Eglises d'Asie

L’Eglise catholique célèbre les premiers liens entre la France et la Mongolie initiés par le roi Saint Louis

Publié le 23/08/2013




Dimanche 25 août prochain, la petite communauté catholique de Mongolie organise une célébration en français à la cathédrale Saint-Pierre-Saint Paul d’Oulan Bator. Cette messe, à laquelle sont invités tous les membres de la communauté française (un peu plus d’une centaine) et francophone, commémorera les liens très anciens qui lient depuis le XIIIe siècle la Mongolie à la France 

C’est un fait peu connu. Des siècles avant l’installation, récente, d’une représentation permanente de la France à Oulan-Bator, des relations franco-mongoles avaient été initiées par le roi Louis IX. Aucun ambassadeur de l’Occident chrétien n’avait auparavant pénétré dans les steppes tartares où Marco Polo ne s’aventurera que quelques dizaines d’années plus tard.

La première ambassade de Louis IX partit en 1249, menée par le dominicain André de Longjumeau. Le roi de France était alors à Chypre, d’où il dirigeait la Septième croisade : il recherchait une aide militaire pour « délivrer Jérusalem des Sarrasins », mais espérait également pouvoir reprendre le projet avorté du pape Innocent IV après l’échec de ses deux ambassades successives (1244-1245) de convertir le Grand Khan (1).

Après avoir fait trembler l’Occident avec leurs hordes conduites par Őgödei, fils de Gengis Khan, les Mongols s’étaient repliés en Asie centrale et ne semblaient plus constituer une menace. Dans le contexte géopolitique de l’Europe du milieu du XIIIe siècle, la puissance militaire des Mongols semblait seule capable de faire vaciller le monde islamique. Plusieurs territoires auparavant sous domination musulmane venaient de tomber entre leurs mains, comme le califat de Bagdad. Une alliance franco-mongole semblait une hypothèse séduisante, d’autant plus que les ambassades manquées d’Innocent IV avaient permis d’attester que des chrétiens nestoriens (2) occupaient de hautes fonctions à la cour de l’empereur mongol, lequel jouissait d’une réputation de tolérance religieuse.

Lorsque la mission du roi franc arriva en Mongolie, le Khan Güyük, fils d’ Őgödei, venait de mourir. Sa veuve, la régente Oghul Qaïmich, reçut les présents du roi, dont des reliques de la vraie croix, et remit de magnifiques cadeaux en échange aux envoyés francs, accompagnés cependant de déclarations hautaines où elle déclarait accepter Louis IX comme son vassal. Pour certains historiens, l’envoi de cadeaux de valeur par le roi avait été interprété comme un tribut de soumission.

Peu après le retour d’André de Longjumeau, Louis IX, qui venait d’être libéré contre rançon (il avait été fait prisonnier entre temps en Palestine), décide d’envoyer une nouvelle ambassade. Mais il confie celle-ci à l’un de ses amis proches, le franciscain Guillaume de Rubrouck, originaire des Flandres françaises. Outre un admirable récit (Voyage dans l’empire Mongol), peu connu mais d’un caractère historique et ethnographique exceptionnel, cette deuxième délégation franque eut pour résultat d’établir de véritables – et premiers – liens avec le peuple mongol.

Parti de Constantinople en 1253 et accompagné du dominicain Barthélémy de Crémone, Guillaume de Rubrouck est introduit auprès du grand Khan Möngke (Mangu), petit-fils de Gengis Khan, dont l’une des filles est chrétienne. Ce dernier leur fait bon accueil et les autorise à entrer dans la capitale Karakorum, où ils seront, en 1254, les premiers missionnaires chrétiens occidentaux à pénétrer.

Le rapport du franciscain, très complet, décrit avec précision la géographie de la Mongolie, mais aussi les mœurs de ses habitants et son paysage religieux, signalant à Karakorum la présence de deux mosquées musulmanes, d’une église nestorienne, de douze temples bouddhiques. Les nestoriens sont en revanche jugés sévèrement par le franciscain, qui rapporte que ces chrétiens qui exercent souvent de hautes fonctions à la cour (dans les chancelleries et les tribunaux, en tant que ministres ou précepteurs des enfants royaux) se montrent généralement « cupides, corrompus et dépravés ».

Entre autres épisodes de son périple qui dura 25 mois, Guillaume rapporte une séance de « controverse publique » qui fut organisée par l’empereur entre « musulmans, idolâtres, bouddhistes et chrétiens ». Ce débat fut apparemment remporté haut la main par le franciscain, notamment face à son adversaire bouddhiste, un érudit venu de Chine. Mais aucune conversion ne suivra, note avec tristesse le missionnaire qui constate alors l’échec de sa mission d’évangélisation. Le lendemain, il est convoqué par Möngke qui lui déclare : « Comme Dieu a donné à la main plusieurs doigts, Il a donné aux hommes plusieurs voies. Dieu vous a fait connaître les Ecritures saintes, et vous autres chrétiens vous ne les observez pas… A nous, Il a donné des devins-guérisseurs. Nous faisons ce qu’ils disent et nous vivons en paix…»

L’empereur donne alors congé aux émissaires et l’ambassade repart pour St Jean d’Acre, où Guillaume de Rubrouck remet son rapport au roi. Si l’alliance projetée entre les chrétiens d’Occident et les Mongols ne se fera pas, il en restera l’établissement de liens diplomatiques et courtois qui se poursuivront jusqu’au règne de Philippe le Bel. S’ensuivra une longue période où les liens se feront de plus en plus ténus jusqu’à la reconnaissance de la Mongolie par la France en 1965 et l’ouverture d’une ambassade à Oulan Bator en 1966.

Depuis la révolution démocratique de 1990, les relations franco-mongoles se sont nettement développées, culturellement mais aussi économiquement avec l’implantation de plusieurs entreprises françaises. L’Eglise catholique renaît également depuis l’arrivée en 1992 des premiers missionnaires philippins de la Congrégation du Cœur Immaculé de Marie (CICM). Venus reconstruire une communauté chrétienne sur les lieux où, soixante-dix ans plus tôt, la même congrégation avait créé une mission sui juris, entièrement balayée par l’avènement du communisme, ils fêtent actuellement les vingt ans de leur existence et le développement d’une communauté forte de six paroisses et d’un nombre croissant de baptisés.

Rédigé en latin, et traduit tardivement en français (au XIXe s.), le récit du Frère de Rubrouck, unique témoignage de ces liens passés, « est aujourd’hui également disponible en mongol ainsi que la correspondance diplomatique franco-mongole de cette époque », rapporte Henri de Solages, expatrié français en Mongolie depuis plusieurs années. Selon lui, la célébration prochaine de la Saint-Louis est une première pour la communauté catholique qui verra probablement la messe en français proposée dimanche prochain remplacer l’habituelle célébration en anglais pour les étrangers (3).