Eglises d'Asie

En dépit d’une natalité en berne, les autorités singapouriennes continuent de favoriser les seules naissances « de qualité »

Publié le 19/04/2013




En approuvant, en février dernier, un Livre blanc sur les perspectives de la cité-Etat à moyen terme où il est écrit que la population de Singapour, qui est de 5,3 millions d’habitants aujourd’hui, devra passer à 6,9 millions d’habitants d’ici à 2030, les autorités singapouriennes ont lancé un vif débat dans la société. Outre les Singapouriens qui craignent une évolution démographique où les résidents étrangers …

… représenteraient la moitié de la population totale du pays, des voix s’élèvent pour signifier qu’en dépit d’une natalité en berne, le gouvernement ne renonce pas à « fabriquer » la population de Singapour en persistant à favoriser des naissances « de qualité ».

Au cours de ces dernières décennies, la politique démographique du gouvernement a grandement fluctué : après une première phase visant à freiner, voire stopper le boom démographique (5,8 enfants par femme en âge de procréer en 1960), les autorités ont commencé à encourager les naissances dans les années 1980, le taux de fécondité étant passé sous la barre des 2,1. Dans un pays dont la seule véritable richesse réside dans la qualification de sa population, les dirigeants ont alors estimé que les enfants des classes socialement favorisées seraient plus à même que ceux des classes pauvres de participer positivement à la prospérité de la cité-Etat. Les mesures prises ont visé à inciter les femmes diplômées à avoir davantage d’enfants, en même temps que les femmes n’ayant pas un niveau d’éducation jugé suffisant étaient invitées à se faire stériliser après le deuxième enfant, incitation financière à la clé. Mais en dépit de nombreuses campagnes d’information et de la mise en place de mesures allant dans le sens de cette politique, le nombre des naissances a continué de décliner et la fécondité de s’effondrer. Sans toutefois abandonner ses idées socialement eugénistes, le gouvernement a alors amendé sa politique nataliste pour lui donner une portée plus universelle et il a multiplié les initiatives pour favoriser les naissances, mais là encore sans succès. En 2012, le taux de fécondité s’est même littéralement effondré, passant de 1,11 en 2011 à un point bas historique de 0,78 enfant par femme en âge de procréer.

Dans ce contexte, l’annonce par le gouvernement qu’au cours des vingt prochaines années, 30 000 cartes de résidents permanents seront accordées chaque année à des étrangers et que, concomitamment, 25 000 personnes recevront la citoyenneté singapourienne, a soulevé de vifs débats dans la société. Les habitants de la cité-Etat, qu’ils appartiennent à la majorité chinoise ou aux minorités indiennes ou tamoules, craignent cet afflux de populations nouvelles dans un environnement déjà très compétitif et où le logement demeure une préoccupation majeure. « Nous produisons trop peu de bébés, notre société vieillit et, si nous ne faisons rien, notre population commencera dans peu de temps à décliner, a répondu le Premier ministre Lee Hsien Loong. Singapour doit continuer à se développer et à s’améliorer pour rester un élément clef dans le réseau des cités mondiales. »

Parmi les questions qui surgissent à l’occasion des réflexions suscitées par le Livre blanc gouvernemental figure la place de l’avortement et de l’adoption dans la société, ainsi que les conditions pour vivre une vie de famille harmonieuse dans la société actuelle.

Dans un pays où l’avortement a été légalisé, après de houleux débats parlementaires, en 1969 et en 1974, il a été souligné que plus de la moitié des avortements pratiqués aujourd’hui à Singapour était le fait de femmes mariées, signalant ainsi une difficulté très réelle des couples stables à accueillir en leur sein des enfants. Des médecins ont relié ce fait avec la nécessité de revoir les fondements, socialement eugénistes, de la politique mise en place.

