Eglises d'Asie

La présence d’importants stocks d’armes illégales inquiète les minorités religieuses

Publié le 18/05/2013




L’organisation suisse Small Arms Survey (SAS) et la Nepal Armed Violence Assessment (Nava) (1) ont publié un communiqué conjoint le 15 mai dernier, rapportant que 450 000 armes à feu avaient été introduites illégalement au Népal pour seulement 55 000 enregistrées officiellement. Les experts, qui considèrent que la situation est inquiétante, …

… en particulier pour la vallée de Katmandou et la capitale où se trouve la plus grande partie de cet arsenal non officiel, ont déclaré craindre que l’insécurité grandissante « n’affecte des relations interconfessionnelles déja problématiques ».

Les résultats de l’enquête ont été dévoilés lors d’une conférence de presse, en présence de différents représentants des pays étrangers commanditaires de la SAS (2). Le ministère de l’Intérieur népalais a souligné que ce même 15 mai expirait le délai de remise des dernières armes de la guérilla maoïste et qu’il était satisfait de la coopération des populations. Alors que 1 068 armes détenues illégalement avaient été saisies l’an dernier au cours de « contrôles par les forces de police », 5 500 auraient été rendues « spontanément » ces trois derniers mois, a-t-il encore rapporté.

Les ambassadeurs suisse et australien ont félicité le gouvernement pour son « appel à restitution » lancé en janvier dernier, qui a permis de collecter de nombreuses armes à feu que les anciens rebelles avaient conservées malgré l’accord du 1er novembre 2011 (3). Ils ont néanmoins fait part de l’inquiétude légitime que soulevait l’enquête de la SAS et de la Nava, par la révélation de l’existence dans le pays d’un arsenal d’armes illégales important alors que le Népal traversait une période de grande instabilité politique accompagnée de violences interreligieuses.

« Dans un pays où augmente de jour en jour la pression hindouiste, un tel arsenal pourrait être utilisé pour intimider les chrétiens et les autres minorités religieuses », a déclaré le 16 mai Idraiit Rai, un expert de la sécurité nationale, à l’agence AsiaNews, ajoutant que « le gouvernement devait tenter d’endiguer un éventuel déploiement d’armes avant que les élections n’arrivent ». Prévues le 21 juin prochain, ces élections législatives devraient permettre de renouveler l’Assemblée constituante dissoute en mai 2012 et de parachever enfin la Constitution du pays, attendue depuis 2008.

Pour cette « Evaluation de la violence armée au Népal », réalisée avec l’aide d’Interdisciplinary Analysts, basé à Katmandou, les analystes ont croisé plusieurs sources d’informations : statistiques officielles, rapports d’ONG, enquêtes d’organismes internationaux mais également entretiens menés avec différents intervenants-clés dans les régions isolées du pays. Selon Keith Cruse, directeur de recherche à la SAS, c’est à Katmandou et dans les principales villes de la Vallée que l’on retrouverait la plus forte concentration d’armes à feu personnelles. Le coeur économique et politique du pays serait également la destination finale de la plupart des trafics d’armes de l’Inde vers le Népal, comme le rapporte dans son édition du 14 mai le Kathmandu Post, qui a publié une série d’enquête ces mois derniers sur la possession illégale des armes.

Une constatation qui n’est pas sans lien – toujours selon les experts –, avec les relations parfois étroites entretenues par les partis politiques et les groupes armés actifs dans le pays. Récemment, les négociations entre le gouvernement et la Nepal Defence Army (NDA), auteur de plusieurs attentats terroristes dans le pays contre les chrétiens et les musulmans (4), ont fait couler beaucoup d’encre et scandalisé les minorités religieuses. A l’annonce des premiers accords entre le groupe hindouiste et le Premier ministre Bhattarai en 2011 (la NDA s’était vantée d’être « protégée par le gouvernement » alors qu’elle planifiait de nouvelles attaques contre les chrétiens), Mgr Anthony Sharma, préfet apostolique du Népal, avait vigoureusement réagi : « Nous avons été très patients (…) mais avec cette mauvaise nouvelle [les négociations entre l’Etat et la NDA], nous nous sentons vraiment une minorité de‘ sans-voix’. »

Dans un Népal en proie à une instabilité constante dans l’attente d’une Constitution définitive dont le délai de remise est sans cesse repoussé, la prolifération des armes illégales alors que la guérilla maoïste a officiellement rendu tout l’arsenal « resté dans les camps » montre que le processus de paix est loin d’être achevé.

Outre la NDA, toujours actif, d’autres groupuscules extrémistes armés ont fait parler d’eux ces dernières années au Népal, certains issus de l’éclatement des armées maoïstes, d’autres rattachés au mouvement hindouiste en forte progression dans le pays, comme le Ranvir Sena (5).

Selon l’étude rendue publique le 15 mai, les armes utilisées le plus couramment au Népal seraient de fabrication artisanales (assemblage de chaînes de bicyclettes, bâtons ou encore bombes fabriquées avec des « dispositifs bricolés » comme lors de l’attentat à la cathédrale). La plupart des armes à feu personnelles seraient des modèles locaux comme les traditionnels katuwas (plus de 350 000 sont recensés par le rapport), sans compter les 160 000 armes de petit calibre de l’armée népalaise et les quelque 75 000 utilisées par les forces de l’ordre.

Quant aux 450 000 armes à feu illégales citées par le rapport en préambule (essentiellement des pistolets et revolvers), elles proviendraient d’un trafic transitant par le Terai, région septentrionale du Népal, dans sa partie frontalière avec l’Inde. La Nava estime de son côté à près de 500 000 le nombre d’armes à feu privées dont un dixième environ seraient enregistrées légalement.

Parmi les armes officiellement recensées, le nombre de celles qui ont appartenu ou appartiendraient encore au plus important groupe armé du pays, la guérilla maoïste, reste impossible à estimer. Si le ministère de l’Intérieur a bien sommé les rebelles de restituer toutes les armes encore en leur possession avant le 15 mai, il n’y a aucun moyen de s’assurer qu’aucune d’entre elles n’a été conservée. Le Kathmandu Post, qui avait donné début mai les noms de tous les membres du parti maoïste n’ayant pas rendu leurs « armes personnelles », a suivi avec un certain humour la campagne du gouvernement.

« La remise de leurs armes par les maoïstes à l’Armée du Népal est un nouveau tour de passe-passe à ajouter à tous ceux qui se sont succédés jusqu’ici », écrivait notamment l’un des éditorialistes du quotidien népalais le 20 avril dernier. « Celui qui rend son arme est un maoïste et celui qui la reçoit est aussi un maoïste. L’Armée du Népal, dirigée par les maoïstes, est sous le contrôle du gouvernement, lui-même mené par les maoïstes. (…). Un simple échange entre collègues : c’est comme si les armes des rebelles passaient seulement de leur main droite à leur main gauche ».