Eglises d'Asie

La Cour suprême donne raison à des aborigènes en lutte contre l’exploitation minière de leur site sacré

Publié le 23/04/2013




Alors que la planète entière célébrait hier la Journée internationale de la Terre (1), les aborigènes dongria kondh (« peuple des montagnes ») ont remporté une victoire historique face à la firme Vedanta dont le projet d’exploitation de bauxite sur leur montagne sacrée Niyamgiri, en Orissa, vient d’être suspendu par une décision de la Cour suprême indienne.

« Par un verdict sans précédent, la Cour suprême indienne a rejeté l’appel de Vedanta concernant son projet d’exploitation minière sur la montagne sacrée des Dongria Kondh, dans l’Etat d’Orissa », a indiqué l’ONG Survival International. Le projet de Sterlite India (filiale du groupe britannique Vedanta, détenu majoritairement par le milliardaire indien Anil Agarwal ) a été suspendu par la Cour suprême pour cinq mois, le temps de laisser aux gram sabha (assemblées de villages (2)) des communautés concernées de « décider de leur avenir ».

Les Dongria Kondh vivent depuis des millénaires dans ces montagnes de l’Orissa recouvertes par la jungle, où ils pratiquent la chasse, la cueillette et une agriculture de subsistance. Animistes, ils vénèrent comme une divinité la montagne Niyamgiri d’où ils « tirent toute vie », et y célèbrent de nombreux rituels considérés comme vitaux pour leur communauté. Mais leur territoire, qui regorge de bauxite (l’Orissa en détiendrait 50% des réserves indiennes), attire la convoitise des entreprises minières.

« Le projet minier de Vedanta aurait eu des conséquences catastrophiques, entraînant de multiples violation des droits des peuples indigènes », explique G. Ananthapadmanabhan, directeur d’Amnesty International pour l’Inde, qui soutient depuis des années, aux côtés de Survival, le combat des adivasi (aborigènes) de Niyamagiri. « Nous disposons désormais d’un moyen officiel pour exprimer notre crainte que ce projet détruise nos terres sacrées et ait de graves conséquences sur nos vies et nos moyens de subsistance », se réjouit de son côté l’un des chefs des Dongria Kondh.

Le bras de fer entre la petite communauté indigène de quelque 8 000 individus et la puissante multinationale – dont le projet était en outre soutenu par l Etat de l’Orissa ainsi que par le gouvernement fédéral (3) – semblait pourtant perdu d’avance. Le conflit, commencé il y a une dizaine d’années, s’était durci en décembre 2008 lorsque le ministère de l’Environnement et des Forêts avait autorisé Vedanta à exploiter les gisements de bauxite de Niyamgiri afin d’alimenter son usine de Lanjigarh située au pied des montagnes. Le projet, fruit d’un accord entre la multinationale et la compagnie d’Eat Orissa Mining Corporation (OMC), prévoyait l’exploitation du minerai pour les 25 années à venir dans une gigantesque mine à ciel ouvert de 670 hectares, avec un investissement de 650 millions d’euros.

Les Dongria Kondh, assistés des ONG Survival et Amnesty, saisissent alors la Cour suprême, dénonçant le fait qu’ils n’ont pas été consultés et s’opposent à une exploitation minière qui « détruira leur mode de vie, leur environnement et leur lieu de culte ». Mais la plus haute instance judiciaire de l’Inde statue en 2009 en faveur de la compagnie industrielle. Les adivasi portent à nouveau plainte pour « violation du droit des peuples indigènes ».

Rapidement, la communauté internationale se mobilise pour les Dongria Kondh dont le combat lui rappelle celui des héros du film Avatar de James Cameron qui remporte alors un succès mondial. Des ONG de défense des droits de l’homme, des associations écologistes, des Eglises et des communautés, soutenues par des personnalités de renom, se lancent dans un intense lobbying, démontrant les conséquences néfastes du projet : déplacement des peuples autochtones, profanation de leur lieu de culte, destruction de l’écosystème de la région et mise en danger de la population.

