Eglises d'Asie

Jharkhand : depuis le 13 décembre 2005, des extrémistes hindous brûlent des effigies du cardinal Toppo, de son évêque auxiliaire et d’un ministre chrétien du gouvernement de l’Etat

Publié le 18/03/2010




Depuis le 13 décembre dernier, dans différents quartiers de Ranchi, capitale de l’Etat du Jharkhand, bastion des populations aborigènes, des militants du groupe extrémiste hindou, le Hindu Jagaran Manch (HJM, Front du réveil hindou), brûlent des effigies du cardinal Telesphore Placidus Toppo, archevêque de Ranchi, de son évêque auxiliaire, Mgr Vincent Barwa, et d’Enos Akka, ministre chrétien membre de la coalition gouvernementale de l’Etat. Les incidents ont débuté après que le cardinal Toppo, Mgr Barwa et Enos Akka eurent pris position contre un projet de loi anti-conversion annoncé par le ministre-président de l’Etat, Arjun Munda. Celui-ci est membre du BJP, parti nationaliste hindou, et s’est déclaré résolu à faire voter une loi visant à interdire toute “conversion forcée”.

Le cardinal Toppo, qui est également président de la Conférence épiscopale indienne (CBCI), a affirmé que l’Eglise catholique s’opposait à toute conversion frauduleuse, mais qu’une loi anti-conversion n’était pas nécessaire dans l’Etat du Jharkhand, puisque aucun cas de conversion forcée n’y avait été enregistré. Il a également souligné qu’une religion devait être librement choisie et que la Constitution de l’Union indienne garantissait la liberté religieuse. Par conséquent, “cette loi serait anticonstitutionnelle puisqu’elle entraverait la liberté de religion a-t-il précisé.

Enos Ekka, seul ministre chrétien de la coalition gouvernementale, a également pris position contre le projet de loi anti-conversion d’Arjun Munda. Son soutien à la coalition gouvernementale est essentiel au gouvernement en place : en effet, sur les 81 sièges de l’assemblée législative locale, le gouvernement ne peut compter que sur le soutien de 41 parlementaires (dont Enos Ekka). Si la voie d’Enos Ekka venait à lui faire défaut, le BJP ne disposerait plus de la majorité nécessaire pour faire voter le projet de loi anti-conversion. “Je ne soutiendrai pas le ministre-président dans ce projet de loi (.). Une personne qui se convertit au christianisme ne commet aucun crime a-t-il déclaré.

Des effigies des deux prélats catholiques et du ministre chrétien ont commencé à être brûlées, le 13 décembre dernier, par un groupe de six personnes brandissant une bannière portant le nom de Kendriya Sarna Samiti, comité regroupant les religions animistes des aborigènes. Dès le lendemain, le Kendriya Sarna Samiti ainsi que des pahan, prêtres animistes aborigènes, ont démenti toute implication dans ces incidents. “Le cardinal Toppo est tenu en haute estime parmi les communautés aborigènes, qu’elles soient chrétiennes ou sarna a souligné Anil Linda, le responsable de ce comité (1). Décrivant le cardinal comme étant “la fierté du Jharkhand et les deux prélats comme des responsables religieux qui travaillent au bien-être des aborigènes, Anil Linda s’est interrogé : “Comment pourrions-nous brûler leurs effigies ? tout en ajoutant que les groupes extrémistes hindous étaient mécontents que les aborigènes sarna et chrétiens se soient réunis pour lutter en faveur du droit des aborigènes. “Les partis hindous essaient de diviser les aborigènes chrétiens et sarna a-t-il précisé.

Répondant au démenti du groupe sarna, le HJM a déclaré qu’il continuerait de brûler les effigies jusqu’à ce que le projet de loi soit voté. Le 20 décembre dernier, alors qu’un groupe enflammait des effigies dans un autre quartier de Ranchi, un responsable du HJM a déclaré : “Les missionnaires [catholiques] convertissent les peuples aborigènes et les gens pauvres en échange de services éducatifs et de soins de santé. L’Etat du Jharkhand est devenu un champ fertile pour l’Eglise.”

Les extrémistes hindous ont commencé à brûler les effigies des prélats catholiques après la parution dans un journal d’un article rédigé par un responsable local du BJP, qui accusait les missionnaires chrétiens de vouloir transformer l’Etat du Jharkhand en “Isaland” (‘Terre de Jésus’). Il affirmait également qu’à Jonha, un village reculé, les missionnaires avaient fait construire une église et avaient converti trente et une familles aborigènes, propos qui ont été démentis par le P. Runda, prêtre responsable des catholiques de la région de Jonha : “Je ne connais aucune famille qui se soit récemment convertie a-t-il affirmé, tout en précisant que l’Eglise a toujours eu à faire face à l’opposition des groupes extrémistes hindous (2) : “Ils nous accusent de convertir les gens par la force, sans jamais donner de preuves.” Il a précisé que la mission dont il avait la charge a été fondée il y a cinquante ans et compte aujourd’hui 550 fidèles, réparties en 55 foyers. Le cardinal Toppo, lui-même issu d’un groupe aborigène de la région (3), a démenti toute conversion par la force au sein de l’Eglise catholique. Il a déclaré qu’il continuerait de prier pour ses adversaires, tout en ajoutant : “Là où l’Eglise catholique est attaquée, surgit toujours une nouvelle force.”

Créée par une division en 2000 de l’Etat de Bihar, la région correspondant à l’Etat de Jharkhand a une longue histoire de violences à l’encontre des catholiques. Dans les années 1960, un jésuite, le P. A. Goveas, avait trouvé la mort en tentant de séparer des émeutiers musulmans et hindous. En 1994, le P. Lawrence Kujur était mortellement poignardé, le P. Joseph Dungdung décapité et un séminariste, Anup Amar Indwar, scalpé. En 1997, le corps décapité du jésuite Anchanickal T. Thomas était retrouvé dans une forêt du Bihar. Le 6 septembre 2001, dans le Jharkhand, des rebelles maoïstes avaient abattu le P. John Baptist Crasta et son chauffeur, action au cours de laquelle une religieuse et un laïc avaient échappé à la mort en s’enfuyant au prix de plusieurs blessures.