Eglises d'Asie

Uttarakhand : alors que le bilan s’alourdit, l’Eglise catholique vient au secours des villages isolés

Publié le 02/07/2013




Les opérations de secours se poursuivent dans l’Uttarakhand (ex-Uttaranchal), l’Etat le plus touché par les pluies de mousson torrentielles qui ont débuté le 15 juin dernier en Inde, provoquant des inondations dévastatrices dans la région himalayenne, et bloquant des milliers d’habitants, pèlerins et touristes, nombreux à cette période de l’année.

Ce lundi 1er juillet, les fortes précipitations entravaient encore le sauvetage d’un millier de personnes bloquées à Badrinath, dans le district de Chamoli.

Depuis quinze jours, différents corps de l’armée indienne (1), les équipes de secours des ONG et les volontaires de la Caritas catholique tentent de secourir les victimes des pluies diluviennes qui se sont abattues dans cet Etat du nord de l’Inde, appelé « Terre des dieux » en référence aux nombreux sites sacrés et lieux de pèlerinage hindous qu’il abrite. La région est aujourd’hui largement dévastée, que ce soit par les flots des fleuves en crue ou les glissements de terrain.

Depuis dimanche dernier, les hélicoptères de l’armée indienne ont commencé à ralentir leur va-et-vient autour de la ville sainte de Kedarnath, site le plus sinistré, pour se concentrer désormais sur Badrinath et Harsil où quelque 3 000 personnes attendent toujours d’être secourues. Selon l’Indian Air Force, une soixantaine d’hélicoptères se sont relayés sans répit ces quinze derniers jours, pour évacuer plus de 100 00 personnes, essentiellement des pèlerins. Sur les 1 800 vols effectués, l’un d’eux s’est soldé par un crash mardi 25 juin, tuant les 20 sauveteurs présents à bord. L’hélicoptère transportait du bois pour les bûchers funéraires des victimes des inondations, les crémations de masse devant débuter le lendemain, mercredi.

Car la principale préoccupation aujourd’hui des organismes de secours est de prévenir la survenue d’épidémies, majorée par la présence des cadavres en putréfaction coincés sous les débris des glissements de terrain ou surnageant dans les rivières, parfois à des kilomètres en aval des sites touchés par la catastrophe. Sur ordre des autorités sanitaires, des produits désinfectants ont été vaporisés par l’armée de l’air « afin d’empêcher la propagation de maladies transmissibles par l’eau ».

Toujours dans un but sanitaire, des crémations de masse selon les rites hindous ont été ordonnées à Kedarnath, une opération qui est loin d’être achevée, les conditions météorologiques n’ayant rendu possible jusqu’à présent qu’une trentaine d’incinération, alors que des centaines de cadavres en décomposition s’entassent non loin des bûchers funéraires noyés sous des trombes d’eau.

Au fil des recherches menées par les équipes de secours, le bilan des morts s’est considérablement aloudi. Estimé à un millier de personnes il y a moins d’une semaine, puis à près de 5 000 victimes, il est à ce jour considéré que 10 000 personnes pourraient avoir été tuées dans la catastrophe, sans compter les disparus dont le chiffre s’élèverait à plus de 6 000.

Le bilan exact des morts risque de rester inconnu, a déclaré hier à l’agence PTI, le chef du gouvernement de l’Uttarakhand, Vijay Bahuguna, ajoutant que le nombre des corps retrouvés restait le seul indicateur fiable (à ce jour 822 cadavres pour la seule vallée de Kedarnath).

Les rivières en crue ont emporté des milliers de maisons, d’immeubles, de temples, voire des villages entiers (en particulier dans les districts d’Uttarkashi, de Chamoli et de Rudraprayag ), ainsi que détruit plus de 1 000 ponts et des routes menant à des sites de pèlerinage situés en altitude. Selon le porte-parole du gouvernement de l’Etat, cité dans The Times of India du 28 juin, « il faudra des années pour restaurer les infrastructures de cette région himalayenne ».

Mais alors que les médias (2) et les autorités de l’Uttarakhand annoncent déjà triomphalement le déblaiement des routes principales et « l’achèvement du processus de sauvetage », l’Eglise catholique, qui dès les premières heures de la catastrophe était en première ligne pour le secours aux victimes, affirme tout au contraire que la première phase d’urgence est loin d’être terminée et que « la situation s’aggrave en raison des intempéries qui se poursuivent ». Elle s’inquiète surtout de « l’indifférence du gouvernement pour les habitants des villages éloignés auxquels aucune aide n’a été apportée », l’attention des médias et des autorités s’étant centrée uniquement sur les grands centres de pèlerinage et les lieux touristiques.

