Eglises d'Asie

Alors que la tension s’intensifie entre les deux Corées, les chrétiens sud-coréens appellent à la conciliation

Publié le 03/12/2010




Avec l’attaque le 23 novembre dernier par Pyongyang de l’île sud-coréenne de Yeonpyeong par des tirs d’obus dont 90 ont touché leur cible, tuant au moins 4 personnes, blessant une vingtaine d’habitants et détruisant de nombreux bâtiments, les deux Corées semblent vivre la période la plus critique de leur histoire depuis la signature de l’armistice de 1953.

Sur cette petite île située à quelque 13 km du territoire nord-coréen, dans un zone frontière maritime qui est l’objet de contestations entre les deux pays, les catholiques représentent un tiers des habitants (450 sur une population de 1 700 résidents). Lors des bombardements, ces derniers ont réussi à fuir par la mer avec leur curé le P. Kim Tae-heon et à gagner le port d’Incheon sur le continent. Si le prêtre se réjouit qu’« aucun de ses paroissiens n’ait été blessé », l’église de Yunpyong, unique lieu de culte catholique de l’île, a été totalement détruite. Interviewé le 30 novembre dernier par la radio de l’archidiocèse de Séoul, le P. Kim Tae-heon a raconté être revenu à Yeonpyeong, désertée depuis l’attaque, afin d’évaluer les dégâts. Il rapporte qu’à côté de l’église éventrée par deux obus et du presbytère également touché, la statue de la Vierge Marie a été étonnamment épargnée.

 

Mais selon le prêtre catholique, ses paroissiens ne sont pas près de revenir dans leur île, le climat de tension et les menaces réciproques entre les deux pays faisant craindre d’autres agressions. Un avis partagé par les experts de la péninsule coréenne, qui considèrent que cette dernière attaque de Pyongyang a fait franchir une étape décisive au régime stalinien dans l’escalade des provocations. Qu’il s’agisse d’obtenir, comme par le passé, des secours alimentaires pour une population minée par la famine (1) ou encore comme le pensent certains, de réaffermir un pouvoir vacillant, affaibli par la succession de Kim Jong-il, l’équilibre de cette région du monde paraît plus fragile que jamais.

 

Alors que la Corée du Nord vient de prévenir la communauté internationale qu’elle détient des moyens nucléaires importants, les Etats-Unis et la Corée du Sud qui ont mené d’impressionnants exercices militaires en mer Jaune du 28 novembre au 1er décembre, ont décidé de poursuivre leur démonstration de force « dissuasive». Selon le quotidien sud-coréen Chosun Ilbo, « les armées sud-coréennes et américaines seraient en train de préparer de nouvelles manoeuvres pour fin décembre afin de prévenir les provocations futures de la Corée du Nord ».

 

Les relations diplomatiques se sont également tendues avec la Chine qui a été mise à l’écart du sommet sur la crise coréenne qui se tiendra lundi 6 décembre prochain à Washington, où ne se rencontreront que les Etats-Unis et ses deux alliés sud-coréens et japonais. La Chine, l’un des rares soutiens du régime de Kim jong-il, et le seul Etat de la communauté internationale à n’avoir pas condamné le bombardement de Yeonpyeong, a fortement réagi en déclarant « avoir été critiquée injustement » après avoir « appelé au dialogue » (2).

A chacune des crises qui ont jalonné les relations intercoréennes de ces derniers mois, du torpillage de la corvette Cheonan (3) en mars à l’attaque du 23 novembre, la communauté chrétienne, catholique comme protestante, a réaffirmé sa volonté de privilégier le dialogue plutôt que la réponse militaire, mais surtout son intention de poursuivre les programmes d’aide et d’assistance à la population de Corée du Nord. Tout récemment encore, fin octobre, le comité des évêques (sud-)coréens pour la Réconciliation du peuple de Corée avait livré 50 tonnes de riz en Corée du Nord et Corea Peace 3000, une ONG interreligieuse, avait distribué 100 tonnes de farine. Pyongyang était pourtant sous le coup des sanctions prises par le gouvernement de Séoul ainsi que par la communauté internationale, à la suite de l’incident du Cheonan, sanctions qui comportaient entre autres, la suspension d’une grande partie des aides humanitaires dont le régime stalinien est aujourd’hui totalement dépendant (4).

De précédentes sanctions économiques et financières avaient déjà été prises par le gouvernement de Lee Myung-bak qui, depuis son arrivée au pouvoir en 2008, s’est toujours montré partisan d’une politique de fermeté envers Pyongyang. A plusieurs reprises, il a rencontré sur ce sujet l’opposition de l’Eglise catholique et de divers mouvements religieux et humanitaires dénonçant le fait que les populations civiles risqueraient d’être les principales victimes du conflit politique.

Après l’attaque de Yeonpyeong, l’Eglise et le gouvernement sud-coréen ont affiché les mêmes positions divergentes. « Les relations entre le Nord et le Sud se sont fortement dégradées sous notre actuel gouvernement… Le gouvernement de Corée du Sud devrait introduire le dialogue et faire un pas vers le Nord », a déclaré le 23 novembre, jour du bombardement, le P. John Kim Yong-hwan , chancelier du diocèse d’Incheon dont dépend l’île de Yeonpyeong. Quant au P. John Baptist Kim Hun-il, secrétaire exécutif du comité épiscopal sud-coréen pour la réconciliation, s’il a condamné « l’acte inhumain qui consiste à viser des civils et leurs habitations », il a également enjoint le gouvernement sud-coréen à stopper les tirs de représailles et à persuader par le dialogue la Corée du Nord de ne plus commettre de telles attaques.

Mais cette vision conciliatrice ne semble pas faire l’unanimité au sein de la population sud-coréenne qui a multiplié depuis l’attaque, les manifestations de protestation ontre l’insuffisance de la réponse militaire du gouvernement de Lee Myung-Bak jusqu’à provoquer la démission du ministre de la défense Kim Tae-oung la semaine dernière.

 

« Les gens sont plus effrayés aujourd’hui car la menace nord-coréenne est devenue tangible dans leur esprit », a expliqué au quotidien La Croix, Howard Young, directeur de Radio for North Korea à Séoul, soulignant que la majorité de la population est née après la guerre et « redécouvre la réalité du danger[nord-coréen]» (5).