Eglises d'Asie

Maharashtra : l’assassinat d’un militant « anti-magie noire » précipite la mise en place d’une loi contre les superstitions

Publié le 22/08/2013




Narendra Dabholkar, qui luttait depuis des années pour la mise en place d’une loi interdisant les pratiques liées à la magie noire, a été abattu mardi 20 août par des personnes non identifiées. Face au vaste mouvement d’indignation qui a secoué tout l’Etat hier, le gouvernement du Maharashtra a annoncé que la loi de Narendra Dabholkar serait présentée en urgence au Parlement. 

Le militant a été abattu en pleine rue mardi matin 20 août, à Pune, alors qu’il sortait de son bureau. Il y dirigeait une revue hebdomadaire proche de l’Association rationaliste indienne. Selon les témoins, Narendra Dabholkar a été visé à bout portant par deux hommes qui se sont ensuite enfuis à moto. Il est décédé de ses blessures à l’hôpital.

Plusieurs partis politiques ont condamné l’assassinat et appelé à un bandh (grève générale accompagnée d’une « opération ville morte ») dès l’annonce du décès. Le ministre-président de l’Etat du Maharashtra, Prithviraj Chavan, a offert une rançon de plusieurs milliers de roupies à quiconque apporterait des informations sur les meurtriers. A Pune mais aussi à Bombay (Mumbai) ainsi que dans plusieurs villes de l’Etat, de très nombreux manifestants ont protesté contre le meurtre du militant et dénoncé le tabou pesant sur la pratique de la magie noire en Inde.

Menant depuis plus de dix ans une campagne avec son association Maharashtra Andhashraddha Nirmoolan Samiti (MANS), appelée aussi Committee for the Eradication of Blind Faith, visant à interdire les pratiques rituelles « obscurantistes et dangereuses», Narendra Dabholkar s’était attiré l’inimitié féroce des extrémistes hindous, et en particulier de l’Hindu Janajagruti Samiti (HJS), du puissant Bharatiya Janata Party (Parti du peuple indien, BJP), du Shiv Sena, mais aussi de la secte des Varkaris (1), très influente dans la région. Ces derniers lui reprochaient de vouloir détruire les traditions et les croyances hindoues en décrédibilisant les pratiques liées à la magie noire ou tantrique.

Se déclarant foncièrement « rationaliste », Dabholkhar avait abandonné sa carrière de médecin pour se consacrer à « démasquer les charlatans » qui, selon lui, abusaient de la crédulité et de l’ignorance des gens pour monnayer des pratiques magiques inefficaces, dangereuses et « malfaisantes », dont des sacrifices humains, surtout de jeunes enfants.

Il existe un important tabou en Inde sur l’existence de ces rituels, et les médias eux-mêmes hésitent à écrire sur le sujet. Il arrive cependant que quelques « faits divers » sordides fassent la Une des journaux indiens, rappelant le profond ancrage de la magie noire dans certaines régions de l’Inde et en particulier dans les zones où sont attestés de longue date la pratique de cultes tantriques liés à Shiva ou à Kali (Chhattisgarh, Maharashtra, Bengale Occidental, Orissa, Bihar, etc.). Ce fut le cas par exemple en novembre 2010 lorsqu’un « guérisseur » fut été arrêté pour pratique de la magie noire, après la découverte de plusieurs cadavres d’enfants à son domicile, portant les traces d’un rituel sacrificiel.

Persuadé que sa lutte contre la magie noire et « les pratiques superstitieuses » allait de pair avec le recul de l’ignorance, Dabholkar avait lancé des programmes de sensibilisation dans les écoles du Maharashtra, dirigeait un centre de traitement contre les addictions et avait mis en place une campagne de promotion de l’éducation des femmes.

Mais le projet phare de Narendra Dabholkar était la loi qu’il essayait vainement de faire voter par le Parlement du Maharashtra. Ce projet intitulé « Loi sur la prévention et l’éradication des sacrifices humains et autres pratiques inhumaines, malfaisantes, des Aghoris (2) et [autres adeptes] de la magie noire » (3) était en examen à l’Assemblée depuis août 2011. Il y avait été présenté pour la première fois il y a dix-huit ans et modifié plus d’une vingtaine de fois, en raison de l’opposition de différents groupes de pression hindouistes au Parlement.

« Je me bats contre des pratiques religieuses qui ont plus de 5 000 ans », avait-il déclaré à l’Indian Express peu avant son assassinat, expliquant ne pas vouloir s’opposer à la croyance en Dieu ou à la religion elle-même, mais aux « faux hommes saints » et aux sacrifices et rituels magiques « néfastes et archaïques ». « Dans l’ensemble du projet de loi, on ne trouve pas un seul mot à propos de Dieu ou la religion », avait-il également fait valoir dans une interview à l’AFP. « La Constitution indienne autorise la liberté de religion et personne ne peut revenir là-dessus, il s’agit uniquement d’interdire des pratiques qui sont le fait de charlatans. »

Narendra Dabholkar avait été l’objet de plusieurs menaces de mort de la part d’organisations hindouistes. L’un des militants du MANS, proche du leader assassiné, rapporte à CBC NEWS ce 22 août qu’une organisation hindouiste de l’Etat avait déclaré qu’ils allaient « faire de Dabholkar un Gandhi », ce qui signifiait « qu’ils avaient décidé de le tuer ». Selon ce membre actif de l’organisation du rationaliste, les hindouistes « craignaient son influence grandissante dans les réseaux d’éducation où ils avaient auparavant beaucoup de pouvoir ».

Toujours selon le militant, des villageois du Maharashtra avaient été récemment convaincus par un « charlatan de sacrifier des enfants pour apaiser les dieux ». Narendra Dhabolkar, qui avait essayé de les en empêcher, avait été ensuite menacé de mort par les hindouistes. « Si vous ne pouvez pas vous battre, pensée contre pensée, raisonnement contre raisonnement, alors il ne vous reste plus qu’une arme : tuer », conclut le membre du MANS. « Mais, ajoute-t-il, cela ne pourra arrêter le progrès qui a été mis en marche. »

Le combat que menait Narendra Dhabolkar ne semble en effet pas avoir été vain puisque le lendemain même de son assassinat, et à l’issue des manifestations houleuses de la journée, le ministre-président de l’Etat a signé une ordonnance, le mercredi 21 août dans la soirée, afin de promulguer le projet de loi « anti-superstition » du militant. Le texte n’attend plus que la validation du gouverneur pour être présenté au vote définitif de l’Assemblée, annonce le Times of India de ce 22 août.

Si le projet est définitivement adopté, il sera, dans une Union indienne qui connait beaucoup de lois anti-conversion, la première à sanctionner les « pratiques superstitieuses et la magie noire ».