Eglises d'Asie

La « boite à bébé » du pasteur Lee Jong-rak menacée de fermeture

Publié le 27/06/2013




Le Réverend Lee Jong-rak, à la tête de l’Eglise protestante de la Jusarang Community située dans la banlieue de Séoul, n’a jamais oublié le jour où il a découvert le premier bébé déposé dans sa « boîte à bébé ». C’était en mars 2010. « Lorsque j’ai vu ce nourrisson enveloppé dans une serviette sale, je me suis effondré en larmes, et toute la communauté avec moi », rapporte-t-il. 

Le Rév. Lee a installé la première – et l’unique – « boite à bébé » de toute la Corée du Sud dans le mur de son église en octobre 2009, après qu’une personne inconnue eut déposé un bébé devant la porte de son lieu de culte. Le nourrisson était mort de froid lorsqu’il a été découvert.

« Je me suis dit qu’il fallait un endroit où les enfants abandonnés puissent être à l’abri, (…) puis j’ai entendu parlé d’un hôpital tchèque qui avait mis en place une « boite à bébé », alors j’ai décidé de faire la même chose » (1), rapporte-t-il à l’agence Ucanews le 26 juin 2013.

La « boite » du Rév. Lee est chauffée, alimentée en oxygène et en lumière douce. L’une des deux portes donne sur la rue, l’autre sur l’église, et une sonnerie alerte l’équipe de veille dès qu’un bébé a été déposé. Depuis sa mise en place en 2009, la boîte à bébé a recueilli 231 nourrissons, dont 50 ont retrouvé depuis leurs parents biologiques.

La très grande majorité des enfants abandonnés aux bons soins du Rév. Lee souffrent d’un handicap, qu’il soit physique ou mental. En Corée du Sud, où l’apparence physique est un gage de réussite, explique le pasteur protestant, l’enfant handicapé est considéré comme une honte et une tare.

Dès qu’un nourrisson est déposé dans la boîte de l’église du Rév. Lee, la communauté le déclare au commissariat et le garde quelques jours avant qu’un délégué de la Santé publique ne vienne l’emmener pour un check-up médical. L’enfant sera ensuite, selon les cas, placé dans un orphelinat ou dans un établissement pour handicapés, ou encore (et c’est le cas le plus fréquent) recueilli par « l’orphelinat de la baby box », dirigé par le pasteur lui-même et son épouse, qui ont eux-mêmes adopté dix de ces nourrissons et enfants abandonnés. Vivent actuellement dans ce centre privé pour enfants handicapés, soutenu financièrement de façon intermittente par quelques donateurs, une vingtaine de pensionnaires âgés de quelques mois à 26 ans.

« Ceci est destiné à protéger la vie », est-il inscrit à côté de la boite placée dans le mur. « Si vous ne pouvez prendre soin de votre bébé handicapé, ne le rejetez pas ou ne l’abandonnez pas dans la rue ; placez-le ici. »

Cette attention toute spécifique apportée aux enfants handicapés, le Rév. Lee la tient de son histoire personnelle. Son fils, qui vit toujours avec eux, est tétraplégique et muet. Né avec un grave handicap il y a plus de 25 ans, on ne lui donnait à l’époque que quelques mois à vivre, rapporte le Los Angeles Times venu enquêter en juin 2011, sur cet homme étrange qui recueille les bébés dont personne ne veut.

« Tous ces enfants sont discriminés dès leur naissance », se désole le pasteur sud-coréen. A la discrimination sociale, s’ajoute en effet depuis peu une discrimination juridique depuis le vote, en août 2012, d’une loi stipulant qu’un enfant ne peut être adopté si sa naissance n’a pas été déclarée officiellement par ses parents.

Cette loi avait été promulguée afin de faire échec au trafic des nourrissons (revendus à des parents adoptifs peu regardants) et pour permettre aux enfants adoptés de connaître, voire de retrouver, leurs parents biologiques. Malheureusement, le revers de la médaille de ce texte législatif a été la hausse significative du nombre de bébés abandonnés, dont certains ont trouvé le chemin de l’abri du Rév. Lee. « Avant, nous trouvions environ deux nourrissons par mois dans la boite, rapporte le pasteur, mais depuis le passage de la loi, le nombre est monté une quinzaine, voire plus. ».

