Eglises d'Asie – Inde
Orissa : sept chrétiens toujours emprisonnés sans jugement depuis 2008
Publié le 06/05/2013
Pour les sept chrétiens de confession protestante qui attendent depuis plus de quatre ans et demi en prison que s’ouvre enfin leur procès, ce énième report anéantit tous leurs espoirs de pouvoir dans un avenir proche se justifier des fausses accusations qui ont conduit à leur arrestation dans les mois qui ont suivi l’assassinat du leader du Vishva Hindu Parishad (VHP) en août 2008.
Bien que les maoïstes aient revendiqué dès le début le meurtre du swami Saraswati Laxmanananda, à la suite duquel ont été déclenchés des pogroms antichrétiens qui ont rapidement gagné toute une partie de l’Inde (1), les sept chrétiens emprisonnés sans jugement et sur faux témoignage n’ont en effet toujours pas été entendus et voient leurs auditions annulées à chaque fois à la dernière minute.
Le Fr. Markose, religieux catholique montfortain, qui assure leur défense, rapporte que les accusés ont dû se rendre au tribunal à plusieurs reprises ces derniers mois, pour apprendre une fois sur place que le juge était absent et l’audience annulée, avant d’être ramenés en prison. « Ce procès est une parodie de justice où les victimes sont accusées, les témoins menacés et les coupables libérés », résume Sajan George, président du Global Council of Indian Christians (GCIC), qui soutient, aux côtés des Eglise locales, les chrétiens détenus et leurs familles. Les sept accusés sont des adivasis (aborigènes) originaires des villages de Kotagad, au Kandhamal.
Bijay Kr Sanseth, membre de l’Eglise baptiste, s’était réfugié dans la jungle avec sa famille au plus fort des pogroms. Dès son retour au village, il avait commencé à être convoqué régulièrement au poste de police puis, le 13 décembre 2008, soudainement jeté en prison pour meurtre. Les policiers ont prétendu l’avoir capturé dans la jungle. Contraint de chercher du travail, l’aîné de ses enfants, âgé de 15 ans, n’a pas pu achever ses études.
Gornath Chalanseth a lui aussi été convoqué le 13 décembre 2008 au poste de police où il a été immédiatement emprisonné. Comme Bijay, il a été accusé de meurtre et de « s’être caché dans la jungle ». Sa femme doit aujourd’hui subvenir seule aux besoins de ses enfants, dont deux en bas âge.
Sanatan Badmajhi a été arrêté quant à lui la nuit du 4 octobre 2008 à son domicile, sans aucune explication des forces de l’ordre venues l’appréhender. Depuis, son épouse Badusi, qui élève seule ses quatre enfants, travaille à la journée dans les exploitations agricoles.
C’est le 4 octobre également que Durjo Sunamajhi, a été réveillé en pleine nuit par la police qui a fracturé la porte de son domicile et l’a emmené avec violence. Il a cinq enfants dont l’aîné, âgé de 8 ans, a dû prendre un travail pour aider sa mère à nourrir les plus jeunes, tout en essayant de continuer l’école le soir.
Munda Badmajhi a lui aussi été arrêté une nuit d’octobre 2008, à son domicile, sans savoir non plus ce dont il était accusé. Son fils aîné, âgé de 10 ans, a dû quitter l’école après les événements et se mettre à travailler.
Quant à Budhadeb Nayak, il s’est retrouvé pieds et poings liés après une descente de police nocturne à son domicile et jeté en prison sans autre forme de procès. Si ses deux aînés sont mariés (l’un est pasteur), il a encore cinq autres enfants en bas âge.
Quelques jours avant Noël, Bhaskar Sunamajhi, vigile dans son village, jouait aux cartes avec ses amis, lorsque la police avec laquelle il travaillait pour assurer la sécurité du voisinage, est venue l’arrêter pour meurtre. Depuis, son fils de 6 ans a dû arrêter l’école pour travailler.
Selon l’agence AsiaNews, une prochaine audience pourrait avoir lieu le 22 mai prochain. Mais, depuis la dernière audition prévue le 1er avril dernier, le dossier a été transmis par ordre du juge A. S. Naidu, à une cour de justice de « fonctionnement normal », le délai imparti aux tribunaux spéciaux institués pour traiter en urgence les violences de 2008 (Fast Track Courts) expirant… ce même 1er avril 2013.
Pour le GCIC, il ne fait aucun doute que le juge Naidu, ancien membre de la Haute Cour de l’Orissa, qui a repris le dossier en octobre 2012 suite à la démission du juge S. C. Mohapatra pour raisons de santé, a volontairement fait trainer l’affaire des sept chrétiens pour que le délai soit dépassé.
Depuis l’établissement de ces cours spéciales de justice, de nombreux rapports d’enquêtes d’ONG et d’instances internationales ont montré du doigt les dysfonctionnements des procédures, le parti pris des magistrats, souvent eux-mêmes impliqués dans les affaires traitées, et la corruption des fonctionnaires, de la police comme des autorités locales.
Le 5 mars dernier, trois hindouistes soupçonnés d’avoir brûlé vif un handicapé ont été acquittés par cette même commission Naidu, faute de preuves, ravivant le sentiment d’injustice et d’impunité que ressent la population chrétienne du district du Kandhamal pour laquelle « la situation n’est jamais revenue à la normale ».
Selon Sajan K . George, la violence qui persiste au Kandhamal, où les assassinats de chrétiens, les menaces, les conversions forcées et les expulsions illégales sont monnaie courante, est la conséquence de l’impunité dont ont bénéficiée les auteurs des pogroms de 2008. « La forte proportion d’acquittements et le faible taux de mise en accusation pour les massacres de 2008 ont encouragé les extrémistes hindous (…), qui ont constaté leur totale impunité et se sont donc senti autorisés à continuer de menacer et de persécuter la minorité chrétienne », explique-t-il.
Cependant, l’enquête sur la mort du swami Saraswati Laxmanananda se poursuit sans que les sept accusés aient encore été entendus : début mars, le juge Naidu s’est rendu dans l’ashram du swami Saraswati et a interrogé les disciples du leader hindouiste, avant de visiter le district de Raikia, l’un des plus affectés par les violences antichrétiennes. Début avril, la commission Naidu a entendu de nouveaux témoignages de représentants du VHP, des autorités locales et de la police et s’est rendu dans le district de Gajapati pour y constater l’état des reconstructions. Aucune victime des violences ni leader chrétien n’a encore été entendu.