Eglises d'Asie

Le chrétien américain condamné à 15 ans de travaux forcés a été hospitalisé

Publié le 16/08/2013




Le ressortissant américain d’origine coréenne, Kenneth Bae, détenu depuis neuf mois dans un camp de travail de Corée du Nord, a été transféré à l’hôpital. Sa famille lance un nouvel appel pour sa libération, alors que se prolonge à son sujet le bras de fer entre Pyongyang et Washington. 

Le week-end dernier, la famille du citoyen américain d’origine coréenne Kenneth Bae (Pae Jun-ho) a révélé que ce dernier était désormais hospitalisé, sa santé s’étant profondément dégradée. « Il souffre de diabète et de problèmes cardiaques et se plaint de douleurs au foie, au dos et aux jambes. Nous sommes très inquiets pour sa santé, qui se détériore de jour en jour », ont déclaré les membres de la famille du détenu, qui vivent dans les environs de Seattle aux Etats-Unis.

Kenneth Bae, âgé de 45 ans, a été arrêté en novembre 2012 alors qu’il guidait un groupe de touristes à Rason, une ville nord-coréenne située à la frontière de la Russie et de la Chine (1). Accusé par Pyongyang d’avoir utilisé une couverture – celle de son agence de voyage organisant des séjours en Corée du Nord – pour « fomenter des troubles politiques visant à renverser le gouvernement légitime de Corée », il a été condamné en mai dernier par la Cour suprême à 15 ans de travaux forcés.

Père de trois enfants, Kenneth Bae est né en Corée du Sud. En 1985, il migre avec ses parents et sa soeur aux Etats-Unis où il obtient la citoyenneté américaine. Ces sept dernières années, il a vécu principalement en Chine et, depuis deux ans, avait commencé à organiser de petits séjours, principalement pour des Américains et des Canadiens dans la « zone économique spéciale » de Rason, plus facile d’accès.

Les raisons véritables de son arrestation, il y a neuf mois, diffèrent selon les sources : selon l’Associated Press, ce serait son attitude missionnaire chrétienne qui serait à l’origine de sa condamnation pour « subversion et crimes contre l’Etat », la Corée du Nord interdisant formellement tout prosélytisme sur son territoire. L’agence rapporte que Kenneth Bae, qui ne se cachait pas d’être un chrétien fervent, avait déjà été arrêté il y a quelques années après un « prêche » où il aurait parlé de réunification du Nord et du Sud grâce à la prière.

Le journal sud-coréen Kookmin Ilbo affirme quant à lui que l’ordinateur de la victime aurait contenu des « informations sensibles », terme elliptique désignant des textes chrétiens.

D’autres sources désignent encore son activité humanitaire comme principale raison de sa détention, Kenneth apportant, lors de ses circuits touristiques, de l’aide alimentaire à des Nord-Coréens. Le Korea Herald explique que des photos d’orphelins sous-alimentés qu’il aurait aidés, auraient été saisies par les autorités dans ses affaires personnelles.

Selon la soeur de Kenneth Bae, Terri Chung, qui a organisé une veillée de prière pour son frère à Seattle samedi 10 août, les derniers courriers du détenu sont particulièrement inquiétants : « Kenneth est très affaibli, y compris moralement, et son hospitalisation s’est faite dans des conditions de soins très minimum. » Une pétition, qui a recueillie plus de 8 000 signatures, a été lancée par le fils de Kenneth, tandis que l’ensemble de sa famille a adressé dimanche au gouvernement américain un nouvel appel au « rapatriement sanitaire et urgent » du prisonnier.

Mardi 13 août, le ministère suédois des Affaires étrangères (2) a déclaré qu’un de ses diplomates à Pyongyang avait pu rendre visite au détenu le 9 août dernier, et que ce dernier « se portait relativement bien étant donné les circonstances ». Mais selon le Choson Sinbo Online, média basé à Tokyo qui a été autorisé par le gouvernement nord-coréen à interviewer le prisonnier sur son lit d’hôpital, ce dernier aurait « perdu plus de 20 kg » et aurait supplié le gouvernement américain d’« envoyer rapidement un représentant afin d’obtenir son amnistie ».

Si Kenneth Bae est le troisième citoyen américain en moins de cinq ans à être emprisonné par le régime totalitaire, il est cependant le premier à attendre si longtemps sa libération (plus de sept mois).

Selon une tactique bien rodée, les ressortissants américains détenus par Pyongyang servent de monnaie d’échange, analyse Chang Yong Seok, spécialiste de la Corée du Nord et professeur à l’Université de Séoul. Habituellement, un personnage haut placé, envoyé par Washington, se déplace en Corée du Nord pour plaider la cause du prisonnier (3), qu’il obtient généralement en échange du retrait de sanctions économiques ou de reprise de l’aide alimentaire, explique-t-il encore.

« Cela permettrait encore une fois à la Corée du Nord de faire croire à sa population que l’existence même du régime est toujours menacée par les Etats-Unis et qu’ils sont les maîtres dans ce rapport de force », estime-t-il, y voyant la principale raison de l’inaction de Washington dans le dossier de Kenneth Bae. Pour l’analyste, la « mise en scène médiatique » autour de l’état de santé de Kenneth (jamais auparavant le régime totalitaire n’avait autorisé l’interview de ses prisonniers) ne vise qu’à exercer davantage de pression sur les Etats-Unis.

Mais la réponse de Washington ne semble pas être pour le moment celle espérée par Pyongyang. Le département d’Etat américain s’est en effet contenté de demander « la libération immédiate pour raisons humanitaires » de Kenneth Bae, sans signifier officiellement à la Corée du Nord l’envoi d’un quelconque émissaire. Tout au contraire, une rumeur au sujet d’une prochaine intervention de Jimmy Carter a été fermement démentie.

«Les Etats-Unis envoient à la Corée du Nord un message implicite signifiant qu’aucun contact informel n’aura lieu tant que le Nord n’acceptera pas leurs exigences concernant le désarmement nucléaire », affirme Lim Eul-chul, professeur à l’université sud-coréenne de Kyungnam. Selon lui, Washington ne souhaite pas céder à Pyongyang et réitérer ses précédentes expériences où les déplacements des envoyés américains n’avaient fait que renforcer la propagande du gouvernement nord-coréen.

Mais si les conditions de négociation de la libération de Kenneth paraissent plus ardues que pour ses prédécesseurs, la mise en place de pourparlers entre Pyongyang et Washington semble en revanche de plus en plus inévitable. Après des mois de tension extrême due aux provocations belliqueuses de la Corée du Nord et à ses essais nucléaires, le spectre d’une nouvelle crise alimentaire est en train de pousser la communauté internationale à intervenir en faveur de la population nord-coréenne, en dépit des sanctions prises à l’encontre de ses dirigeants. Jeudi 16 août, Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, a appelé les pays donateurs à « répondre à cette grave situation », et ce malgré « la condamnation des ambitions nucléaire de Pyongyang ».

Dans le cadre de cette mobilisation d’urgence, le département d’Etat américain a ainsi annoncé le déplacement d’ici la fin de mois de son émissaire Robert King, qui doit se rendre en Chine, en Corée du Sud et au Japon, sans préciser toutefois si la libération de Kenneth Bae sera à l’ordre du jour.

Certains observateurs espèrent également qu’une période de dégel sur la péninsule vient de d’amorcer avec l’annonce mercredi 14 août d’un accord entre Séoul et Pyongyang, après de longues négociations, sur la réouverture de la zone économique intercoréenne de Kaesung.