Eglises d'Asie – Vietnam
Le plus célèbre dissident du Vietnam a été condamné à sept ans de prison ferme et trois ans de résidence surveillée
Publié le 06/04/2011
Comme on a pu le lire sur l’un des nombreux blogs vietnamiens (1) qui, dans la matinée, ont suivi et commenté, heure par heure, les débats, ce procès a focalisé l’attention de la population vietnamienne, notamment en raison de la personnalité de l’accusé. Ce docteur en droit, à la tête d’un cabinet d’avocats, âgé de 53 ans, est le fils de Cu Huy Cân, poète célèbre et proche collaborateur de Hô Chi Minh, qui fut ministre de son premier gouvernement et, auparavant, en 1945, chargé par lui de recevoir le sceau impérial des mains de Bao Dai, à Huê.
Cu Huy Ha Vu, son fils, s’est fait connaître par ses déclarations retentissantes en faveur de la démocratie, connues de beaucoup grâce à Internet et à la presse étrangère. Le dissident, de formation occidentale, avait d’innombrables relations, y compris parmi les plus hauts dirigeants. De multiples interventions en sa faveur sont intervenues avant son procès, lequel a été retardé au point que l’on a même cru qu’il n’aurait pas lieu. Human Rights Watch, deux jours avant le procès, avait publié un communiqué demandant la libération immédiate du dissident. La paroisse catholique de Thai Ha (Hanoi) avait organisé deux veillées de prière aux intentions de Cu Huy Ha Vu, des veillées auxquelles les fidèles avaient participé en grand nombre.
Les échos suscités par ce procès avaient, dans la matinée du 4 avril, attiré des milliers de personnes aux abords du Tribunal populaire, rue Hai Ba Trung. Se trouvaient là de nombreux catholiques, beaucoup d’intellectuels connus, ainsi que des proches de l’accusé qui n’avaient pu entrer dans la salle d’audience ou encore des étudiants ayant délaissé l’université pour l’occasion. La police, non moins nombreuse, a essayé à plusieurs reprises et avec brutalité d’expulser la foule. Me Lê Quôc Quân, avocat, le docteur Pham Hông Son, plusieurs étudiants catholiques ont été arrêtés (2). Cela n’a pas empêché le nombre des curieux et des sympathisants de grandir pendant toute la matinée.
Le jour même du procès, l’accusé avait fait diffuser un communiqué (3) dans lequel il rejetait l’accusation de « propagande contre l’Etat socialiste » portée contre lui par le parquet populaire. Il affirmait que ses interventions et ses écrits visaient le marxisme-léninisme et non pas l’Etat de la nation vietnamienne. Des témoins ont rapporté qu’à la fin du procès, après avoir entendu le verdict du tribunal, il aurait affirmé : « Le pays et le peuple casseront ce jugement… » (4).
Dans la salle d’audience, l’épouse de l’accusé, elle-même avocate, ses avocats, deux journalistes étrangers, étaient présents. La propre sœur de Cu Huy Ha Vu s’était vu refuser l’entrée. On y voyait surtout des journalistes de la presse officielle, des policiers et certaines personnes visiblement embauchées pour jouer le rôle du public. Les débats ont été marqués par un incident majeur. Aux alentours de 11h00, après la lecture de l’acte d’accusation, au moment d’entamer l’interrogatoire, les quatre avocats de Cu Huy Ha Vu ont annoncé ensemble qu’ils mettaient un terme à leur participation au procès. Conformément à l’article 214 du Code de procédure pénale, les avocats avaient demandé que soient rendues publiques les dix pièces à conviction (des écrits critiques de Cu Huy Ha Vu) sur lesquels s’appuyait l’accusation. Le refus de la cour de donner satisfaction à cette requête (qui l’aurait obligée à faire connaître les idées politiques de l’accusé) a provoqué le départ des avocats et, semble-t-il, de la famille. Ce qui n’a pas empêché le tribunal d’achever le procès et de prononcer la sentence finale de sept ans de prison pour propagande contre l’Etat socialiste du Vietnam.
Les pièces à conviction servant de base à l’accusation, que la cour n’avait pas voulu porter à la connaissance du public, n’étaient autres que la série de textes signés du dissident, déjà parus et largement diffusés sur le réseau Internet ou dans la presse étrangère. Certains d’entre eux demandaient l’amnistie pour les militaires et fonctionnaires de l’ancien régime (avant 1975). D’autres réclamaient le pluralisme politique. Les plus célèbres de ces textes étaient deux mises en accusation directe du Premier ministre, dont l’une lui reprochant d’avoir signé le décret autorisant l’exploitation de la bauxite sur les Hauts Plateaux du Centre-Vietnam. C’est donc tout un passé d’opposant politique qui a été sanctionné par la sentence prononcée à l’issue du procès du 4 avril 2011.
En octobre dernier, les avocats du cabinet de Cu Huy Ha Vu devaient assurer la défense des six paroissiens de Côn Dâu jugés en appel par le Tribunal populaire de Da Nang (5). Mais ils n’avaient pas pu obtenir l’autorisation de plaider. Peu de temps après, le 5 novembre 2010, sous un prétexte fallacieux, Cu Huy Ha Vu avait été appréhendé dans un grand hôtel de Saigon. La presse officielle avait assez rapidement rectifié le tir et mis son arrestation en rapport avec son opposition au régime (6).