Eglises d'Asie

La remise d’un prix international au président Yudhoyono est vivement critiquée

Publié le 31/05/2013




Le 30 mai dernier à New York, Susilo Bambang Yudhoyono a reçu des mains d’Henry Kissinger le « Prix de l’homme d’Etat de la planète » (World Statesman Award), prestigieuse distinction d’une fondation américaine promouvant la liberté de conscience et de culte. En acceptant ce prix, le président indonésien a soulevé de très vives critiques …

… dans son pays, où il lui est reproché, depuis huit ans et demi qu’il est au pouvoir, de ne pas avoir agi pour défendre la liberté religieiuse, notamment celle des minorités confessionnelles d’un pays qui abrite la plus importante population musulmane du monde.

En lui remettant son prix, le rabbin Arthur Schneier, président d’Appeal of Conscience, une fondation créée en 1965 « par des responsables religieux et des hommes d’affaires soucieux de favoriser la paix, la tolérance et la résolution des conflits », a implicitement reconnu que l’œuvre entreprise par le président indonésien « dans le domaine de la tolérance religieuse » était « incomplète ». Ce que vous avez fait, lui a dit le rabbin Schneier « est juste un pas dans la bonne direction ».

Dans son discours, le président Yudhoyono a reconnu que « des poches d’intolérance persistaient », que « des conflits communautaires surgissaient parfois » et que « la sensibilité sur les questions religieuses débouchait à l’occasion sur des disputes lorsque des groupes en venaient aux mains ».

« Le radicalisme existe encore à la marge », a-t-il déclaré, tout en soulignant que, si son pays « avait encore beaucoup à faire », il s’engageait à ce que son gouvernement ne tolère plus de violence au nom de la religion. « Nous protégerons toujours nos minorités pour nous assurer que personne ne souffre de discrimination et nous ferons en sorte que ceux qui enfreignent les droits des autres soient déférés devant la justice », a-t-il ajouté.

Barack Obama avait envoyé une lettre au président Yudhoyono pour le féliciter de la distinction qu’il recevait à New York et l’ancien président du Timor-Oriental Jose Ramos-Horta, dont le pays a été sous la férule de l’Indonésie jusqu’en 1999, avait fait de même.

En Indonésie, le ton était en revanche tout autre et les critiques n’ont cessé de se multiplier ces dernières semaines, les militants des droits de l’homme et de nombreux responsables religieux reprochant au président Yudhoyono son inaction dans le domaine de la protection de la liberté religieuse.

Parmi les plus vives critiques figure la prise de position du P. Franz Magnis-Suseno, jésuite d’origine allemande et professeur de philosophie à l’université catholique Driyarkara de Djakarta. Fervent artisan du dialogue interreligieux, collaborateur de la revue internationale Oasis, le P. Magnis-Suseno a rédigé une lettre ouverte à la fondation Appeal of Conscience, dans laquelle il qualifie de « honte » le fait de décerner un tel prix à un président qui, en huit ans et demi de présidence, « n’a jamais parlé, pas même une seule fois, au peuple indonésien du respect des minorités, évitant honteusement toute responsabilité face à une violence croissante » exercée contre les minorités religieuses ou les communautés issues de l’islam mais considérées comme « déviantes », tels les Ahmadis. « N’avez vous donc pas connaissance des difficultés croissantes pour les chrétiens d’obtenir l’autorisation d’ouvrir des lieux de prière, du nombre croissant d’églises fermées de force, de l’inflation de règlements rendant le culte plus difficile pour les minorités et favorisant ainsi la montée de l’intolérance à la base ? », s’indigne le jésuite, estimant que la fondation new-yorkaise « se discrédite » en accordant ce prix au président indonésien.

A Djakarta, l’indignation de différents milieux chrétiens, musulmans ou de défenseurs des droits de l’homme n’a pas été moindre. Des manifestations devant l’ambassade américaine ont été organisées début mai dès que l’annonce de la remise du prix a été rendue publique. Des pasteurs protestants de Djakarta, de Banten et de Java-Ouest, qui ont eu maille à partir avec des islamistes ayant pris d’assaut leurs temples ou encore avec les administrations locales leur niant le droit de construire des lieux de culte, ont dénoncé un « président de l’intolérance », demandant à la fondation américaine de reconsidérer sa décision. Syafii Maarif, un ancien président de la Muhammadiyah, l’une des deux grandes organisations musulmanes de masse du pays, est allé dans le même sens.

A la section Asie de Human Rights Watch, l’analyste John Sifton explique que le problème de Yudhoyono vient du fait que « son ministre des Affaires religieuses [Suryadharma Ali] et son ministre de l’Intérieur [Gamawan Fauzi] sont tous deux issus de milieux sunnites plutôt conservateurs et sont présents au gouvernement au titre des compromis politiques [passés par Yudhoyono pour composer son équipe] ». « La difficulté vient de ce que lorsque certains groupes extrémistes professent une interprétation extrémiste [de l’islam sunnite] et se font les avocats de l’hostilité, voire de la persécution envers une minorité religieuse [chiite, ahmadi ou chrétienne], un grand nombre d’hommes politiques n’ont pas la carrure ou le courage de s’y opposer », explique-t-il.

Selon l’agence Fides, le président Yudhoyono dispose cependant de toutes les informations nécessaires. Son conseiller pour les affaires religieuses, Albert Hasibuan, qui est réputé être très proche du président, lui a récemment remis un rapport sur le nombre croissant des violences et autres manifestations d’intolérance envers les minorités religieuses. Ce rapport affirme notamment que la police ainsi que les responsables locaux de l’administration n’agissent pas avec le sérieux et la célérité nécessaires pour empêcher ces violences. Selon le conseiller, « les ordres du président ont été ignorés ». « Je pense que le président devrait agir avec plus de volonté, sauf à voir ces cas se reproduire – et ceci est dangereux pour la nation », conclut-il.