Eglises d'Asie – Philippines
Manifestations géantes contre la corruption au sein de l’Etat
Publié le 27/08/2013
Organisée en quelques heures grâce aux réseaux sociaux (essentiellement Facebook et Twitter), la Million People March a surpris par son ampleur et la diversité de ses participants. A Manille, la foule, que la police a estimée à un peu moins de 100 000 personnes, regroupait des manifestants issus de tous les milieux. Des prêtres en soutane marchaient aux côtés de militants déguisés en cochons, tandis que des organisations musulmanes portaient avec des religieuses catholiques des panneaux où l’on pouvait lire « abolissons le ‘Pork barrel ‘ ! ».
Bravant la pluie, des congrégations religieuses, différents organismes civils, des étudiants, des hommes politiques, des écoles, des séminaristes et des stars du show-biz ont marché dans Manille jusqu’au soir, dans une atmosphère colorée et bon enfant. La manifestation, qui s’est achevée sur la grande esplanade de Luneta Park, s’est déroulée pacifiquement et sans incident.
« Ce fut la manifestation de tous les records : premier plus grand rassemblement depuis l’élection d’Aquino en 2010, première manifestation lancée par les réseaux sociaux, et enfin premier meeting sans leader ou couleur politique », résume ce mardi 27 août le Philippine Daily Inquirer.
L’ensemble du pays s’accorde en effet à dire que l’ampleur de la manifestation est à la mesure de la déception des électeurs de Benigno Aquino, lequel avait placé la lutte contre la corruption au cœur de sa campagne il y a trois ans. Décidés à lui rappeler ses promesses, les dizaines de milliers de manifestants rassemblés à Manille et dans une douzaine d’autres villes de l’archipel ont scandé des slogans demandant la transparence des finances publiques et la suppression du « pork barrel ». Appelé officiellement Priority Development Assistance Fund (PDAF), ce système, dénoncé depuis des années, consiste en subventions d’Etat versées aux députés pour les « projets de développement » de leur circonscription.
La plupart du temps, ces fonds servent en réalité au financement de leurs campagnes, quand ils ne sont pas détournés à des fins personnelles ou pour l’entretien des réseaux mafieux. Jouant à fond la carte de l’humour, des manifestants s’étaient hier costumés en cochons, se faisant transporter dans des tonneaux, illustrant de façon littérale le fléau qui gangrène aujourd’hui la société philippine à tous les échelons. Cette forme de clientélisme, qui permet au gouvernement de s’attacher la fidélité des hauts fonctionnaires de l’Etat, avait été pourtant vigoureusement dénoncée par Benigno Aquino, qui en avait fait son principal argument de campagne, promettant un « gouvernement propre » et des « finances transparentes ».
Mais depuis l’élection de ‘Noynoy’ Aquino, une série de scandales ainsi qu’un audit récemment effectué par une commission gouvernementale ont révélé que le système du « pork barrel » était toujours aussi florissant. Le rapport d’inspection a démontré ainsi que moins de 20 % des fonds du PDAF étaient utilisés dans les projets de développement pour lesquels ils avaient été attribués. Plus de 200 millions de dollars avaient été ainsi détournés ou versés en bakchich par au moins cinq sénateurs, 23 membres de la Chambre des représentants et 82 ONG.
Rappelant que la plupart de ces scandales financiers ont été révélés par ses journalistes, le Daily Inquirer explique dans son édition du 27 août que la grande manifestation de lundi dernier était prévisible, la population étant exaspérée par « les promesses non tenues du président », y compris ses récentes déclarations « motivées par la pression de l’opinion ».
A l’annonce qu’une manifestation « anti-corruption » allait prochainement être organisée, le président philippin avait en effet déclaré, vendredi 23 août dernier, qu’il envisageait de remplacer le PDAF par un nouveau système de financement et que les responsables de détournements de fonds seraient poursuivis. Cette promesse n’ayant pas eu l’effet escompté, au soir de la manifestation du 26 août, Benigno Aquino s’est de nouveau adressé à la nation philippine. « Nous n’autoriserons personne à poursuivre des pratiques de corruption. Nous ferons en sorte que les erreurs du passé ne soient pas répétées et que l’argent du peuple soit utilisé honnêtement », a-t-il réitéré.
Pour les manifestants réunis hier soir à Luneta Park, il s’agit « d’une première victoire » mais surtout « du commencement d’une lutte qui ne doit pas se relâcher », selon les mots de Mgr Oscar Cruz, archevêque émérite de Lingayen-Dagupan. Ce dernier, qui a participé à la Million People March, a déclaré aux manifestants qu’il « espérait que des initiatives comme celle-ci se multiplieraient et ne cesseraient que lorsque toute corruption aurait été éliminée au sein du gouvernement ».
Comme beaucoup de membres du clergé catholique présents à la manifestation – l’Eglise étant régulièrement en pointe dans la lutte anti-corruption –, Mgr Cruz a affirmé également qu’il était impossible de croire aux promesses du président tant que ce dernier n’obligerait pas les hauts représentants de l’Etat convaincus de corruption à démissionner.
L’archevêque de Manille, le cardinal Luis Antonio Tagle, a appelé quant à lui chacun des participants à se « laisser guider par sa conscience ». Des extraits de sa courte allocution improvisée à Luneta Park sont déjà en ligne sur le site de la Conférence épiscopale catholique des Philippines (CBCP), ainsi que des photos des temps forts de la manifestation. « J’encourage chacun de vous à voir, à entendre et à aimer comme des frères et sœurs, ceux qui sont pauvres et exploités. Ressentez les battements du cœur de notre pays. Ecoutez la voix du Seigneur », a déclaré le prélat en philippin (pilipino).
On apprend également sur le site de la CBCP que la foule a entonné à la suite de l’archevêque de Manille le cantique « Pananagutan », dans une ferveur qui rappelait, selon les témoins, l’atmosphère de la People Power Revolution de 1986, « lorsque c’était le peuple qui décidait et avait le vrai pouvoir ».
Pour Peachy Rallonza-Bretaña, l’une des organisatrices du rassemblement par Internet, la Million People March a redonné un espoir au peuple philippin. « Nous avons appris ici que nous pouvions faire entendre notre voix ! », se réjouit-elle. La grande différence avec les autres rassemblements, explique-t-elle encore, « c’est que n’importe qui ici peut décider d’initier une action et de participer au changement : nous sommes tous des leaders ! ».
Toujours en réponse à l’appel des réseaux sociaux, et en soutien à la Million People March aux Philippines, des manifestations de Philippins ont également eu lieu dans d’autres pays, notamment aux Etats-Unis, en Espagne et à Hongkong.