En 2009, l’Eglise d’Angleterre (anglicane), qui détient des parts importantes dans le projet, décide de vendre ses actions de Vedanta pour « raisons ethniques », entraînant le départ de nombreux investisseurs dont Joseph Rowntree Charitable Trust, Aviva, Marlborough Ethical Fund, ou encore Milfield House Foundation. Les gouvernements à leur tour s’engagent dans le débat : après la Norvège qui retire son soutien à la construction du site minier, les autorités britanniques fustigent le milliardaire indien pour ses « violations des droits de l’homme » à Niyamgiri.

En août 2010, peu après la publication d’un rapport d’experts avertissant des risques de « pollution irréversible de l’écosystème » et d’« extinction des Dongria Kondh », le ministère fédéral de l’Environnement revient sur sa décision et bloque la licence du projet pour « graves violations des droits des populations locales et des lois relatives à l’environnement et à la protection des forêts ».

Vedanta et l’OMC font appel de la décision en février 2011. Les Dongria Kondh, quant à eux, demandent que la Cour statue selon le principe du « consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause », reconnu par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones de 2007 (4). Dans l’attente de la décision de la Cour suprême, les manifestations et protestations se succèdent et la raffinerie de bauxite de Vedanta est contrainte de fermer en décembre 2012, faute de minerai pour l’alimenter.

Le 18 avril 2013, le verdict tombe enfin : à la surprise générale, le projet de Vedanta est suspendu le temps que les Dongria Kondh puissent « être entendus dans le processus de décision ». Pour la première fois, la Cour reconnaît le droit des adivasi de Niyamgiri à « vénérer leur montagne sacrée » ainsi que l’obligation du gouvernement de « protéger et préserver » leurs droits religieux et culturels.

Bien qu’il ne s’agisse que d’une étape dans la procédure, cette décision est sans précédent, et nul doute qu’elle fera jurisprudence dans les nombreuses affaires en cours opposant aujourd’hui en Inde des groupes aborigènes à des firmes industrielles, pour la préservation de leur environnement et de leur mode de vie. Plus encore, l’arrêt de la Cour suprême est l’une des premières reconnaissances officielles du droit des aborigènes à disposer de leurs « terres ancestrales ». En accordant aux gram sabha, le pouvoir de décider du sort du projet  de Vedanta, la décision de la Cour « contribue fortement à renforcer le pouvoir d’action des populations indigènes confrontées à des menaces similaires », souligne encore G. Ananthapadmanabhan.

Les gram sabha devront faire part de leur décision au ministère indien de l’Environnement d’ici trois mois. Le ministère aura à son tour deux mois pour décider, sur la base de leur rapport, s’il autorise ou non l’exploitation de la bauxite. « Ce verdict apporte un profond soulagement, conclut ce mardi 23 avril, Stephen Corry, directeur de Survival International. Vedanta a appris à ses dépends que le temps où il était possible de spolier les territoires indigènes en toute impunité était révolu.(…). Il reste à espérer que les Dongria Kondh auront le dernier mot. Pour cela, il est essentiel qu’ils soient protégés de tout harcèlement ou intimidation dans cette période cruciale et qu’une fois leur décision prise, celle-ci soit respectée par Vedanta et le gouvernement. »

L’arrêt de la Cour suprême stipule en effet que les gram sabha de Niyamgiri doivent rendre leur décision dans le cadre d’une consultation de la population « indépendante et libre de toute tentative d’influence de la part des initiateurs du projet, du gouvernement de l’Etat et du gouvernement central ». Kumiti Majhi, l’un des responsables de la « tribu des collines », confirme : « Nous demandons que la consultation soit menée librement, sans intimidation de la part des entreprises concernées ou des forces paramilitaires stationnées à Niyamgiri, et en présence d’organisations internationales de défense de droits de l’homme – en sus du représentant de l’administration judiciaire prévu par l’arrêt de la Cour suprême. »