Eglises d'Asie

POUR APPROFONDIR – Asie du Sud : le sous-continent de l’intolérance

Publié le 24/05/2013




Dans ce texte publié mercredi 22 mai par l’agence Ucanews, John Dayal (1), secrétaire général du Conseil pan-chrétien indien (All India Christian Council , AICC), lance un cri d’alarme : en quelques années, l’Asie du Sud a subi des modifications profondes sous l’effet conjugué de la montée des extrémismes et de la violence interconfessionnelle. La traduction est de la Rédaction d’Eglises d’Asie. 

Un sous-continent d’intolérance : les minorités religieuses persécutées dans toute l’Asie du Sud

Loin des projecteurs des médias braqués sur les Etats islamiques de l’Afrique du Nord et de la péninsule arabique, en Asie du Sud, l’extrémisme et l’intolérance religieuse ont atteint des niveaux inacceptables. Une situation qui est le fruit de lois extrémistes et de l’impunité accordée aux responsables par des Etats complices.

Si les fidèles des plus grandes religions mondiales sont l’objet de graves discriminations dans un ou plusieurs des sept pays qui forment l’Asie du Sud – l’Inde, le Pakistan, le Bhoutan, le Népal, le Bangladesh et le Sri Lanka (Le septième Etat, les Maldives, Etat islamique, ne compte pas de minorités religieuses.) –, les chrétiens, en tant que minorité religieuse, sont quant à eux persécutés dans chacun de ces sept Etats.

Ce phénomène prend des formes différentes selon la structure politique et l’identité ethnique des pays. Les musulmans et les chrétiens sont davantage attaqués en Inde, les chrétiens, les hindous et les bouddhistes au Bangladesh ou au Pakistan – pays où l’islam est la religion de la majorité –, les chrétiens et les musulmans sont persécutés au Sri Lanka et au Bhoutan – pays à prédominance bouddhiste –, et le sont aussi au Népal par la majorité hindoue.

Malgré ces différences, les lois anti-conversion établies en Inde afin de contrer les Eglises chrétiennes, tout comme les lois anti-blasphème décrétées au Pakistan, sont en train d’être dupliquées dans les autres pays afin de réduire l’évangélisation et d’asseoir la suprématie de la religion majoritaire.

Une vague de fond qui va à l’encontre des efforts de réconciliation interreligieuses menés par certains, comme le projet de loi Communal and Targeted Violence Prevention Bill (2), du National Advisory Council mené par Sonia Gandhi, proposé en réaction aux violences antimusulmanes de 2002 dans le Gujarat et des pogroms antichrétiens de 2008 en Orissa (3).

Une récente rencontre entre les différents groupes religieux des pays de l’Asie du Sud a permis de mettre en garde ces Etats contre la montée d’un extrémisme qui pourrait menacer la paix, notamment dans une région où l’Inde et le Pakistan disposent d’un important arsenal nucléaire.

Bien que le fait de vouloir imposer une religion dominante soit le facteur commun de ces pays, et la récente progression de l’islam fondamentaliste au Pakistan et au Bangladesh l’exemple le plus frappant, de petits Etats comme le Bhoutan et le Népal sont eux aussi tombés dans le piège de l’extrême protectionnisme religieux, leur faisant craindre que les « confessions étrangères » ou apportés par les immigrants ne viennent polluer leur « culture traditionnelle ».

Au Népal, pays actuellement en proie au chaos politique et sans gouvernance légale (4), l’hindouisme n’est plus désormais la religion officielle. Pourtant, la menace d’une loi anti-conversion plane toujours, telle une épée de Damoclès. Une autre cause d’inquiétude est l’influence grandissante dans le pays himalayen de l’idéologie hindouiste prônée par le Rashtriya Swayamsewak Sangh (5).

L’Eglise catholique est relativement tolérée dans le pays en raison de l’excellence de ses institutions d’éducation mais une menace pèse en permanence sur les quelque 25 000 fidèles chrétiens protestants répartis au sein de communautés pentecôtistes et d’« Eglises domestiques » (6). Pour toutes ces raisons, un grand nombre de chrétiens ne sont pas recensés, préférant faire partie de l’Eglise souterraine.

Les chrétiens se font encore plus discrets au Bhoutan, qui pratique un nationalisme archaïque et une politique culturelle destinée à préserver sa pureté ethnique et ses traditions bouddhiques (7). Même les bouddhistes népalais y sont considérés comme des étrangers.

Il n’y aurait que 14 000 chrétiens pour une population bhoutanaise de 700 000 habitants. Mais le premier gouvernement démocratique de l’histoire de ce pays étudierait actuellement la possibilité d’accorder aux chrétiens le droit de construire des églises et de se former en associations, bien qu’il n’ait pas longuement hésité avant d’édicter une loi anti-conversion (8). Une décision qui signifie qu’en réalité l’Etat refuse bien de reconnaître officiellement la présence de chrétiens dans le pays.

Depuis la fin de la guerre civile au Sri Lanka, le gouvernement cinghalais et bouddhiste, vainqueur du conflit, a entamé une politique de forte répression à l’encontre des musulmans et des chrétiens. Environ 70 % de la population du Sri Lanka est bouddhiste et cinghalaise, pour 15 % d’hindous, 8 % de chrétiens et 7 % de musulmans essentiellement tamouls. Environ 80 % des chrétiens sont catholiques et comptent beaucoup de Cinghalais dans leurs rangs.

L’Etat sri-lankais est particulièrement suspicieux vis-à-vis des groupes protestants, dont 40 % en tant que Tamouls souffrent d’une double discrimination. On recense de fréquentes attaques de chrétiens et d’églises (9).

Outre les crimes de guerre, la persécution menée par le bouddhisme triomphant du Sri Lanka à l’encontre des musulmans et des chrétiens préoccupe très sérieusement les organisations des droits de l’homme et la communauté internationale (10).

Quant à la situation dramatique des chrétiens au Pakistan (viols, incendies d’habitations, arrestations abusives, menaces et exécutions au titre de la loi anti-blasphème), elle est aujourd’hui bien connue de la communauté internationale qui l’a vigoureusement condamnée et a lancé de nombreuses campagnes en faveur des victimes (11).

Mais c’est la vague de violence contre les hindous et les chrétiens au Bangladesh qui a récemment provoqué la plus grande inquiétude, particulièrement en Inde qui s’est retrouvée assaillie par les populations fuyant les massacres dans leur pays.

L’Inde a toujours eu une politique ambivalente en ce qui concerne les populations venant du Bangladesh. Les hindous sont intégrés et reçoivent généralement la nationalité indienne en tant que réfugiés, mais les musulmans sont considérés comme des immigrés clandestins et vivent sous la menace constante d’une expulsion. La situation pour les chrétiens relève de la même incertitude.

Ces dernières semaines, les islamistes qui protestaient contre le jugement des crimes de guerres commis en 1971 lors de la guerre d’indépendance, ont laissé libre cours à leur colère, spécialement à l’égard des hindous, dans une orgie de violence qui a jeté sur les routes des milliers de sans-abris. Le gouvernement a pris quelques timides mesures afin de tenter de maîtriser l’influence des extrémistes mais les minorités vivent toujours sous la menace et dans la peur (12).

L’Inde elle-même n’est pas vraiment en position morale de critiquer ses voisins. Les statistiques officielles rapportent qu’en 2012, 560 émeutes communautaristes ont été enregistrées lesquelles ont fait plus de 89 morts et de 1 846 blessés (13). La majorité de ces victimes étaient des musulmans. Il n’y a en revanche aucune statistiques officielles concernant les persécutions envers les chrétiens …