Eglises d'Asie – Inde
Les paysans du Madhya Pradesh protestent contre la confiscation de leurs terres
Publié le 11/12/2012
Comptant parmi les Etats les plus pauvres de l’Inde, le Madhya Pradesh fait régulièrement la Une de la presse nationale pour ses tristes records, qu’il s’agisse du taux de suicide de ses paysans ou de celui de la malnutrition infantile (plus de 60 % des enfants). La situation économique et sociale au Madhya Pradesh semble s’être aggravée ces derniers mois avec la multiplication de projets industriels menés aux dépends des paysans, qui dans cet Etat rural forment la majorité de la population, et qui se sont vus confisquer leurs terres arables pour la construction d’usines, centrales et autres barrages.
En octobre dernier, le Madhya Pradesh a fourni d’importants contingents de paysans sans terres, journaliers, adivasi et dalits criblés de dettes, pour la « Grande Marche pour la Justice ». Dénonçant la confiscation des terres et la non-application des lois protégeant les minorités et basses castes, la Jan Satyagraha 2012, marche non violente, avait rassemblé plus de 50 000 « sans terres et sans droits » qui ont marché dix jours jusqu’à Agra où un accord a été finalement conclu avec le gouvernement (1).
Parmi les nombreuses protestations qui ont éclaté ces dernières semaines dans l’Etat, la plus décisive a sans conteste été celle des villages de Dokaria et Bujbuja, de la région de Barhi, dans le district de Katni. Vers la mi-novembre, les médias indiens – et en particulier l’une des plus importantes chaines de télévision, NDTV – ont commencé à relayer la résistance des paysans expropriés de Bujbuja. Hommes et femmes, ils étaient une vingtaine assis dans leurs champs, sur des piles de bois disposées en bûcher funéraire, une bouteille de kérosène dans une main, des allumettes dans l’autre, menaçant le gouvernement de s’immoler tous ensemble si leurs propriétés ne leur étaient pas restituées. Depuis plus d’un mois, ils continuent de se relayer sur ces bûchers improvisés, résistant aux tentatives de la police pour les déloger, entourés des habitants de la région qui scandent des slogans sous une large banderole portant l’effigie de Gandhi.
A l’origine de cette action collective désespérée : l’acquisition forcée de leurs terres par une entreprise afin d’y construire une centrale électrique, en échange d’indemnités financières dérisoires et sans aucune réinstallation de leurs familles qui se voient privées de leur unique source de revenus.
A cette expulsion, menée avec violence par la police de l’Etat, se sont ajoutés les suicides de deux adivasi du même district de Katni, désespérés par la confiscation de leurs terres : une jeune femme, Sunai Bai, qui s’est immolée par le feu le 15 novembre dernier, et un jeune aborigène, qui s’est suicidé par empoisonnement.
La confiscation des « terres ancestrales » des aborigènes au bénéfice d’entreprises privées ou de projets industriels menés par l’Etat se sont multipliées, a dénoncé la Commission nationale pour les Scheduled Tribes, auprès des autorités de l’Etat en octobre dernier. « Le gouvernement utilise à son avantage la pauvreté et l’ignorance des peuples indigènes qui ne connaissent pas les lois qui les protègent », a déclaré l’un des membres de la Commission, Mustak Mansoori, qui milite auprès des chrétiens pour les droits des aborigènes.
Plusieurs campagnes d’expropriations ces dernières semaines ont provoqué des manifestations de paysans dans différents districts du Madhya Pradesh, dont la plus spectaculaire – un groupe d’une cinquantaine de tribals qui étaient restés immergés jusqu’au cou pendant dix-sept jours afin de protester contre le projet de construction d’un barrage sur leurs terres – a permis d’obtenir des indemnités pour les paysans dont les propriétés avaient été saisies.
Dans l’Etat, qui se prépare aux élections législatives de 2013, la politisation du débat était inévitable. La session d’hiver de l’Assemblée du Madhya Pradesh n’a pu ainsi commencer que le 4 décembre, après l’ajournement de la journée d’ouverture par le Parti du Congrès, principal parti d’opposition, en signe de protestation contre « l’attitude honteuse du gouvernement BJP envers les paysans ».
Le 4 décembre, au cours de débats houleux, les membres du parti d’opposition ont accusé le BJP, au pouvoir, d’avoir trahi sa promesse de faire de l’agriculture le fleuron de l’Etat et de ne pas céder de terres cultivables aux industriels. Le leader du Congrès à l’Assemblée, Ajay Singh, a menacé le ministre-président Shivraj Singh Chauhan de déclencher dans tout le pays une grande campagne de protestation contre « la politique anticonstitutionnelle menée par le BJP » et les acquisitions forcées de terres des paysans « sacrifiés sur l’autel des intérêts financiers des industriels et du gouvernement ». Le leader du Congrès a également souligné la violence avec laquelle avaient été menées les expropriations, rapportant que « la police chargeait les paysans avec des matraques », n’hésitant pas « à ouvrir le feu sur les manifestants » à Bareli, dans le district de Raisen, et ajoutant que la famille de Sunai Bai n’avait même pas été autorisée à récupérer son corps pour la crémation.
Le 5 décembre, le ministre-président a déclaré devant les parlementaires « que ni l’Etat ni une quelconque entreprise ne pourrait s’approprier les terres des paysans sans leur consentement » et que celui-ci serait toujours obtenu « à l’amiable ». S. Singh Chauhan s’est également engagé à ce que les paysans dont les terres avaient été réquisitionnées reçoivent une juste compensation financière.
Mais ces promesses, transmises aux paysans de Bujbuja, n’ont pas eu raison de leur détermination. Ils poursuivent leur sit-in sur leurs bûchers funéraires, refusant la confiscation de leurs terres. Vendredi 7 décembre, Ajay Singh a de nouveau accusé le gouvernement BJP de n’avoir offert aux paysans « ni compensation suffisante ni possibilité de reconversion professionnelle », avertissant que la « situation devenait de jour en jour plus explosive dans l’Etat ».