Le Dr John Hui Keem Peng, gynécologue obstétricien, a ainsi récemment adressé un courrier au Straits Times pour faire état de la situation suivante : « [Recevant une patiente pour des complications consécutives à un avortement opéré une semaine plus tôt], il est devenu clair, au cours de la consultation, que la souffrance [de ma patiente] n’était pas seulement physique mais psychique. Elle m’a confié que ce n’était pas son premier avortement mais son troisième. En pleurs, elle a ajouté qu’elle avait dû s’y résoudre pour ne pas sortir des critères fixés par le dispositif HOPE (1). »

Le médecin poursuit : « Bien que le dispositif HOPE a été conçu pour venir en aide aux parents dont les revenus ne leur permettent pas de faire face aux coûts de vie élevés de Singapour, il se peut que nous ayons perdu de vue qu’un nombre élevé de potentiels citoyens singapouriens ont été perdus parce qu’avortés du fait d’un système [qui dirige les aides financières vers les couples qui acceptent d’avoir seulement un nombre limité d’enfants]. Devons-nous établir une discrimination envers les couples à bas revenus en les pénalisant lorsqu’ils choisissent d’avoir plus de deux enfants ? Ne devrions-nous pas compléter ce dispositif en mettant en place des programmes visant à leur permettre de construire des mariages plus durables et à devenir de meilleurs parents ? Et s’ils décident qu’ils ne sont pas en mesure d’élever leurs enfants, pourquoi ne pas faciliter l’adoption de ces enfants par d’autres couples ? Après tout, les listes d’attente des couples stériles et désireux d’adopter sont très longues. Je suis sûr que [HOPE] a été mis en place au nom d’intentions qui étaient bonnes mais la question que nous devons désormais nous poser est : n’est-il pas possible de faire mieux ? »

D’autres interventions dans les médias ont mis en évidence le fait que les entretiens préalables avant de procéder à un avortement étaient obligatoires pour les femmes singapouriennes ou disposant d’un permis de résidence, dotées d’un certain niveau éducatif et ayant moins de trois enfants. Pour les étrangères, les Singapouriennes ayant plus de trois enfants et celles qui n’ont pas fait d’études, l’entretien préalable n’est pas prévu par les textes. Or, les études montrent qu’un nombre important de femmes renoncent au projet d’avorter après avoir eu un tel entretien préalable. « On ne peut que conclure que les autorités singapouriennes mettent tout en œuvre pour persuader les futures mères dotées d’un bon bagage éducatif à ne pas avorter tandis qu’elles ne se soucient pas que les futures mères issues des milieux pauvres avortent (…). Un tel niveau d’ingénierie sociale est hypocrite au mieux – particulièrement à une époque où le gouvernement s’évertue par différents moyens de persuader les Singapouriens à faire des bébés – ou ignominieusement eugénique au pire », écrit Kirsten Han dans un blog daté du 25 mars dernier.

Pour les jeunes générations, cible privilégiée des campagnes natalistes du gouvernement, les autorités se trompent en se focalisant sur le taux de fécondité. Auteur d’une campagne d’affiches humoristiques détournant les images des contes de fées pour inciter les jeunes à sortir ensemble et à flirter, Chan Luo Er, 23 ans, explique : « Dans nos jeunes années, beaucoup d’entre nous ont été exposés, je crois, à l’idée que le bonheur était dans la possession des cinq C : cash, car, condo, country club and credit card (2). Mais les temps ont changé. Pour nous, le conte de fées singapourien, ce serait plutôt de vivre une vie qui nous rende heureux, comme monter sa propre affaire ou démarrer jeune une vie de famille. »

Selon Corinna Lim, membre d’une association de femmes actives dans la monde professionnel, le gouvernement n’a pas encore compris comme faire et il devrait s’inspirer « de ce qui se fait dans les pays scandinaves : faire en sorte qu’il soit plus aisé pour les femmes d’avoir des bébés et permettre aux hommes d’y prendre leur part (à travers, par exemple, des congés paternités), plutôt que de mettre la pression sur les femmes en leur disant qu’elles doivent se marier lorsqu’elles sont encore jeunes ».

A compter du 1er mai 2013, un congé de paternité d’une semaine sera proposé à tous les nouveaux pères à Singapour. Le ministère des Ressources humaines a précisé que le coût en sera entièrement pris en charge par le budget gouvernemental, à hauteur d’un plafond salarial de 1 550 euros (base mensuelle).