Expliquant que « la plupart des mères [qui abandonnent leurs bébés] sont célibataires et effrayées à l’idée de déclarer le bébé sous leur nom », le Rév. Lee précise que la loi de 2012 leur interdit désormais « de déposer leur enfant de façon anonyme dans un centre d’adoption, comme cela se faisait auparavant ».

Selon lui, la solution serait de changer radicalement les mentalités, et notamment la stigmatisation dont sont l’objet les filles-mères, mises au ban de la société. « Elles doivent faire face à une forte discrimination et il n’y a aucune infrastructure pour les aider à élever leur enfant. Comment voulez-vous qu’elles le déclarent ?, ajoute-t-il. Il faut commencer par amender la loi et prévoir de leur accorder une vraie aide matérielle. »

Dans ce contexte, la « boite à bébé » est la cible de nombreuses critiques, en particulier depuis que les Nations Unies ont lancé un avertissement sévère en juin 2012 aux pays utilisant ce système, arguant du fait qu’il contrevenait au droit des enfants à connaître l’identité de leurs parents biologiques (sauf pour les Etats où l’accouchement sous X est autorisé).

En mai dernier, le ministre de la Santé sud-coréen a notifié par courrier au Rév. Lee l’ordre de fermer la boite à bébé, déclenchant une polémique largement reprise dans les médias. Selon la loi du pays, le procédé mis en place par le pasteur « encourage l’abandon d’enfant », un crime punissable de deux ans de prison. Mais ces accusations d’« activités illicites » ne semblent pas atteindre le pasteur. « Comment pourrait-il être illégal de sauver une vie humaine ? », interroge-t-il, décidé, « quoi qu’il arrive, à ne pas arrêter de recueillir des bébés abandonnés ».

Tout proche de Séoul, une controverse similaire a éclaté il y a peu au Japon, concernant une boite à bébé, mise en place dans un hôpital catholique. Le « berceau des cigognes », installé dans le mur d’un hôpital de Kumamoto, est lui aussi l’unique baby box du pays. Depuis 2007, date où elle a été installée, la boite a recueilli près d’une centaine de nourrissons, soit un nombre six fois inférieur à celle de Séoul.

Les mêmes raisons qu’en Corée du Sud sont invoquées par les détracteurs de l’initiative du Dr Hasuda Taji, catholique et directeur de l’hôpital Jikei : l’accouchement sous X n’est pas reconnu par la loi au Japon et l’abandon d’enfant est puni de cinq ans de prison.

Le dilemme là aussi reste le même : selon le législateur, ce dispositif prive les enfants adoptés de la possibilité de connaître leurs parents biologiques, mais, selon les équipes recueillant les nourrissons abandonnés, il permet avant tout de leur sauver la vie. « Le droit à connaître ses origines est certes important, mais il demeure que des enfants seraient morts ou auraient été abandonnés sans soins en l’absence d’une telle ‘boîte à bébé’ », explique Tajiri Yukiko, responsable du service des infirmières à l’hôpital catholique.

En revanche, la différence notable entre la boite à bébé japonaise et son homologue sud-coréenne réside dans le fait que tout y est fait pour dissuader les parents de déposer l’enfant de façon anonyme. L’hôpital Jikei rapporte ainsi que sur les 81 bébés déposés ces cinq dernières années, les parents de 67 d’entre eux ont laissé leurs coordonnées.

Pour la Corée du Sud comme pour le Japon, deux pays qui partagent le fait d’exercer une forte pression sociale visant à dissuader les filles-mères de garder leur bébé, et qui l’un comme l’autre connaissent à la fois l’un des taux d’avortement les plus élevés du monde et une natalité par ailleurs très déprimée, la boite à bébé semble représenter une alternative que les pouvoirs publics n’ont apparemment pas su mettre en place.

Lorsqu’on l’interroge sur l’avenir, le Rév. Lee répond qu’il « prie chaque jour pour qu’il n’y ait plus jamais de bébés abandonnés dans son pays » et que son seul souhait est que l’on n’ait plus jamais besoin de sa « baby box ».