Eglises d'Asie

En visite en Orissa, une délégation de chrétiens américains constate le caractère éminemment fragile du calme retrouvé

Publié le 08/04/2010




« La paix que nous avons constatée est très superficielle. Un seul petit incident et les violences pourraient de nouveau surgir. »Telle est la conclusion exprimée le 16 mars dernier à New Delhi par John Prabhudoss, citoyen américain d’origine indienne qui a mené une mission d’études durant cinq jours en Orissa, théâtre de sanglantes émeutes antichrétiennes en 2008.

A la tête d’une équipe de cinq personnes déléguées par l’American Coalition, structure réunissant une trentaine d’organisations chrétiennes américaines, John Prabhudoss s’est rendu dans plusieurs des villages du district du Kandhamal, en Orissa, où plus de 90 chrétiens ont trouvé la mort durant sept semaines d’attaques antichrétiennes menées par des extrémistes hindous à partir du 24 août 2008. Ces violences avaient entraîné la fuite de 50 000 chrétiens. Membre de la Fédération des organisations chrétiennes indo-américaines d’Amérique du Nord, John Prabhudoss a rapporté à l’agence Ucanews (1) que cette « mission sur le terrain » avait été « une expérience particulièrement révélatrice ».

Virginia L. Farris, conseillère pour les affaires étrangères de la Conférence des évêques catholiques des Etats-Unis, a précisé que le voyage de la délégation avait été rendu nécessaire par les informations contradictoires reçues aux Etats-Unis par diverses associations indiennes quant à la situation actuelle en Orissa. Après cinq jours sur place, les conclusions sont que les conséquences sociales et économiques des persécutions de l’été 2008 sont nettement plus sérieuses que ce qui était jusqu’alors admis. « Nous souhaitons partager ce que nous avons vu et entendu avec nos partenaires aux Etats-Unis pour parvenir à élaborer une réponse réaliste et adéquate », a-t-elle déclaré, précisant que la délégation avait la ferme intention de demander au gouvernement américain d’étudier de près la situation en Orissa.

Durant les cinq jours passés en Inde, la délégation a rencontré aussi bien des responsables des Eglises chrétiennes et des survivants des attaques que des hommes politiques locaux et des leaders de groupes hindouistes radicaux. En fonction des interlocuteurs, les réponses données à la question du pourquoi de ces attaques ont varié : conversions ‘forcées’ au christianisme, conflits entre groupes aborigènes, problèmes fonciers, etc. « Mais la véritable raison semble être l’absence de compassion entre les hommes », a commenté Valerie Payne, membre de la délégation américaine, ajoutant qu’il était difficile de comprendre que certaines des personnes rencontrées se considéraient comme supérieures aux autres, tenant une partie de l’humanité pour incapable de décisions économiques et sociales éclairées.

Valerie Payne a ajouté avoir constaté « beaucoup d’hypocrisie » au sein du système judiciaire, où il est fréquent que des personnes mises en examen fassent pression sur les témoins cités à comparaître. « Le système est inadéquat et cela pose question », a-t-elle conclu.

Les délégués américains ont également été surpris d’entendre des responsables hindous leur affirmer que le travail de l’Eglise catholique dans le domaine de l’éducation était mené dans le but d’amener les aborigènes et les basses castes à se convertir au christianisme. Les radicaux hindous s’expriment « du haut d’une position qu’ils imaginent supérieure et estiment qu’ils peuvent dicter leur ordre du jour à l’Eglise et au gouvernement », a encore commenté John Prabhudoss.

La visite de la délégation chrétienne américaine s’est déroulée quelques semaines après celle d’une mission dépêchée par l’Union européenne (2), les 3, 4 et 5 février derniers. Le 6 février, l’archevêque catholique de Cuttack-Bhubaneswar, Mgr Raphael Cheenath, avait dénoncé en termes très clairs la propension des autorités de l’Etat de l’Orissa et du district du Kandhamal à ne pas réaliser les promesses faites par elles en matière d’indemnisation des victimes et de réinstallation des personnes déplacées. L’évêque avait aussi critiqué le maintien en place de responsables de la police, restés passifs au plus fort des attaques antichrétiennes.

Par ailleurs, le 17 mars, le Conseil chrétien pan-indien (AICC), qui défend au plan national les intérêts de la communauté chrétienne, a exprimé de profondes réserves sur un projet de loi actuellement à l’étude, la « Loi sur les violences communautaires (prévention, contrôle et réparation due aux victimes) ». Dans un courrier adressé au Premier ministre indien Manmohan Singh, l’AICC écrit que le texte envisagé ne prend pas suffisamment en compte les campagnes de haine et « le processus de communautarisation » qui précèdent habituellement les violences intercommunautaires elles-mêmes. Ce sont pourtant là des phénomènes maintes fois étudiés, dont les manifestations tombent souvent sous le coup de la loi mais qui ne sont que rarement poursuivies en justice. L’AICC dénonce également la non-prise en compte par le projet de loi des spécificités géographiques des communautés chrétiennes. « Typiquement, la gravité des violences antichrétiennes est niée par les autorités publiques, qui les qualifient de ‘sporadiques’, quand bien même des incidents se produisent tous les jours. Parce que d’autres minorités vivent de manière concentrée dans des régions ou des quartiers bien identifiés, il est plus facile de circonscrire des ‘zones de troubles communautaires’. En Orissa, le Kandhamal n’aurait pas répondu aux spécifications inscrites dans le projet de loi et, pourtant, nous savons ce qu’il s’est passé là-bas », écrivent les responsables de l’AICC, qui concluent en recommandant au Premier ministre d’amender le texte dans le sens suivant : établir un programme de protection des témoins ; renforcer les pouvoirs des commissions pour les minorités, au plan fédéral comme dans les différents Etats de l’Union ; sanctionner les policiers qui refusent d’enregistrer des plaintes ; écarter définitivement de la fonction publique des agents qui se sont montrés coupables de complicité lors de violences intercommunautaires ; garantir les droits des personnes déplacées selon les principes édictés par l’ONU.