Le 25 juin dernier, Mgr John Vadakel, évêque de Bijnor, dont le diocèse est situé sur la zone, déplorait déjà auprès de l’agence Catholic News Service que « personne ne sache ce qui est arrivé aux villages situés dans des zones difficiles d’accès ».

Les quelques bâtiments d’Eglise (écoles, centre pastoral, etc.) de la région ont été reconvertis en centres de soins pour les victimes et malgré le peu de présence de l’Eglise dans ces régions isolées, les 70 prêtres, les religieuses et de nombreux volontaires du diocèse ont été mobilisés pour porter secours aux « habitants de l’Etat oubliés par leur propre gouvernement »

Ces derniers jours, les cas de dysenterie ayant augmenté parmi les rescapés, la Caritas, qui craint une épidémie de choléra, a demandé l’aide de la Catholic Health Association of India, laquelle a envoyé des volontaires pour aider à prévenir la propagation des maladies et monté des équipes médicales, qui n’attendent que la permission de l’Etat pour pénétrer dans les zones sinistrées.

De son côté, la Conférence des évêques catholiques de l’Inde (CBCI) a exprimé dès le 21 juin sa solidarité aux victimes par un communiqué et envoyé des aides alimentaire et d’urgence. Le cardinal Oswald Gracias, président de la CBCI et archevêque de Bombay (Mumbai), a appelé jeudi 27 juin tous les chrétiens à « venir au secours des victimes de l’‘Himalayan tsunami’ par la prière » mais aussi par « leur contribution généreuse pour la Caritas » qui a déjà épuisé ses fonds d’urgence. Dès le lendemain 28 juin, rapporte l’agence AsiaNews, les catholiques de Bombay commençaient une neuvaine pour les sinistrés de l’Uttarakhand et lançaient une collecte générale.

Dans toute l’Inde, et bien que nombre d’entre eux aient subi également un début de mousson meurtrier, les diocèses ont répondu présent à l’appel de la CBCI. Parmi eux, l’archevêché de Goa a demandé à « chaque prêtre, chaque responsable d’institution religieuse ou d’éducation de faire connaître la circulaire de la CBCI la plus largement possible ». La Conférence des supérieurs majeurs, qui a également publié une déclaration de soutien aux victimes, a envoyé des secours logistique et financiers en urgence.

Alors que l’Eglise se porte au secours des victimes oubliées de la catastrophe, des critiques commencent à se faire entendre sur la mise en place tardive des secours et leur mauvaise coordination. Les différents départements d’Etat se rejettent aujourd’hui mutuellement la responsabilité du déclanchement tardif de l’alerte et du chaos qui a accompagné les interventions de sauvetage.

Selon la chaîne de télévision indienne NDTV, les autorités de l’Uttarakhand auraient été prévenues dès le 14 juin des risques de très fortes pluies et auraient dû faire évacuer les sanctuaires lorsqu’il était encore temps. De son côté, le centre de gestion des catastrophes du l’Etat himalayen assure n’avoir reçu que les bulletins météorologiques habituels et n’avoir obtenu aucune collaboration du centre fédéral d’imagerie par satellite qui n’aurait envoyé ses relevés que trop tardivement.

Les familles des victimes, de leur côté, dénoncent une « réponse inadéquate » du gouvernement. Mercredi 26 juin, les proches des centaines de personnes portées disparus ont manifesté à Rishikesh, dénonçant le fait que « de nombreuses vies auraient pu être sauvées si le gouvernement avait apporté son aide à temps ». Un reproche qui n’est pas complètement nié par les autorités : « Il n’y avait aucun plan de secours en cas de catastrophe naturelle : c’est une vraie faillite du système », a avoué au quotidien The Hindu, sous le sceau de l’anonymat, l’un des membres du Département de gestion des calamités naturelles de l’Uttarakhand.

Certains rescapés ont par ailleurs porté plainte pour abus sexuel (dont des viols) et vol de leurs biens durant les opérations de sauvetage de ces dix derniers jours. Le gouvernement a fait savoir qu’il enquêterait sur les faits, après avoir recensé toutes les plaintes.