Eglises d'Asie

Rebondissement dans l’affaire du meurtre du recteur : l’économe du séminaire suspecté

Publié le 11/06/2013




Dans le cadre de son enquête sur le meurtre encore non élucidé du recteur du séminaire pontifical de Bangalore au Karnataka le 31 mars dernier, la police soumet actuellement à de nouveaux interrogatoires l’un des suspects, l’économe de l’établissement, a annoncé hier l’agence Ucanews.

Le 31 mars dernier, dans la nuit du dimanche de Pâques, le P. K. J. Thomas, 62 ans, recteur du séminaire pontifical Saint-Pierre (Saint Peter’s Institute) de Bangalore, au Karnataka, était sauvagement assassiné, le visage tellement mutilé qu’il en était à peine identifiable.

Les premiers éléments de l’enquête révèlaient que le prêtre aurait tenté d’échapper à ses agresseurs qui l’auraient poursuivi depuis sa chambre près de l’entrée du bâtiment jusqu’au réfectoire situé au rez-de-chaussée pour finir par le frapper dans la cour centrale où ils lui auraient écrasé le visage et la tête à coups de briques. Le corps du recteur aurait ensuite traîné jusqu’à la salle de repos des professeurs où il a avait été retrouvé au petit matin par le P. Patrick Xavier, économe du séminaire.

Le recteur étant décrit de façon unanime comme un « homme de paix et de générosité », les enquêteurs s’étaient orienté tout d’abord sur la piste d’un crime crapuleux ou d’un cambriolage qui aurait mal tourné. Ces hypothèses avaient été rapidement écartées par le fait que, malgré la mise à sac des bureaux de l’accueil et de la chambre du P. Thomas, les agresseurs avaient dédaigné le portable, l’iPad et l’ordinateur du prêtre. En revanche, l’acharnement avec lequel les trois hommes avaient poursuivi et massacré le recteur, ainsi que l’absence de signe d’effraction qui supposait une connaissance des lieux, semblaient indiquer un acte prémédité.

C’est aujourd’hui l’économe, premier témoin à avoir trouvé le corps et seul résident dont la chambre était voisine de la victime la nuit du meurtre, qui est la cible de nouveaux interrogatoires. Ces derniers consistent en une batterie de tests « révélateurs de mensonges », très prisés par les services de police criminelle indiens qui les réservent aux « témoins récalcitrants » ou aux enquêtes qui piétinent, et ce malgré l’existence d’une importante controverse internationale sur ces procédés.

Le P. Patrick Xavier n’est pas le seul à subir de nouveaux interrogatoires ; deux autres employés du séminaire sont  également l’objet des mêmes « examens judiciaires ». « Nous vérifions toutes les possibilités », a expliqué l’inspecteur V. S. D’Souza, ajoutant qu’« aucun suspect ne pouvait pour le moment être écarté »  tant que le motif du meurtre du recteur n’était pas davantage cerné.

Selon le Times of India de ce mardi 11 juin, le prêtre catholique aurait déjà, de son plein gré, subi un interrogatoire sous « IRM fonctionnelle », basé sur le principe selon lequel l’activité cérébrale du suspect est modifiée lorsqu’il est amené à mentir ou à dissimuler des faits.

La police a également déclaré avoir demandé l’aval des juges pour faire soumettre le P. Patrick Xavier au test du polygraphe (« détecteur de mensonges ») mais aussi de la narco-analyse (« sérum de vérité »), injection par intraveineuse de thiopental sodique (Penthotal). Le Times of India rapportait le 8 juin dernier des propos tenus par une source proche de l’enquête sous le couvert de l’anonymat : « L’hypothèse selon laquelle les meurtriers venaient de l’extérieur est toujours valable, mais nous avons besoin de réponses de certaines « fortes têtes » qui ne nous ont pas tout dit. C’est pour cela que nous avons demandé à la Cour l’autorisation de pratiquer des interrogatoires sous narcotique. »

La Cour suprême indienne a réitéré à plusieurs reprises ses fortes réserve concernant ces tests, assimilés à des actes de torture ou considérés comme non recevables en justice par la plupart des Etats dans le monde. L’utilisation de ces procédés est également interdite sans l’accord du suspect, sauf cas particulier. En Inde, le Gujarat est l’un des Etats qui utilise le plus fréquemment la narco-analyse, une procédure qui dure près d’une semaine et nécessite la présence d’un psychiatre et d’un anesthésiste.

Le P. Patrick Xavier était devenu l’un des principaux suspects dès que l’hypothèse d’un crime crapuleux avait été écartée, en raison notamment du fait que sa chambre était située en face de celle du recteur et qu’il avait déclaré, lors de dépositions contradictoires, n’avoir tout d’abord pas entendu de cris, puis avoir cru percevoir des appels au secours mais s’être rendormi.

Ce rebondissement dans l’enquête intervient alors que le Vatican vient de demander à la police indienne d’accélérer les investigations qui étaient au point mort depuis deux mois. Après les efforts répétés mais vains de la Conférence épiscopale du Karnataka, et en particulier de Mgr Moras, archevêque de Bangalore, pour faire avancer l’enquête de l’assassinat du recteur, le Saint-Siège, sous l’autorité duquel se trouve le séminaire St Peter, est en effet intervenu – un fait rare – par l’intermédiaire du nonce apostolique à New Delhi. Ce dernier a rencontré il y a une dizaine de jours plusieurs hommes politiques du Karnataka et a demandé officiellement aux autorités de l’Etat de mettre tout en oeuvre pour élucider le meurtre du P. Thomas de la façon la plus rapide possible.

Rejetant tout lien de cause à effet, l’inspecteur D’Souza a assuré que ces nouveaux interrogatoires n’avaient aucun rapport avec d’éventuelles pressions qui auraient pu être exercées par le ministère de l’Intérieur sur la police afin d’accélérer l’enquête. « Cela signifie seulement qu’un nouveau pas a été fait dans la bonne direction », a-t-il déclaré, refusant néanmoins de « révéler aucun détail supplémentaire pour le moment ».

De son côté, le vice-recteur, le P. Savarimuthu Stanislas, à la tête de l’établissement qui vient de rouvrir ses portes le 3 juin dernier pour la rentrée scolaire, a démenti certaines accusations de la presse selon lesquelles l’Eglise chercherait à couvrir les responsables de l’assassinat du recteur.

« Nous aussi, étudiants comme membres du corps professoral, nous voulons absolument connaître la vérité ; savoir pourquoi un tel homme a été assassiné, et qui  a pu commettre ce crime odieux », a -t-il expliqué à Ucanews. Ajoutant que le meurtre du P. Thomas, mais aussi l’interrogatoire du P. Patrick Xavier avaient été « des expériences très traumatisantes » pour tous, le P. Savarimuthu Stanislas a cependant tenu à assurer que l’établissement pontifical offrait son « entière collaboration » aux services de police.

Sur le site Internet lancé par Mgr Moras à la mémoire du prêtre assassiné, les commentaires des étudiants du séminaire et des proches et amis du recteur vont bon train, trahissant les craintes que les investigations ne révèlent que « des éléments intérieurs au séminaire pourraient être impliqués dans le meurtre ».

(eda/msb)