne fasse dérailler le fragile processus de paix entamée à Mindanao entre Manille et le Front moro de libération islamique (MILF).

Sur le fond de cette histoire qui voit un ancien sultan réfugié depuis des décennies à Manille réclamer la souveraineté sur Sabah pour son sultanat disparu, les évêques voudraient que le gouvernement philippin « rouvre une négociation diplomatique [avec la Malaisie] pour trouver une solution à ce problème », les héritiers du sultanat de Sulu ayant « délégué » ce pouvoir de négociation à Manille. Les Philippines doivent aussi s’assurer que « les forces en présence dans cette région puissent se retirer avec les honneurs » car, même si les méthodes choisies par le sultan et ses proches pour faire valeur leurs droits sur Sabah ne rencontrent pas « l’assentiment du gouvernement », « le fait est que des Philippins ont perdu la vie [dans cette aventure] ». Ces hommes, précisent les évêques, sont morts « parce qu’ils estimaient qu’ils avaient le droit de revendiquer un territoire riche en ressources naturelles pour lequel ils ne percevaient chaque année qu’un maigre paiement ». Or, ajoutent-ils encore, « nous ne pouvons pas laisser d’autres personnes sacrifier leur vie pour cette cause ». Ils concluent en priant pour toutes les victimes de ce conflit, malaisiennes comme philippines.

Depuis que les hommes du sultan de Sulu ont débarqué dans une localité côtière de l’est de Sabah le 12 février dernier, la crise a pris une tournure violente. Ces derniers jours, les forces de police puis l’armée malaisienne ont lancé l’assaut contre cette troupe qui n’est constituée que d’environ 230 hommes et les opérations ont gagné en intensité ces dernières soixante-douze heures. Les autorités malaisiennes font état de 62 morts (8 policiers malaisiens et 54 philippins), sans qu’il soit possible de recouper ces chiffres. Durant le week-end, en dépit de la présence des deux marines qui patrouillent au large de Sabah, plusieurs centaines de Philippins émigrés à Sabah ont réussi à fuir la zone des combats pour trouver refuge sur l’Ile aux tortues (Turtle Island), toute proche, dans la province philippine de Tawi-Tawi. Certains de ces réfugiés ont fait état de violences de la part des forces malaisiennes et même d’exécutions sommaires. L’armée de Malaisie, ayant du mal à se saisir des combattants du sultan de Sulu, semble en effet ratisser la zone à la recherche de Philippins, qu’ils soient munis ou non de papiers en règle.

Du côté malaisien, dans la partie péninsulaire du pays, l’opinion semble acquise à l’utilisation de la manière forte pour mettre fin à ce qui est perçu comme une incursion sur le territoire national et une revendication dénuée de justification. En phase pré-électorale, le gouvernement veille à aller dans ce sens. A Sabah, rapporte le site d’information indépendant Malaysiakini, le ministre-président a « ordonné » aux journalistes de ne plus se référer à Jamalul Kiram III comme au « sultan de Sulu » et de désigner ses hommes engagés à Sabah comme étant des « terroristes ». De son côté, sur le fil de Bernama, l’agence de presse officielle, le ministre de la Défense s’est contenté de déclarer : « Les hommes armés qui ont fait intrusion [à Sabah] sont comme des terroristes, bien que je laisse aux médias le choix des mots pour les qualifier. »

Du côté philippin, l’embarras gouvernemental est palpable. Des ONG demandent l’arrêt immédiat des combats et la mise en place d’un « couloir humanitaire » pour permettre d’évacuer les populations civiles. L’annonce que des atrocités seraient commises par les forces malaisiennes à l’encontre des populations philippines vivant à Sabah a suscité des appels au président Aquino pour que celui-ci intervienne auprès du gouvernement malaisien. Ce 11 mars, le ministère philippin de la Défense a fait savoir que des « éclaircissements » avaient été demandés à la Malaisie. La veille, sur une radio gouvernementale, Abigail Valte, porte-parole du président, avait déclaré que tout abus à l’encontre des Philippins de Sabah était « inacceptable ». Elle précisait aussi que le président Aquino s’était entretenu le 2 mars au téléphone avec le Premier ministre malaisien, Najib Razak, et qu’il avait reçu des assurances quant à la protection des droits des quelque 800 000 Philippins vivant en Malaisie.

A Manille encore, ce 11 mars, la Commission pour les droits de l’homme, instance officielle mais indépendante du pouvoir exécutif, a appelé à l’envoi à Sabah d’une mission régionale pour enquêter sur les éventuels abus commis par les forces armées malaisiennes, tandis que Jamalul Kiram III, en larmes, a réitéré son appel lancé cinq jours plus tôt à ses fidèles de « cessez-le-feu ». Ce 7 mars, le Premier ministre malaisien avait rejeté l’offre de trêve. « Nous exigeons que les activistes capitulent sans condition et rendent les armes », déclarait-il lors d’une conférence convoquée dans une plantation de palmiers à huile à Felda Sahabat, à Sabah, où il effectuait son premier déplacement dans la zone de conflit depuis le début de la crise. Prié de dire combien de temps les opérations de recherche des activistes en fuite dureraient, il répondait aux journalistes : « Aussi longtemps qu’il faudra pour les éliminer. »

A New York, le secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, a appelé la Malaisie à « agir en plein accord avec les normes du droit international ». Le porte-parole de Jamalul Kiram III a ajouté qu’au cas où la Malaisie ne tiendrait pas compte de l’appel du secrétaire général de l’ONU, le sultan de Sulu saisirait l’OIC (Organisation de la coopération islamique).