Eglises d'Asie

Un sondage révèle que les catholiques sont de moins en moins pratiquants

Publié le 10/04/2013




Les Philippines, qualifiées traditionnellement de « pays le plus catholique d’Asie », seraient-elles en train de vivre une mutation religieuse jusqu’ici passée inaperçue ? C’est en tout cas ce que suggère un sondage publié le 5 avril dernier par le très sérieux institut indépendant Social Weather Stations (SWS) (1). 

Dans cette enquête réalisée en février dernier, le SWS révèle en effet que les catholiques seraient les moins pratiquants parmi les croyants des différentes religions présentes aux Philippines. Une surprise dans un pays où l’Eglise considère pouvoir s’appuyer sur une très écrasante majorité de catholiques pratiquants, particulièrement dans le cadre de son combat contre la RH Bill (loi sur la santé reproductive).

Plus troublant encore, un catholique sur onze se poserait « parfois » la question de quitter l’Eglise. L’institut a expliqué que cette investigation inhabituelle dans le domaine du sentiment religieux (et non pas du taux de pratique ou d’affiliation confessionnelle) lui a été suggérée par un billet publié par un prêtre jésuite, le P. Joël Tabora, sur son blog, très suivi par la communauté philippine catholique.

Dans un article publié le 7 février dernier, le prêtre s’exprimait sur « les difficultés de l’Eglise » face aux fidèles qui désertent les églises. Le post avait été abondamment commenté, aussi bien par les croyants que les non-croyants, mais surtout par un très grand nombre de catholiques philippins qui affirmaient se retrouver dans « les propos courageux et clairvoyants » du prêtre, le félicitant de briser un tabou et de révéler enfin la vraie nature de l’Eglise philippine d’aujourd’hui.

Tout autant que le rapport du SWS, les commentaires de ce blog apportent un éclairage nouveau et surprenant sur la pratique et la foi des catholiques aujourd’hui dans l’archipel.

Le SWS avait décidé de prendre au mot le P. Tabora qui écrivait dans son blog : « Il est temps, je pense, de demander à Mahar Mangahas [le président du SWS, NDLR] d’utiliser ses techniques d’enquêtes sociales pour nous aider à comprendre ce qui se passe ! ». L’institut explique dans l’introduction de son rapport, signé par le président lui-même, que « c’est la première fois que ce type de question est traité par le SWS ». Cette fameuse question (« Vous est-il arrivé d’envisager de quitter l’Eglise catholique ? ») – qui est l’élément dominant du sondage – était posée sur le compte du SWS où il était possible de voter du 15 au 17 février. dernier

Selon l’organisme, l’enquête menée auprès de 1 200 personnes (81 % de catholiques, 6 % de protestants, 6 % de musulmans, 3 % de membres de l’Iglesia ni Cristo (2) et 3 % d’autres dénominations chrétiennes) corroborerait les propos du P. Tabora, très critique envers l’Eglise philippine qu’il considère responsable de « la fuite des fidèles ».

Les résultats de l’enquête démontrent une baisse légère mais significative du nombre de personnes se déclarant catholiques (3), explique le SWS, ainsi qu’une diminution proportionnelle de la pratique des catholiques ces vingt dernières années.

Comparés aux autres groupes religieux, les catholiques seraient même les moins pratiquants avec seulement 43 % d’entre eux qui iraient à la messe au moins une fois par semaine, pour 43 % qui y assisteraient une à trois fois par mois et moins de 14 % qui n’iraient environ qu’une fois dans l’année. La plupart des croyants des autres confessions chrétiennes déclarent se rendre plus fréquemment à l’église (64 % des protestants iraient chaque semaine, comme 70 % des membres d’Iglesia ni Christos et 62 % des autres dénominations). Quant aux musulmans, 75 % d’entre eux se rendent à la mosquée toutes les semaines. Comme pour l’appartenance à la communauté catholique, le SWS a noté que cette baisse de la pratique s’était mise en place ces deux dernières décennies (en 1991, la participation des catholiques à la messe dominicale était de 64 %).

Intitulé « l’Eglise catholique : entre le sublime et le ridicule », le billet du P. Tabora, à l’origine de cet état des lieux du catholicisme aux Philippines, et qui a été mis en ligne le 7 février dernier, revient sur ses précédents posts qui portaient sur la RH Bill ainsi que sur les réactions des internautes dont certains avaient avoué penser parfois à quitter l’Eglise catholique.

« Ce que j’ai ressenti le plus fortement [dans ces commentaires ] était l’exaspération, écrit le P. Tabora. Les gens sont fatigués des homélies rasoirs qui s’étirent en longueurs et en inepties, et n’en finissent pas pour la simple raison qu’elles n’auraient jamais dû commencer. » Le prêtre jésuite passe ensuite en revue tous les reproches qu’il entend sur la façon dont le clergé traite les fidèles « comme s’ils étaient encore moins que des adolescents, auxquels il faudrait tout dicter (…) » et se croyant persuadé de détenir la vérité sur tous les sujets.

« Les gens sont fatigués des discussions sur la santé reproductive, poursuit-il, et surtout de la façon dont on leur rebat les oreilles de ce sujet, que ce soit à l’occasion de l’Avent, de Noël, ou de la Chandeleur. » Reprenant les remarques des internautes et de certains de ses fidèles, il met en garde l’Eglise des Philippines : « Oui, les pasteurs doivent les aider à être catholiques, y compris en leur parlant de la RH Bill ! Mais si c’est tout ce qu’ils savent transmettre, s’ils ne connaissent que cette chanson et demandent à tout le monde de ne danser que sur cet air, alors la fête aura perdu sa joie et les gens s’en iront. »

Ne nous étonnons pas, conclut-il, si, exaspérés, les catholiques finissent par quitter l’Eglise. « Pensez-vous que nous pouvons nous le permettre ? L’Italie était une nation entièrement chrétienne, l’Espagne aussi (…). Mais les Philippines ne sont pas une nation entièrement catholique. Elles ne l’ont même jamais été. »

Ce billet a déclenché de nombreuses réactions, certaines – exprimées par des membres du clergé philippin – accusant le P. Tabora de soutenir la RH Bill et de se « faire l’instrument du démon », d’autres, beaucoup plus nombreuses, inondant son blog de félicitations pour « avoir osé parler de l’exaspération des catholiques vis-à-vis de l’ Eglise philippine », de témoignages où ils déclarent « se reconnaître parfaitement dans ces propos », ou encore de remerciements. « Merci P. Joel, écrit notamment un certain Sanchez Tazlledo, de vous faire l’interprète de ces millions de Philippins comme moi qui sont en proie aux luttes que vous avez décrites avec tant de courage et de vérité. »

Si la controverse au sujet de ce billet se poursuit toujours à l’heure actuelle sur le blog du prêtre jésuite, l’enquête et le sondage qui en ont découlé, auront créé la surprise en traçant les grandes lignes d’un paysage religieux qui semble, sans que cela n’ait été clairement noté, avoir considérablement évolué ces dernières années.