Eglises d'Asie – Inde
Jharkhand : une statue de la Vierge « à la mode indigène » fait polémique
Publié le 24/06/2013
Le 18 juin, peu après la cérémonie d’inauguration où le cardinal Toppo a dévoilé la statue de la Vierge à l’enfant destinée à une église catholique de Singpur, des membres animistes de la communauté sarna (1) ont manifesté dans les rues de Ranchi pour protester contre ce qu’ils considèrent comme « une tentative de conversion des aborigènes (tribals) par les chrétiens ».
Une accusation vigoureusement contestée par les prêtres Missionnaires du Verbe Divin (SVD) responsables de la paroisse, et pour lesquels cette statue indigène démontre tout au contraire une acculturation respectueuse des traditions locales.
La statue controversée représente la Vierge Marie sous les traits d’une femme aborigène, portant le sari traditionnel à bordure rouge, et l’enfant Jésus porté sur la hanche à la manière locale, enveloppé dans une pièce d’étoffe.
« Ce choix de vêtir Mère Marie avec le sari blanc bordé de rouge nous semble très clairement une tactique pour convertir les Sarnas au christianisme, a déclaré Bandhan Tigga, un prêtre du culte sarna local au Times of India le 19 juin. Mère Marie est une déesse étrangère et la montrer ainsi habillée comme une femme ‘tribale’ est inconvenant. »
Affirmant « ne pas vouloir de conflit entre les différentes religions », le prêtre sarna ajoute cependant que sa communauté demande « à ce que cette statue soit enlevée ou alors complètement transformée pour ne pas ressembler à une femme aborigène, faute de quoi les protestations s’intensifieront encore ».
Dans son édition du même jour, le Dailybhaskar attise la polémique en rapportant que les missionnaires catholiques ont fabriqué une statue de « Mère Marie », une « déité étrangère habillée avec le costume local » afin d’« induire en erreur » la communauté aborigène qui vénère Maa Sarna (la Terre-Mère).
« La bordure rouge a une forte signification dans la croyance sarna. Nos femmes portent ce sari blanc à bords rouges à certaines périodes considérées comme favorables. Si l’idole de Mère Marie est représentée dans le costume d’une femme tribale, dans un siècle, les gens penseront que Mère Marie est une aborigène venant du Jharkhand ! », fulmine Bandhan Tigga dans l’édition du quotidien grand public.
Une interprétation réfutée par le P. Augustine Kanjamala (SVD), spécialisé en sociologie des religions. « Le fait que la Vierge ait été représentée dans le style local se justifie aussi bien légalement que théologiquement, explique-t-il à l’agence AsiaNews le 21 juin dernier. Des milliers d’artistes dans le monde ont adapté la représentation de la Vierge Marie à la sensibilité locale. La culture n’est pas figée, mais est au contraire un facteur d’unification (…) et bien que cela ait son importance, la façon de se vêtir n’est qu’une toute petite facette de l’identité aborigène. »
Le prêtre précise en outre que « en Inde, les missionnaires chrétiens étrangers ont été les premiers à protéger et promouvoir les cultures indigènes, et aussi les premiers à défendre avec acharnement les droits des ‘tribals’ ». Dans le cas présent, ajoute-t-il, « la question de l’acculturation est uniquement utilisée par les nationalistes hindous dans un but politique ».
Le cardinal Toppo, actuellement à Rome, s’est exprimé il y a environ une semaine sur la question et rejoint l’analyse du missionnaire. « C’est la politique du ‘diviser pour mieux régner‘ », a-t-il déclaré au Times of India, précisant que « les élections étaient pour bientôt et qu’il y avait des personnes ayant tout intérêt à déclencher un conflit entre chrétiens et non-chrétiens ».
Mgr Toppo, lui-même issu de l’ethnie oraon du Jharkhand et premier aborigène à avoir été élevé au cardinalat, est considéré aujourd’hui comme l’un des plus actifs défenseurs de l’inculturation et de la réconciliation interethnique en Inde. Ces actions en faveur de la paix et de la promotion des droits des aborigènes en font cependant la cible de plus en plus fréquente des hindouistes, en particulier depuis le retour au pouvoir du BJP à la tête de l’Etat du Jharkhand.
Face aux hindouistes qui accusent régulièrement l’Eglise catholique de pratiquer des conversions forcées et tentent d’imposer depuis plusieurs années une loi anti-conversion au Jharkhand, le cardinal se contente de réitérer avec constance que « le principe de conversion forcée n’existe pas dans l’Eglise, celle-ci ne la pratiquant pas et la considérant comme invalide ».