Eglises d'Asie

Luang Prabang : le témoignage silencieux des Soeurs de la Charité

Publié le 12/04/2013




Sr Marie-Bruno est l’une des rares religieuses autorisées à résider dans le Nord du Laos, une région où la vie chrétienne est particulièrement difficile et le prosélytisme interdit. Sa présence, ainsi que celle de deux autres religieuses, y est tolérée en raison de son action éducative et sociale auprès des déshérités et des handicapés.

« Mon témoignage, c’est d’être une présence, pas davantage. Avec les autres soeurs qui vivent dans le Nord avec moi, nous devons faire très attention à respecter la loi et à ne pas parler de notre foi », a expliqué à Eglises d’Asie la religieuse laotienne lors de son passage à Paris à l’invitation de l’Aide à l’Eglise en Détresse pour « la nuit des témoins » ce 12 avril 2013.

Née en 1947, Sr Marie-Bruno est issue d’une famille bouddhiste et animiste convertie au catholicisme. Avec deux autres religieuses de sa congrégation des Sœurs de la Charité de Sainte Jeanne A. Thouret (1), elle s’occupe depuis cinq ans d’une école gouvernementale accueillant une cinquantaine de sourds-muets à Luang Prabang.

Depuis l’arrivée au pouvoir des communistes en 1975 et l’expulsion des missionnaires du pays, la minorité chrétienne est sous surveillance étroite et la pratique religieuse, les déplacements des membres du clergé ou la construction de lieux de culte toujours soumis aux autorisations gouvernementales. Bien que la liberté religieuse soit inscrite dans la Constitution du pays, les autorités de chacune des provinces du Laos restent libres de l’appliquer ou non sur leur territoire. Il en résulte des vagues de répression antichrétiennes dans tout le pays, avec une censure religieuse encore plus marquée dans le Nord, en particulier dans le vicariat de Luang Prabang (2), où l’administrateur apostolique, Mgr Tito Banchong Thopanhong, est le seul prêtre pour tout le territoire (3) et où l’unique église sert de local à la police.

L’évêque, qui a déjà passé plusieurs années en prison où il a été torturé, n’a toujours pas l’autorisation de résider sur sa juridiction, et ne peut y faire que de brèves visites, toujours soumise à l’accord des autorités. La situation dans le vicariat s’est aggravée, semble-t-il, depuis la répression en avril 2011 des mouvements de protestation des Hmongs réclamant la liberté religieuse et la fin des spoliations de terrain, dans la région frontalière avec le Vietnam.

« Dans le nord, la situation est particulièrement difficile pour les catholiques », confirme Sr Marie-Bruno. « Toutes les manifestations extérieures de foi sont interdites : les lieux de culte, les croix, les images, les textes, mais aussi les paroles ou les gestes qui pourraient être interprétés comme du prosélytisme », explique encore la religieuse, laquelle continue néanmoins de porter l’habit de sa congrégation. « Cela va faire cinq ans que nous sommes ici à la demande du nonce apostolique mais aussi du gouvernement. Nous nous occupons de ces enfants avec tout le soin, l’attention et l’amour que nous pouvons leur offrir mais nous n’avons pas le droit de leur donner une éducation religieuse. »

L’école, fruit d’une collaboration de plusieurs années entre Mgr Salvatore Pennacchio, délégué apostolique pour le Laos, et les autorités locales, est un établissement d’Etat. Sachant que le moindre faux pas pourrait réduire à néant tous les efforts accomplis jusqu’ici, les Soeurs de la Charité de Luang Parbang font preuve de la plus grande prudence et se conforment scrupuleusement aux directives des autorités.

Sr Marie-Bruno aime à rappeler que les conditions dans lesquelles a été fondée sa congrégation en France – en pleine tourmente révolutionnaire – ont beaucoup de ressemblance avec celles qui entourent la vie qu’elle et ses soeurs menent aujourd’hui au Laos. Comme leur fondatrice, Jeanne-Antide Thouret, elles ont dû réinventer une forme de vie religieuse discrète, mais toujours au service des pauvres, et souvent à la demande des autorités mêmes qui leur avaient interdit la pratique de leur foi quelques années auparavant. C’est à ce prix, souligne-t-elle, que les Soeurs de la Charité, comme bon nombre d’autres congrégations encore présentes au Laos, ont pu, en l’absence quasi complète de clergé, maintenir une présence chrétienne, notamment dans les villages éloignés.

La Luang Prabang Educational School for Disabled Children, ouverte officiellement en mai 2009, compte aujourd’hui une cinquantaine de filles et de garçons, encadrés par huit enseignants. Issus essentiellement des ethnies minoritaires – en particulier des Hmongs –, les enfants sont pensionnaires et totalement pris en charge par les religieuses et les professeurs qui leur enseignent dès leur arrivée les principes d’éducation de base et les règles d’hygiène élémentaires, dont l’ignorance est bien souvent à l’origine de la forte mortalité maternelle et infantile dans la région. Toujours dans le but de responsabiliser le plus possible les enfants, l’école fonctionne selon des principes d’auto-suffisance économique ; les élèves apprennent ainsi à entretenir le potager, le verger, mais aussi une petite ferme qui compte quelques cochons.

Les Soeurs de la Charité de Luang Prabang prévoient de développer d’autres projets, notamment en donnant aux femmes des minorités ethniques les moyens de subvenir à leurs besoins. Une école technique est également en cours de construction, qui devrait accueillir des élèves sourds et muets ainsi que des jeunes valides issus d’ethnies minoritaires ou défavorisées, ayant fini leur cursus scolaire (équivalent de la 3ème). Dans cet établissement d’apprentissage, ils pourront se spécialiser dans un métier qui leur permettra de s’intégrer dans la société laotienne où ils sont encore très fortement marginalisés. Sont prévus des cours de couture, de coiffure, de cuisine, de pâtisserie, de tissage, de menuiserie et aussi de ferronnerie.