Eglises d'Asie – Bhoutan
Malgré la liberté de religion inscrite dans la Constitution, les chrétiens ne peuvent toujours ni pratiquer en public, ni construire de lieux de culte
Publié le 25/03/2010
En novembre 2008 était couronné Jigme Khesar Namgyel, 28 ans, diplômé d’Oxford, qui apportait avec lui l’espoir d’une nouvelle étape démocratique pour le petit royaume, dont les citoyens avaient été appelés pour la première fois à voter. Bien que ce mouvement ait été initié par son père, il symbolisait le passage d’une monarchie théocratique absolue à une monarchie constitutionnelle. La nouvelle constitution, établie en 2005 mais officiellement promulguée en 2008, conférait à tout citoyen du Bhoutan la liberté de religion. Mais elle interdisait également « tout prosélytisme ou adhésion à une autre foi, effectuée sous la contrainte ou par quelque moyen de corruption que ce soit ».
Pour les chrétiens bhoutanais, qui dénoncent la persistance des violences et discriminations à leur égard, les termes flous définissant les « conversions illicites » ont annulé les effets d’une liberté religieuse inscrite sur le papier, permettant à loi, comme c’est le cas dans certains Etats de l’Inde voisine avec les lois anti-conversions, d’exercer contre eux la même pression que par le passé.
Dans son rapport paru il y a quelques jours, l’association d’obédience protestante Portes ouvertes, qui milite contre les persécutions religieuses, a classé le Bhoutan en 12e position sur la liste des 50 pays dans lesquels la liberté religieuse est la plus bafouée.
Au Bhoutan, où le bouddhisme mahayana (2) est religion d’Etat, le christianisme a longtemps été banni (et récemment encore en 1969 puis 1979), et les missionnaires interdits d’entrée sur le territoire. Une exception avait cependant été faite pour le P. William Mackey, jésuite d’origine canadienne, qui avait obtenu la nationalité bhoutanaise et avait, dans les années 1960-70, jeté les bases du système éducatif du royaume himalayen. Jusqu’à sa mort en 1995 à Timphu, le prêtre catholique était l’un des conseillers du roi Jigme Singye Wangchuck, père de l’actuel souverain. Il soutenait également avec discrétion la soixantaine de catholiques de la capitale, appartenant pour la plupart à des délégations diplomatiques étrangères.
Peu après la mort du P. Wackeys, le premier prêtre d’origine bhoutanaise, le P. Kinley Tshering, était ordonné au sein de la compagnie de Jésus, dans le diocèse catholique indien de Darjeeling, juridiction ecclésiastique à laquelle est rattachée la communauté catholique du Bhoutan. Il est à l’heure actuelle, le seul prêtre autorisé à résider au Bhoutan, du fait, l’avoue-t-il lui-même, de son appartenance à la famille royale régnante. Son neveu a épousé récemment l’une des sœurs du roi Jigme Khesar. Tous les ans, il est le seul prêtre du pays à pouvoir célébrer ouvertement la messe de Noël, prenant prétexte de son anniversaire, le 24 décembre… (3).
Mais ce cas très à part cache la réalité d’une Eglise chrétienne devenue totalement clandestine. Malgré le fait que le jeune roi Jigme Khesar se soit proclamé « père des chrétiens », le prosélytisme, la publication de bibles, la construction d’églises ou même d’écoles ou d’autres institutions chrétiennes sont toujours prohibés. L’entrée de religieux sur le territoire est interdite et le culte chrétien, s’il est « autorisé », ne doit pas être célébré en public. Le responsable religieux de l’une de ces communautés « souterraines » a expliqué à l’agence AsiaNews : « Les chrétiens sont seulement autorisés à prier en cas de maladie et uniquement à l’intérieur de leurs maisons. De plus, on empêche la plupart des fidèles d’avoir accès à l’éducation et ils vivent dans des conditions économiques misérables » (4).
Aujourd’hui, selon les statistiques officielles (recensement de 2005), 75 % des 680 000 Bhoutanais sont bouddhistes, 22 % hindous – la plupart d’origine népalaise –, les trois pour cent restant étant partagés entre des chrétiens et d’autres croyants. Evaluer le nombre des chrétiens au Bhoutan s’avère particulièrement difficile étant donné leur non-prise en compte dans les statistiques officielles, et le fait que ces communautés restent cachées. Selon les sources, les chiffres des chrétiens, toutes confessions confondues, varient entre 3 000 et 12 000 et ceux des catholiques entre 200 et 1 000 fidèles…
Coincé entre l’Inde et la Chine, le petit royaume du Bhoutan pratique un protectionnisme sévère afin, dit-il, de préserver « son riche héritage culturel et l’identité unique que lui confère le bouddhisme ». Dans cette optique, tout élément étranger à « la culture traditionnelle du Bhoutan » est considéré comme susceptible de mettre en danger la société. Une opinion partagée par la majorité de la population bhoutanaise, encouragée en cela par son jeune souverain, qui, malgré ses visées modernistes, insiste sur la nécessité de protéger le pays « des influences néfastes » (5).
Reflétant le discours officiel, le Bhutan Observer, dans son édition du 4 novembre dernier, expliquait pourquoi la société devait soumettre la liberté de religion à des « restrictions raisonnables » afin de préserver la paix de la communauté. Il précisait que « la plupart du temps, les personnes qui se convertissent au Bhoutan sont issues des couches les plus pauvres de la société et les moins éduquées » et n’avaient donc « pas les moyens de faire un véritable choix». L’article, intitulé « Coming of the new God », conclut que « si chacun devient libre de convertir les autres à sa propre religion, il risque d’en résulter l’anarchie de la société », et cite à l’appui des cas qui lui auraient été rapportés de conversions au christianisme obtenues par « des étrangers contre des sommes d’argent » (6).
En mai 2009, le quotidien national Bhutan Times publiait les commentaires du ministre de l’Intérieur bhoutanais, Lyonpo Minjur Dorji : « Il n’y a absolument aucun problème si vous naissez chrétiens… La Constitution vous protège. Mais il est tout à fait illégal de chercher à convertir [d’autres personnes non chrétiennes]. Si nous avons des preuves de prosélytisme dans notre pays, nous nous devons de prendre des mesures immédiates » (7).