Eglises d'Asie

Des milliers de domestiques philippines coincées en Arabie Saoudite dans l’attente de leur rapatriement

Publié le 07/05/2013




Installées dans des campements de fortune devant les consulats des Philippines de Riyad et de Djedda, 3 400 à 5 000 (selon les sources) travailleurs philippins, des employées de maison dans leur grande majorité avec leurs enfants parfois en très bas âge, patientent depuis près d’un mois sous un soleil de plomb, dans l’attente de pouvoir rentrer chez eux, aux Philippines.

Ces travailleurs migrants font partie des milliers d’employés philippins en Arabie Saoudite qui, s’étant retrouvés sans permis de travail valide, craignent de faire les frais de la politique de « saoudisation » décrétée le 6 avril dernier par le roi Abdallah.

Appelée « nitaqat » en arabe, la politique de « saoudisation » lancée par les autorités vise à limiter la dépendance économique du royaume à la main-d’œuvre étrangère bon marché afin de pouvoir augmenter le nombre des citoyens saoudiens employés par le secteur privé. Dans le cadre de ce programme, le gouvernement saoudien a donné jusqu’au 9 juillet 2013 aux travailleurs étrangers pour régulariser leur contrat de travail, sauf à risquer l’arrestation, l’emprisonnement, le paiement d’une amende et l’expulsion du territoire national. Pour l’ensemble des travailleurs étrangers en situation irrégulière, la mesure a été perçue comme une menace très réelle, mais, pour une partie des Philippins – surtout les employées de maison victimes d’abus de la part de leur employeur –, elle a été vue comme une opportunité, celle de réussir à fuir enfin un royaume où toute sortie du territoire est conditionnée à l’obtention d’une lettre d’approbation de son employeur.

Dans le village improvisé de tentes qui se dresse à proximité du consulat philippin de Djedda, Marion Guinto aide à la distribution d’eau, de nourriture et de soins pour le millier de ses compatriotes qui y ont trouvé refuge. La plupart d’entre eux sont là, explique-t-elle, parce qu’ils ont fui un employeur qui refusait de les payer, qui les battait ou bien tentait d’abuser sexuellement d’elles. Elle cite le cas de Mme Punongbayan, mère d’un jeune enfant. Son employeur refusait de la payer et ne lui donnait pas assez de nourriture, à elle et à son petit garçon. Il y a plusieurs mois de cela, son mari, qui avait été embauché par le même employeur, a réussi à s’enfuir et à retourner aux Philippines, les laissant tous deux sans défense ni recours. Lorsqu’elle a entendu dire, au début du printemps, que l’Arabie Saoudite cherchait à se débarrasser de ses travailleurs migrants illégaux, elle a compris qu’elle avait une chance à saisir. « J’ai préparé ma fuite », rapporte-t-elle, en racontant comment elle avait caché quelques habits dans le local à poubelles de la maison où elle était employée pour pouvoir fuir avec son fils Ezekiel (1).

Mais une fois parvenus dans le camp de tentes du consulat à Djedda, les migrants clandestins sont loin d’avoir achevé leur odyssée. Les autorités saoudiennes réclament en effet la lettre d’approbation de l’employeur et le passeport qui leur avaient servi à entrer dans le royaume. Le consulat des Philippines a mis à la disposition des migrants une ligne téléphonique pour qu’ils puissent plaider auprès de leurs anciens employeurs la délivrance de ce précieux sésame, mais, comme le fait remarquer le consul général Uriel Norman Garibay, les employeurs font généralement la sourde oreille ou réclament le paiement par leur ancien employé des coûts d’agence engagés par eux lors de la première embauche. De plus, le plus souvent, ces migrants ont dû fuir sans pouvoir récupérer leur passeport, gardé par leur employeur.

Face à cet imbroglio administratif, les Philippines, dont les ressortissants sont entre 600 000 à 1,2 million selon les sources à travailler en Arabie Saoudite, ont engagé des négociations avec Riyad. Manille a déclaré être prêt à prendre en charge le coût de 4 000 billets d’avion et demandé en échange aux autorités saoudiennes de lever les obstacles administratifs et de ne pas réclamer l’amende de 2 000 dollars imposée aux employés rompant leur contrat de travail. Riyad a fait un geste ce mardi 7 mai en déclarant qu’entre 30 et 50 employées de maison pourraient regagner les Philippines chaque semaine. Le ministère philippin des Affaires étrangères a plaidé en retour que le quota soit augmenté à 150 voire 200 personnes par semaine.

Parallèlement à la politique de « saoudisation » du marché de l’emploi, Riyad ne renonce pas pour autant à faire appel à la main-d’œuvre étrangère. En prévision de la visite la semaine prochaine de Rosalinda Baldoz, ministre philippine du Travail dans le royaume, l’ambassadeur saoudien à Manille, Abdullah Al-Hassan, a déclaré qu’il avait bon espoir que les deux pays signent à cette occasion le premier accord qui lierait son pays à un pays pourvoyeur de main-d’œuvre. « Nous continuons à renforcer nos relations bilatérales avec les Philippines en nous efforçant d’approfondir nos relations économiques et politiques, particulièrement dans le domaine du travail en assurant un flux consistant de travailleurs philippins en Arabie Saoudite par des moyens légaux », a déclaré l’ambassadeur.

Cet accord intervient alors qu’en juillet 2011, l’Arabie Saoudite avait suspendu l’arrivée de domestiques philippins sur son territoire au motif que le gouvernement philippin, qui encadre l’exportation de sa main-d’œuvre à travers le monde, réclamait pour eux un salaire minimum de 400 dollars mensuels et diverses garanties en matière de condition de travail. Riyad insistait alors pour n’embaucher des domestiques qu’à un salaire de 200 dollars mensuels. Finalement, en octobre 2012, l’Arabie Saoudite avait fini par céder aux demandes de Manille et les embauches de Philippines comme employées de maison et de Philippins comme chauffeurs ou jardiniers ont repris.

En juillet 2011, la Commission pour la pastorale des migrants de la Conférence des évêques catholiques des Philippines avait applaudi à l’arrêt de l’envoi de domestiques en Arabie Saoudite, rappelant l’opposition de l’Eglise à l’envoi systématique de main-d’œuvre philippine à l’étranger. Lorsque ces envois avaient repris, la même commission épiscopale avait à nouveau réagi, déplorant le fait que des Philippins allaient à nouveau être soumis à des conditions de travail proches de l’exploitation.

Il est estimé que de 9,5 à 12,5 millions de Philippins travaillent ou résident hors des frontières de l’archipel philippin, soit environ 11 % de la population du pays. Chaque année, plus d’un million d’OFW (Overseas Filipino Workers) partent à l’étranger pour y travailler.