Eglises d'Asie – Philippines
Bras de fer entre le diocèse de Bacolod et la Commission électorale à propos d’une affiche « électorale »
Publié le 05/03/2013
L’affiche en question porte le titre : « Vote de conscience ». Haute de trois mètres et large de près de deux, elle est clairement divisée en deux sections : la section supérieure porte le titre « Anti RH – Team Buhay » (‘Contre [la loi sur] la santé reproductive – Equipe Vie’) et donne le nom de six sénateurs qui ont voté, en décembre dernier, contre ledit texte de loi ; la section inférieure porte le titre « Pro RH – Team Patay » (‘Pour la loi – Equipe Mort’) et donne le nom de sept sénateurs qui ont voté pour le texte de loi. La RH Bill a été votée par le Congrès philippin (Chambre des représentants et Sénat) en décembre dernier et ce vote a constitué une défaite pour les évêques catholiques des Philippines qui avaient engagé leurs forces contre ce texte, contraire selon eux à la défense de la vie telle que l’entend l’Eglise catholique.
Pour la Commission électorale (Comelec), qui veille à ce que la campagne en vue des élections de mid-term du 13 mai prochain se déroule conformément au Code de procédure électorale, l’affiche déployée sur la façade de la cathédrale à Bacolod City constitue « un matériau [de campagne] électorale » et, à ce titre, excède les dimensions de ce qui est autorisé. Par avocat interposé, la Comelec a signifié ce point au diocèse de Bacolod le 22 février et, le 27 février, sa directrice juridique, Esmeralda Amora-Ladra, a demandé par courrier à l’évêque de Bacolod, Mgr Vicente Navarra, d’obtempérer. « Nous prions pour que l’Eglise catholique figure au premier rang des institutions qui aident la Commission électorale à assurer le bon déroulement des élections et à garantir l’honnêteté et la crédibilité du scrutin », peut-on lire dans cette dernière lettre.
En réponse, le diocèse a coupé l’affiche en deux, séparant de quelques dizaines de centimètres le « Team Buhay » du « Team Patay », mais les deux affiches ainsi créées dépassent toujours les dimensions maximales fixées par le Code électoral. Mgr Navarra a affirmé que ce qui était écrit au vu et au su de tous sur la façade de sa cathédrale ne serait pas retiré car il ne s’agissait pas de « matériel électoral » mais faisait partie d’« une campagne en cours dirigée contre la RH Bill et les mesures contraire à la vie votées sous couvert de santé reproductive ». Plus fondamentalement, « le droit de l’Eglise à placarder des affiches [sur ses murs] relève de la liberté d’expression et de la liberté de conscience, libertés garanties par la Constitution » et « le lien [entre l’affiche] et la campagne électorale en cours n’est qu’incident », a expliqué l’évêque, qui, le 1er mars dernier, a saisi la Cour suprême. Mgr Navarra demande au juge suprême de déclarer nulle la démarche de la Comelec et de réaffirmer le principe de séparation des Eglises et de l’Etat qui interdit au gouvernement d’interférer dans les affaires de l’Eglise.
Le bras de fer qui s’est ainsi instauré entre Mgr Navarra et la Comelec est l’objet de nombreux commentaires aux Philippines. Certains soulignent que la Comelec, en s’en prenant à l’évêque de Bacolod, signifie sa mauvaise humeur pour avoir été récemment rappelée à son devoir d’efficacité par l’Eglise. Le 8 janvier dernier en effet, Mgr Broderick Pabillo, évêque auxiliaire de Manille et président de la Commission pour les affaires sociales de la Conférence épiscopale, avait publiquement demandé des comptes à la Comelec, lui reprochant son inaction sur les améliorations qu’elle était censée apporter aux machines électroniques à voter. Ces machines sont largement utilisées aux Philippines où les opérations électorales sont complexes (aux élections de mid-term de mai prochain, ce n’est pas seulement une partie du Congrès qui sera renouvelé mais tout un ensemble de postes électifs) ; or, les erreurs et difficultés de comptage que leur utilisation a provoquées lors des derniers scrutins alimentent les soupçons de fraude électorale.
D’autres voudraient discerner une certaine ambiguïté dans le discours de l’Eglise. Le 27 janvier dernier, les législateurs qui s’étaient opposés à la RH Bill avaient été conviés à déjeuner au Centre catholique Pie XII où se trouvaient les évêques, réunis pour leur assemblée plénière annuelle. Immédiatement, des commentateurs dans la presse avaient estimé que les évêques affichaient ainsi leur soutien au personnel politique ‘pro-vie’ dans la perspective des élections de mai 2013. Le président de la Conférence épiscopale, Mgr Jose Palma, archevêque de Cebu, avait dû démentir, affirmant : « Nous leur offrons ce déjeuner pour leur témoigner notre appréciation de ce qu’ils ont fait. » Il avait ajouté que les évêques ne s’engageaient pas pour tel ou tel candidat en vue des élections de mai mais que le rôle de l’épiscopat était seulement de donner des lignes directrices aux fidèles afin que ceux-ci se déterminent en conscience. « En aucune manière, nous sommes partisans. Nous ne disons pas au monde comment voter, ni ne nommons ceux pour qui il faudrait voter », avait conclu Mgr Palma.
Interpellé ces jours-ci par la presse, le secrétaire général de la Conférence épiscopale, Monseigneur Jose Asis, a précisé que Mgr Navarra était libre d’agir comme il le souhaitait. « Dans son diocèse, l’évêque, c’est le pape ! », s’est-il exclamé, ajoutant que la stratégie de communication de l’évêque de Bacolod n’était pas du ressort de la CBCP (Catholic Bishops’ Conference of the Philippines). « L’Eglise est opposée à la RH Bill. Chacun le sait et ce n’est pas aller contre les lois que de dire son opposition à ce texte. Des efforts sont faits pour expliquer aux gens qui a voté pour cette loi. A la fin, ce sont les gens qui voteront. Ce sont eux qui décideront », a-t-il ajouté.
A la suite du diocèse de Bacolod, diocèse situé sur l’île de Negros, dans les Visayas, d’autres diocèses, tel le diocèse de Tarlac, au centre de Luzon, ou bien encore Lipa, Borongan, Sorsogon et Kidapawan, ont annoncé qu’ils préparaient des affiches similaires.