Eglises d'Asie – Philippines
A un mois des élections de mid-term, l’archevêque de Lingayen-Dagupan rappelle que l’Eglise est non partisane
Publié le 17/04/2013
Dans un contexte marqué ces derniers mois par le bras de fer qui a opposé l’Administration Aquino à l’Eglise catholique au sujet du vote de la RH Bill, la loi sur la santé reproductive, Mgr Villegas, qui est aussi vice-président de la Conférence épiscopale des Philippines mais n’a signé le 14 avril la lettre pastorale qu’en sa qualité d’archevêque de Lingayen-Dagupan, écrit que « la meilleure contribution » de l’Eglise pour les élections à venir se trouve dans « la prière », « le silence » et « la contemplation ». Cela n’empêche pas l’Eglise d’être « une mère et un professeur » pour les électeurs, mais il ne lui appartient pas de désigner les candidats qui recueilleraient son éventuelle faveur. « Lorsque l’Eglise soutient un candidat lors d’une processus électoral, elle finit toujours par y perdre. Si le candidat ainsi désigné peut bien se trouver gagnant à l’issue des élections, l’Eglise elle ne gagne jamais » à avoir ainsi « compromis » sa mission spirituelle, laquelle consiste « à guider et non à dicter » la conduite de ses fidèles et « à aider la société à s’unir plutôt qu’à accentuer les divisions qui la traversent », a encore expliqué l’évêque catholique.
Mgr Villegas poursuit en écrivant que « la religion ne peut être résumée ou réduite à un parti politique » et que, dès lors que « la religion est utilisée pour obtenir un profit politique, la mission spirituelle [de l’Eglise] est compromise ». « Nous serons comme des veuves esseulées après les élections s’ils arrivaient au cours de la campagne électorale de nous marier avec la politique des partis », assure l’évêque. Mais celui qui fut le secrétaire du cardinal Sin, dont le rôle dans la transition du pays vers la démocratie fut considérable, ne s’interdit pas d’indiquer à ses fidèles quel doit être leur état d’esprit à l’heure de déposer son bulletin électoral dans l’urne. « Si Jésus avait à voter, pour qui voterait-il ?, interroge-t-il ainsi. Voter comme Jésus. Si vous ne pouvez trouver Jésus parmi les candidats qui vous sont proposés, soyez seulement sûr que votre bulletin ne contribue pas à la victoire d’un Judas ou d’un Barrabas. Si vous accepter de l’argent en échange de votre vote, sachez que vous vendez quelque chose de sacré, vous faites de vous-même un cousin de Judas. »
Le rappel de Mgr Villegas intervient alors que, dans plusieurs diocèses du pays, notamment à Bacolod, des affiches ont été placardées sur la façade des cathédrales et des églises qui portaient le nom des sénateurs qui ont voté en faveur de la RH Bill et ceux des sénateurs qui s’y sont opposés. Geste qui a amené la Commission électorale à estimer que de telles affiches étaient assimilables à du « matériau électoral » et devaient être retirées – ce qui a été contesté par les-dits diocèses qui n’y voient qu’une manifestation de la liberté d’expression déconnectée de l’actuel contexte électoral. De manière encore plus visible et vocale, Mike Velarde, le chef du très populaire mouvement catholique charismatique El Shaddai, n’a pas hésité à appeler les membres de son mouvement et leurs proches à voter pour les seuls candidats qui se sont opposés à la RH Bill. « Il y a ceux qui disent qu’il n’existe pas de ‘vote catholique’. Nous allons leur montrer ce qu’est le ‘vote catholique’ et ce dont il est capable », a-t-il affirmé le 15 avril lors d’une intervention télévisée. Par ailleurs, une association de groupes réunissant des laïcs catholiques vient de lancer un site Internet (CVP – Catholic Vote Philippines) pour « informer et éduquer » les électeurs catholiques sur les sujets liés aux « principes éthiques non négociables » (protection de la vie humaine, défense de la famille et du mariage, droit des parents à éduquer leurs enfants). Le site permet aussi de connaître le vote des parlementaires sortants sur différentes lois, dont la RH Bill. Ses promoteurs affirment que, contrairement à un autre mouvement (White Vote Movement), le CVP ne parrainera aucun candidat, se contentant « de former les électeurs ».
Pour Mgr Villegas, qui à l’image de l’ensemble de l’épiscopat philippin, s’est engagé contre la RH Bill, l’Eglise ne doit pas ajouter à la présente confusion pré-électorale. Elle n’en sortira grandie qu’à condition de contribuer au déroulement pacifique et honnête tant de la campagne électorale que des opérations électorales elles-mêmes. « Lorsque les élections sont moralement crédibles et que les gagnants comme les perdants restent courtois et civils, alors l’Eglise gagne », écrit l’évêque.
Cette position de l’Eglise par rapport à la vie politique n’exclut pas l’Eglise du champ politique, explique encore Mgr Villegas. « Le meilleur moment pour enseigner ce que nous dit l’Evangile du bien commun est ce temps où nous choisissons nos dirigeants civils », écrit-il, affirmant que l’Eglise doit rester « la conscience » de la société et parler pour dénoncer les abus dont celles-ci est victime. Dans ce cadre, l’évêque « conseille » aux catholiques « de ne pas voter » pour « les candidats qui ne s’opposent pas de manière ferme et résolue au divorce, à l’avortement, à l’euthanasie, au contrôle des naissances et au mariage homosexuel ». « Les pro-choix sont anti-vie », écrit Mgr Villegas.
La liste des candidats à éviter ne s’arrête pas là ; elle concerne aussi « les candidats liés au trafic de drogue ou aux jeux d’argent » et ceux qui favorisent les atteintes à l’environnement, que ce soit du fait de l’extraction minière, de l’exploitation des sables marins ou bien encore de la pêche. « La nature est notre mère. Si vous en venez à violer votre propre mère, jusqu’où irez-vous ? », ajoute-t-il. Quant à ceux qui n’ont pas prouvé par leurs actes qu’ils aidaient vraiment les pauvres, il vaut mieux là aussi s’en détourner.
Mgr Villegas, qui lors du Synode pour la nouvelle évangélisation en octobre dernier était à Rome et y a dénoncé « l’arrogance, l’hypocrisie et la bigoterie » chez les catholiques, écrit encore que les électeurs de son diocèse doivent se méfier des candidats qui font montre d’une grande religiosité durant la campagne électorale mais ne soutiennent pas en vérité les enseignements de l’Eglise. « La corruption et l’hypocrisie sont jumeaux. [Evitez] les candidats [qui] sont infidèles à leur conjoint. La corruption commence à la maison. »