Eglises d'Asie

L’Eglise catholique tente de sauver le processus de paix en cours sur l’île de Mindanao

Publié le 06/04/2011




Le 5 avril dernier, Mgr Jose Colin Bagaforo, évêque auxiliaire de l’archidiocèse de Cotabato, a appelé le gouvernement à une résolution immédiate des conflits armés dans la province de Maguindanao, située dans la Région autonome musulmane de Mindanao (ARMM). Au moins onze personnes ont été tuées dimanche 3 avril, lors d’un affrontement entre des membres du Front moro de libération islamique (MILF) (1)…

… et les milices du gouverneur de Maguindanao, Esmael « Toto » Mangudadatu. Le mouvement indépendantiste a déclaré avoir voulu défendre les habitants contre l’armée privée du gouverneur qui se livrait au pillage (2). L’armée fédérale a été déployée dans la région, et près de 200 familles ont été évacuées dans des camps du gouvernement.

 

Depuis plus de quarante ans, cette région du sud philippin, où se trouve une grande partie de la minorité musulmane de l’archipel, vit dans un climat de guerre civile permanent, entrecoupé de cessez-le-feu éphémères suivis de massacres interreligieux et de règlements de comptes entre clans rivaux. Outre les groupes armés se réclamant du MILF, l’armée philippine y combat le groupuscule Abu Sayyaf, proche d’Al-Qaeda, la Nouvelle armée du peuple (communiste) ainsi que divers groupes évoluant à la lisière du terrorisme et du grand banditisme. Des armées privées commanditées par les clans puissants de l’île multiplient parallèlement les vendettas, renforçant l’insécurité à Mindanao, en particulier dans l’enclave de l’ARMM.

 

« Nous invitons les autorités de Maguindanao à envisager toutes les solutions pour éviter l’escalade de la violence », a demandé Mgr Bagaforo, soulignant que le processus de paix qui était à nouveau en bonne voie risquait une nouvelle fois d’être rompu, déjà fragilisé par le contexte du procès en cours des responsables du massacre de Maguindanao (3) et des prochaines élections dans la région autonome musulmane.

 

Le 14 mars dernier, Teresita Quintos-Deles affirmait pourtant que « le processus de paix n’avait jamais connu d’avancées aussi importantes » depuis qu’il avait été relancé officiellement en 2009. La responsable auprès du gouvernement du processus de paix avait déclaré qu’un calendrier avait été fixé, échelonnant sur dix-huit mois les échanges entre les parties afin de réaliser les ajustements juridiques et constitutionnels nécessaires, le désarmement des troupes rebelles étant envisagé pour l’été 2012.

 

Une grande étape semblait également avoir été franchie le 30 mars dernier, lors d’une rencontre à Davao City entre les chefs rebelles moro et les évêques catholiques qualifiée d’« historique » par Mgr Orlando Quevedo, archevêque de Cotabato et président de la Conférence des évêques et des oulémas (BUC) (4). Les leaders du MILF mènent, depuis le 6 mars, une série de consultations des différentes parties impliquées dans le processus de paix afin d’« expliquer la question de l’identité moro » et de les convaincre de les soutenir dans leur projet d’un Etat islamique à Mindanao.

 

Cette rencontre au sommet avait été organisée par le Mindanao Peoples Caucus (MPC), un rassemblement de différents mouvements aborigènes, chrétiens, bangsamoro (moro) et musulmans, en faveur de la paix. Créé en 2001 et travaillant en étroite collaboration avec la Conférence des évêques et des oulémas, ce réseau a déjà participé de façon active à plusieurs cessez-le-feu et à l’organisation de pourparlers entre les parties.

 

Aux évêques de Mindanao qui l’interrogeaient sur l’épineuse question du « domaine ancestral », principale pierre d’achoppement entre Manille et le MILF (5), Mohagner Iqbal Mohagner Iqbal, chargé des négociations de paix pour le MILF, a répondu que les institutions de l’Eglise catholique seraient respectées et qu’aucune terre appartenant aux chrétiens ne serait confisquée si les négociations de paix avec le gouvernement aboutissaient.

 

Lorsque la Cour suprême avait rejeté en août 2008 le Memorandum of Agreement on Ancestral Domain (MOA), projet qui devait donner naissance à un Etat islamique bangsamoro, des chrétiens avaient été tués, des maisons brûlées et des biens saisis par des groupes du MILF. « Ne craignez pas pour vos diocèses, nos revendications ne concernent pas les propriétés et les institutions d’Eglise », a assuré encore Datu Michael Mastura, ancien député et actuellement membre du comité de négociation pour la paix du MILF, à Mgr Orlando dont le diocèse avait particulièrement souffert des violences de 2008 et qui relayait l’inquiétude de ses fidèles.

 

Mgr Fernando Capalla, archevêque de Davao, a quant à lui interrogé les représentants du MILF sur l’organisation des pouvoirs exécutif, judiciaire et administratif au sein du futur Etat Bangsamoro, notamment sur l’éventuelle application de la charia, sur la liberté de culte, d’association et de religion. Il a également demandé des éclaircissements au sujet de la proposition du MILF d’ériger un « mémorial aux victimes de la violence », soulignant que les victimes appartenaient aux deux communautés. Mohagner Iqbal a répondu qu’il fallait comprendre ce mémorial comme un symbole de « réconciliation post-conflit » dans le cadre d’un processus de guérison pour des peuples qui avaient longtemps souffert.

 

A l’issue de ces échanges, Mgr Orlando Quevedo a tenu à préciser : « Ill s’agissait d’une « consultation », et non d’accepter ou de refuser des dispositions particulières. Nous étions là, évêques, avant tout pour écouter et faire des observations. »