Eglises d'Asie – Inde
Reprise des attaques au Karnataka : les chrétiens accusent le gouvernement de soutenir « la milice safran »
Publié le 08/11/2011
Selon l’agence SAR News, c’est vers 20h30 qu’un jeune arborant différents symboles du Bajrang Dal (1), dont un cordon safran autour du poignet, a pénétré dans la sacristie de l’église pendant que deux de ses complices faisaient le guet. Après avoir brisé une statue du Christ et détruit une bible, il a enlevé son pantalon et ses sous-vêtements pour revêtir les habits sacerdotaux et est sorti dans cet appareil. C’est alors que les étudiants l’ont attrapé, pendant que ses deux complices prenaient la fuite. Fouillant le pantalon de l’agresseur, les étudiants ont trouvé sa carte d’identité indiquant que l’individu s’appelait Shiva, était conducteur de bus et habitait la région de Padil. Les jeunes chrétiens ont ensuite appelé la police et les médias, initiative qui a profondément déplu aux forces de l’ordre.
Selon le directeur de la Community Radio SARANG, également professeur au College Aloysius à Mangalore, la police du poste de Kadri, une fois arrivée sur les lieux, a demandé aux étudiants chrétiens de ne pas porter plainte, affirmant que l’agresseur était visiblement fou et que son acte n’avait en aucune motivation communautariste. Elle a également exigé de rédiger elle-même le First Information Report (FIR), rapport écrit de l’incident, mais a omis de mentionner le fait qu’il y avait eu profanation ou que Shiva avait pu agir au sein d’une quelconque mouvance politique ou religieuse.
« C’est un acte abominable (…) qui blesse le sentiment religieux des croyants », a déclaré Mgr Lawrence Mukkuzhy, évêque de Belthangady, rappelant que depuis qu’elle avait été fondée il y a des dizaines d’années, l’église Ste-Alphonsa n’avait jamais subi aucune attaque.
Quelques jours auparavant, des incidents semblables s’étaient produits dans deux établissements catholiques de Mangalore, le collège Padua à Nanthur et l’école Sainte-Teresa à Bendore. Les assaillants, venus dans la nuit, avaient jeté des pierres contre les statues qu’ils avaient endommagées avant de s’enfuir. La police, prévenue, n’avait pris aucune mesure pour rechercher les coupables.
Devant l’augmentation des attaques et la passivité complice des autorités, le Conseil pan-chrétien de l’Inde (AICC) a de nouveau tiré la sonnette d’alarme. Lors d’une conférence de presse qui s’est tenue à Mysore le 31 octobre dernier, le secrétaire général de l’AICC, John Dayal, a dénoncé « une campagne de calomnies et de haine contre les chrétiens et les musulmans » orchestrée par Swamy Subramanian, président du Bharatiya Janata Party (BJP, Parti du peuple indien), la vitrine politique du nationalisme hindou. Avocat de profession, Subramanian s’oppose également au projet de « loi pour la prévention de la violence intercommunautaire » qui doit être votée prochainement au Parlement.
Dans l’Etat du Karnataka, le BJP est au pouvoir depuis 2008 et son mandat vient d’être renouvelé aux élections de 2011. Cet Etat du sud de l’Inde a été l’un des plus touchés lors des violences antichrétiennes de 2008 parties de l’Orissa, avec plus d’une centaine d’attaques dont certaines particulièrement meurtrières (2). Les chrétiens, qui ne représentent que 2 % de la population de l’Etat, sont accusés régulièrement par les hindouistes de pratiquer des conversions forcées, en dépit des dénégations des différentes Eglises qui soulignent que ce type de conversion est un acte « fondamentalement non chrétien ». Bien que les attaques n’aient jamais totalement cessé au Karnataka depuis les pogroms de 2008 (selon l’agence Fides, plus de 140 cas de violence antichrétiennes s’y sont produits ces deux dernières années), la situation des chrétiens bénéficiait cependant d’une relative accalmie, jusqu’en août dernier.
Une vague de panique s’était alors emparée des communautés chrétiennes, alors que le gouvernement lançait un recensement afin de « ficher » tous les fidèles, sommés de déclarer tous leurs lieux de culte et institutions, les coordonnées des responsables, les comptes bancaires, les horaires des offices et leur fréquentation par les fidèles. Cette collecte d’informations qui ne ciblait que les chrétiens avait été confiée à la police locale, dont les victimes des violences de 2008 se souvenaient de la participation active aux attaques. Le Global Council of Indian Christians (GCIC), une ONG protestante de lutte contre les violences antichrétiennes, s’était vivement élevé contre le recensement qui augurait selon lui la préparation d’un « nettoyage de masse par [les hindouistes] ». La peur d’attaques imminentes, en rapport avec la commémoration des pogroms de 2008, s’était renforcée chez les chrétiens après que la police eut enjoint de nombreux pasteurs de se faire enregistrer au commissariat et de déclarer tous leurs rassemblements, faute de quoi elle serait dans l’incapacité de les protéger. Selon Sajaan George, président du GCIC, la police, « n’ignorant pas les desseins des extrémistes », était en train de « se dégager de toute responsabilité en cas d’incidents » (3). Confirmant les craintes des chrétiens, une hausse significative des violences antichrétiennes avait en effet accompagné le recensement : célébrations interrompues, nombreux pasteurs molestés et plusieurs églises saccagées.
Alors que les membres du gouvernement BJP du Karnataka continuent de nier toute entreprise communautariste au sein de l’Etat, différentes organisations chrétienne, dont le GCIC et le Catholic Secular Forum (CSF), ont récemment remis aux plus hautes autorités de l’Inde, deux mémorandums dénonçant le « génocide des chrétiens » planifié par les hindouistes ainsi que la persistance des violences antichrétiennes en Orissa et au Karnataka (4).
Le dernier mémorandum a été remis par Michael Saldanha, ancien juge de la Haute Cour du Karnataka, déjà auteur d’un rapport rendu en mars dernier sur les attaques antichrétiennes de 2008. Son enquête, menée dans les hôpitaux, les postes de polices, les prisons et les bureaux gouvernementaux où il avait recueilli plus d’un millier de témoignages, lui avait permis de réfuter le rapport très controversé établi par le juge B. K. Somasekhara à la demande du gouvernement BJP, lequel niait la responsabilité du gouvernement dans les violences antichrétiennes et affirmait qu’« aucun hindou n’était responsable des attaques » (5). L’ancien juge à la Haute Cour concluait dans son rapport que le BJP – et tout particulièrement le chef du gouvernement et le ministre de l’Intérieur du Karnataka – avait une grande part de responsabilité dans les attaques perpétrées par les hindouistes, planifiées et « soutenues » par les membres les plus éminents de l’Etat ainsi que par la police qui avait « dirigé » certaines attaques.
Mais au Karnataka, confirment des chrétiens qui ont demandé l’anonymat, « les extrémistes hindous disposent d’un immense pouvoir : ils sont au gouvernement, ils ont infiltré le système judiciaire, la bureaucratie et la police. Pour les chrétiens, il est impossible d’obtenir justice ».